Édito 233

Il n’y a pas si longtemps, il n’était pas rare d’entendre des élèves issus de milieux populaires nous demander de travailler sur des sujets sensibles : Palestine, prison, inégalités sociales, etc. Pour eux, l’école était donc un interlocuteur qui comptait pour élaborer interpellations et savoirs.

Avec le temps, nous avons le sentiment que ces moments se sont raréfiés : « Nous savons très bien ce que l’école veut nous apprendre, et nous savons que la vérité, nous devons la trouver ailleurs ». Une autre élève, à propos d’une manifestation pour la Palestine, nous déclara : « Manifester ? Depuis que le problème palestinien existe, combien de manifestations y a-t-il eu ? Gardez-les, vos manifestations en carton. »

Il est vrai qu’entretemps, il y a eu tous les après-attentats, tous les plombs durcis, dans les corps et dans les esprits, et trop de belles paroles autour, proférées par nos responsables de tout poil, en pathétiques fumigènes.

Alors, la radicalisation, seulement un problème de jeunesse ? « On n’incrimine pas le miroir, quand c’est la gueule qui est de travers », écrivait Nietzsche.

Déplorer les phénomènes de radicalisation ne nous aidera pas à en freiner les effets mortifères. Dans ce dossier, nous avons tenté d’en comprendre certaines de ses manifestations et conséquences. Pas comme s’il ne s’agissait que du problème de l’Autre : nous avons veillé à porter la part qui nous revient, à nous demander en quoi cette radicalisation parle aussi de nous, du monde que nous créons et vendons si mal à nos enfants.

Pour comprendre les choses, il est important de réfléchir aux mots que nous utilisons pour le penser. Radicalisation : qu’entend-on par-là ? Pourquoi cette expression est-elle venue en supplanter d’autres ?

En quoi les radicalisations sont-elles susceptibles de proposer des réponses logiques à des mécaniques sociales de marginalisation et de déqualification ? En quoi peuvent-elles aussi être une réponse aux impasses vécues par certains jeunes face à un monde et une vie qui font énigme et ravage ?

Il est vain de vouloir éliminer un symptôme, aussi douloureux soit-il, si on ne s’attaque pas aux problèmes auxquels il répond. Alors, que penser de ces formations qui nous sont proposées pour déradicaliser peu ou prou nos élèves ? Que penser de cette vigilance généralisée à laquelle on nous demande de participer ?

Alors, plutôt que déradicaliser, radicalisons la démocratie et l’école. Pour cette dernière, le meilleur remède n’est-il pas qu’elle fasse son job, tellement mis à mal : aider les jeunes et nous aider nous-mêmes à comprendre le monde, non en spectateurs impuissants, mais en acteurs critiques ?

« Arrêtez de parler de nous, et parlez avec nous », disait un jeune. Encore faudrait-il vivre dans un monde où toute parole n’ait pas été vidée de son sens.

Comité de rédaction