Tenter de cerner au mieux les attentes des élèves et surtout partir d’une question qui utilise les mots qui sont les leurs est essentiel si on veut leur permettre à de s’approprier le cours.
L’histoire se passe au cours de religion catholique d’une classe de 5e année de l’enseignement technique. Composée essentiellement d’élèves issus d’une famille de confession musulmane, il y règne une atmosphère tendue : nous sommes en plein milieu du mois de Ramadan. Et, même si ce n’est pas le thème du cours de ce jour-là, la remarque d’un garçon à l’égard d’une fille à propos de son maquillage va mener à un débat du groupe-classe qui va prendre des proportions à la limite du surréalisme. Je vais d’ailleurs observer et écouter sans intervenir car, malgré quelques tentatives pour reprendre les choses en main, le débat fait rage. Le problème abordé ? « Mettre du maquillage est-ce plus ou moins haram (illicite) que de mettre du gel dans ses cheveux pendant le Ramadan ? ».
Aussi surréaliste que peut sembler ce type de question, elle ne l’est pas du tout pour ces jeunes-là. C’est la raison pour laquelle j’ai commencé mon cours cette année (alors que nous étions justement en plein dans le mois de Ramadan) par inscrire au tableau la question : « Est-ce haram de mettre du gel dans mes cheveux pendant le mois du Ramadan ? ». Chaque élève a reçu un tableau divisé en trois colonnes : ce que j’en pense, les questions que cela me pose et enfin, l’Islam en parle-t-il ? Les élèves disposaient ensuite d’un temps de réflexion personnel afin de leur permettre de mettre sur papier le fruit de leur réflexion. On aurait pu simplement annoncer qu’on allait travailler sur ce qu’est le mois de Ramadan mais le cours de religion catholique a pour objectif de répondre aux questions existentielles des jeunes auxquels il s’adresse. Il me semble qu’il faut, pour répondre à ces questions existentielles, partir des questions comme les élèves les posent, qu’elles soient existentielles en tant que telles ou pas d’ailleurs. Dans l’exemple donné, y répondre implique de se poser toute une série de questions : Qu’est-ce que haram et hallal ? Le concept de haram convient-il à la situation en question ? L’Islam se limite-t-il à dire le licite et l’illicite ? Qui dit le droit en Islam ? Existe-t-il des avis sur cette question et, si oui, divergent-ils ? Qu’est-ce que le mois de Ramadan ?
Certains professeurs de religion catholique dans des classes composées majoritairement de jeunes issus d’une famille de confession musulmane expliquent qu’ils présentent l’aspect chrétien d’un thème et que les élèves présentent ensuite ce qu’en dit l’Islam. On a alors l’impression que l’élève est écouté, mais est-ce réellement le cas ? Écouter l’élève ce n’est pas non plus lui donner en début d’année une feuille en lui demandant d’y inscrire les thèmes qu’il voudrait travailler ou qui l’intéressent. Écouter l’élève, c’est avant tout tenter de percevoir ce à quoi il prête réellement attention.
Lorsqu’une élève lit un livre plutôt que de participer au cours, c’est qu’elle y trouve un intérêt. Plutôt que de lui interdire la lecture du livre en question, par exemple Les règles à respecter lors de la première nuit de mon mariage, je lui demande ce qu’elle lit et surtout, pourquoi elle n’a pas proposé d’aborder le thème en classe, au cours de religion justement. Mais écouter l’élève va supposer partir du livre qui est le sien. Le livre qu’il a fait le choix de lire pour trouver réponse à sa question. Se dire que l’élève semble s’intéresser au mariage et, dès lors, préparer un cours sur ce thème, me semble une erreur. Il faut partir du titre même de ce livre pour amener l’élève à réfléchir.
Partir de ce livre car, lorsqu’on écoute l’élève, on se rend compte que c’est celui-là qu’il lit car « mon cousin me l’a conseillé » ou tout simplement car « c’est le seul qu’il y avait à la librairie islamique et il ne coutait pas cher ». Prendre en compte la famille et donc ce que les élèves apprennent des « anciens » est important : le cousin peut être considéré par l’élève comme un bon référent.
Prendre en compte le fait que les élèves cherchent à avoir accès à des livres, mais qu’ils ne savent pas toujours comment s’y prendre est tout aussi important. Lorsqu’un élève me demande si il peut « emprunter un de vos livres, car je ne sais pas où je peux les acheter », ne me demande-t-il pas en fait de l’emmener dans « ma » librairie ? Ne me dit-il pas qu’il est conscient de la diversité d’opinions qui doit exister au sein de la religion qui est la sienne mais qu’il rencontre des difficultés à y accéder ? La demande n’est-elle pas tout simplement d’aborder cette diversité ?
Il est toujours possible de composer de petits syllabus qui reprennent l’ensemble du cours pour l’année. Le professeur sait alors ce qu’il va enseigner et quand. Tout est bouclé. Mais une classe, un groupe de jeune n’est pas l’autre. Et donc, les questions ne sont pas les mêmes. Écouter les élèves n’apportera pas spécialement les mêmes résultats non plus.
Il y a quatre ans, lorsque j’ai commencé à donner le cours de religion catholique dans l’école, les élèves m’ont rapidement demandé d’aborder la question de l’injustice. Mais de quelle injustice s’agissait-il ? En creusant, il est apparu que, sous cette demande de parler de l’injustice, se cachait en fait « les contrôles de police ». Que faire ? Aborder la question de l’injustice comme aurait pu le prévoir un quelconque syllabus préparé d’avance ou aborder la question avancée par les élèves ? Et, dès lors que l’on opte pour la deuxième solution, comment les élèves vont-ils réagir ? Mes élèves ont une idée assez classique de ce que « doit être l’enseignement » tout en rejetant ensuite ce même type d’enseignement…
Commencer un cours sur les contrôles de police par le dialogue entre un jeune et un policier justement a suscité, chez certains, la question de savoir « si c’est un cours de religion, ça ?! ». La religion se limiterait à la pratique des rites et le respect d’une série d’obligations, donc le cours devrait se limiter à aborder ces préoccupations. Mais les élèves n’avaient-ils pas justement émis la demande d’aborder les contrôles de la police ? Déstabilisant. Un peu comme si cette injustice liée aux « contrôles de police » dont ils avaient parlé faisait plus partie d’un mythe que d’une réalité réellement rencontrée. Ainsi, nous avons fini par travailler plus longuement sur le pourquoi ils continuaient à vivre avec cette idée qu’ils sont souvent l’objet de contrôles alors même qu’ils expliquaient n’en avoir jamais fait l’expérience…
Écouter les élèves, c’est donc un peu comme les mettre sur écoute. Car c’est souvent lorsqu’on ne s’y attend pas que l’on peut découvrir les sujets dont les élèves discutent réellement : alors qu’ils discutent à deux en plein milieu du cours, sur le banc pendant la récréation ou encore en rentrant chez eux en métro…