C’est le titre d’un petit livre [1]Myriam Tonus, Elève-moi !, préface de Philippe Béague, Ed. Couleur livres, 2013 qui fera du bien aux nombreux parents et enseignants qui, parfois, fatiguent, se découragent voire désespèrent. Le ton n’est pas à la culpabilisation, mais empli de sérénité, de tendresse …et de fermeté.
Éduquer, quelle affaire
L’auteure, Myriam Tonus, n’a pas eu les honneurs de la presse dite sérieuse. Pour cela il faut, hélas, pratiquer les superlatifs, mettre au pilori politiques, pédagogues et tutti quanti. Alors télévisions et journaux vous courtisent et vous avez droit à la une toute en nuances du VIF : « Pourquoi l’école fait de vos enfants des cancres » [2]F. Andriat, Les profs au feu et l’école au milieu, 2013.
La réflexion sur l’éducation de M. Tonus n’escamote pas les difficultés d’aujourd’hui : familles décomposées/recomposées, monoparentales, ennui et rejet de l’école, rythme fou de la vie quotidienne, …. Mais elle adopte une approche qui dédramatise, aide à prendre du recul, relativise et redonne confiance en soi. Pour autant qu’on accepte de revisiter, pour aujourd’hui et pour demain, des verbes aussi essentiels que « aimer » ou « éduquer », par exemple. « Eduquer un enfant, c’est ni plus ni moins faire le pari de sa croissance, de son changement. C’est le faire entrer dans un projet tout en le menant vers la plus grande autonomie, lui apprendre la loi pour qu’il devienne libre, l’inscrire dans le cercle social tout en développant sa singularité » Rien que ça ! Avec à la clé la terrible formule du docteur Freud : « Quoi que vous fassiez, vous ferez toujours mal »
Éduquer, pour quoi ?
Le travail des parents est bien plus difficile aujourd’hui qu’au temps où tout coulait de source : s’inscrire dans la lignée, la tradition familiale, c’était une évidence. Maintenant que les repères sont devenus flous, que le rythme de vie s’est incroyablement accéléré et que les marchands dictent la loi, les parents voudraient au moins être aimés et ils attendent de la reconnaissance : « Avec tout ce que j’ai fait pour toi ! ». Qu’en pense M. Tonus ? « Aujourd’hui, il y a un problème, et il est de taille. Les grandes lames de fond qui modèlent notre société font que les parents en viennent inconsciemment à demander à leurs enfants, non plus l’obéissance ou le respect, mais l’amour. Par crainte de toute manifestation qui risquerait de mettre en question cet amour, ils en viennent à démissionner de pans plus ou moins larges de leur fonction parentale ».
Nombreux sont aussi les enseignants qui ont bien de la peine à distinguer leur fonction et leur personne. Quand ils entendent « Votre cours est nul ! », ils sont anéantis. Un prof n’a pas pour objectif d’être aimé de ses élèves.
Pas de nostalgie chez M. Tonus, mais des perspectives : « Va pour toi : telle est à mes yeux la seule visée de l’éducation. Va vers ta propre source. Va vers ce qui est en toi que tu ne connais pas, vers tes richesses, tes dons, ce qui fait de toi un être fécond capable de prendre en charge avec d’autres le devenir du monde, tout proche, très lointain. Ce que tu devras affronter, ce que tu devras décider et choisir, nul ne peut te le dire, personne ne le sait »
Et nous, les éducateurs ? « Nous allons te donner ce que nous pouvons, ce qui nous parait utile de placer dans ton bagage afin de t’éviter l’errance ». Et encore : « Nous voulons t’éduquer parce que nous avons confiance en toi, parce que nous pensons que tu pourras faire mieux, infiniment mieux que ce que nous te laissons en héritage ». Beaucoup de modestie et de confiance !
Les cadeaux de l’école
L’auteure a été longtemps enseignante et directrice d’école. Elle en a rencontré des ados paumés et des parents déboussolés ! Elle nous convainc que l’école, malgré d’énormes difficultés et d’inacceptables inégalités, peut offrir aux jeunes qui le fréquentent des cadeaux : l’apprentissage du collectif, la sécurité, la loi et un rapport au temps spécifique.
Limitons-nous à quelques considérations sur la loi. C’est un travail à faire et refaire régulièrement dans chaque équipe éducative : revisiter la loi et son sens pour les jeunes et les adultes. « L’école ne doit pas avoir honte de ses règles – pour autant bien sûr qu’elles répondent aux critères d’une bonne loi : ne pas être arbitraires, faire sens, viser réellement l’humanisation du jeune et le bien commun ». Pour être plus précise encore, elle ajoute : « Et si le parent, l’éducateur, l’enseignant a pour obligation de sanctionner les infractions à la loi -cela aussi c’est une règle !- il ne peut corriger ses erreurs qu’en se faisant imaginatif, en revisitant, encore et encore, le sens de la loi afin de pouvoir aider l’enfant à en intégrer à son tour le sens. Infliger une punition hors de sens est en soi une infraction aux lois de l’éducation. Les seules bonnes questions à se poser : comment faire grandir ? comment éviter de nourrir la rancœur et la violence ? »
Le jardinier
Le livre fourmille aussi de pages poétiques, entre autres celles consacrées aux grands-parents. Leur place est célébrée avec chaleur. Ils sont encore plus précieux quand des couples éclatent et que c’est chez eux qu’on peut trouver une oreille attentive et sans parti pris.
Enfin, à toutes celles et à tous ceux qui font œuvre d’éducation, M. Tonus propose d’être des « jardiniers » de l’humain. Une des qualités du jardinier, c’est la force : « La force, c’est une qualité bien nécessaire à l’acte d’éduquer. De la force, il en faut pour bêcher, arracher les mauvaises herbes ; pour insister lorsque la levée tarde, pour résister quand souffle un vent mauvais. De la force, il en faut pour aider un jeune à croire en lui lorsqu’il fait inconsciemment tout pour se maintenir dans l’échec ; pour tenir ensemble bienveillance et rigueur, respect de l’autre et respect de soi, … De la force, il en faut pour dire « non », pour imposer des limites, … De la force, il en faut aussi pour supporter les critiques, l’absence de reconnaissance, ce sentiment que « tout est dû »… »
L’humilité est une autre qualité du jardinier : « Se donner pour seule et unique tâche de semer, bien semer, le mieux que l’on peut doit suffire au bonheur du jardinier. Accepter qu’on est sans maîtrise, sans pouvoir et que peut-être on ne verra jamais les résultats de son travail, comme c’est devenu difficile, dans une société du retour obligé sur investissement ! Investir dans l’éducation, investir dans la richesse d’un être humain ne peut être que sans calcul, sans retour forcé ».
Puissent ces quelques citations donner l’envie de découvrir les pépites que recèle ce petit livre de lecture agréable et réconfortante.