Élèves radicaux : refuser la PI pour mieux en faire

Choisir une méthode pédagogique plutôt qu’une autre, c’est un choix politique. Or, que faire lorsqu’on a longuement réfléchi à ce choix, mais qu’une fois proposé aux élèves, ils le refusent ? Récit d’une situation de classe où l’option initialement refusée (travailler en Pédagogie Institutionnelle) au profit d’un cours axé sur les savoirs devient, pour finir, une certaine forme de classe en PI.

“ Septembre dernier, j’entre dans une classe de 5e année de l’enseignement technique. Les profs de l’année précédente la présentent comme la « classe idéale ». « Tu verras, ils ont pris tous les projets qu’on leur a proposé, ils ont soif de faire des choses. » J’arrive donc en classe avec mon idée de la manière dont je voudrais tenter de faire de la PI avec eux. Je décide de leur expliquer le processus que je propose de mettre en place. Je sais aussi que, par ailleurs, au cours de français, mon collègue compte utiliser des outils de la PI (dont le Conseil et le « ça va, ça va pas »). Je présente donc ma proposition : il s’agit de mettre en place un Conseil et l’une ou l’autre institution de la PI. Je présente la manière dont le cours sera construit (une partie cours et une partie « atelier »). J’annonce la couleur en ce qui concerne la production intermédiaire et finale à fournir. Le travail sera collectif, il n’y aura pas d’évaluations individuelles (les absences ou manquements au travail feront l’objet d’une réparation). Enfin, j’explique qu’ensemble on pourra faire des demandes afin d’obtenir un subside afin de réaliser la production (faire de la photo, du son ou de la vidéo, ça a un cout !). Je propose donc aux élèves de devenir acteurs du cours et non plus simples spectateurs.

Radicalement refusé

Le refus de la classe est radical. « Monsieur, on ne veut pas de ce que vous proposez. Nous on veut apprendre, là on a l’impression qu’on va passer beaucoup de temps à ne faire pas grand-chose. » « Ça sent trop le “on va faire plein de choses” et puis on va rien faire, on a déjà vu ça, tous les profs font ça ». Étonnamment, comme s’ils avaient pu se consulter (sauf si j’ai vraiment raté un épisode, c’est impossible), l’avis de la classe est unanime. C’est non. Ils refusent le processus suggéré.
J’accepte donc la décision du groupe-classe (on ne passe pas au vote), mais, en impro totale, je demande alors qu’on me fasse des propositions alternatives à noter sur un panneau que j’ai apporté. J’explique que vu que je n’aime pas faire de l’ex cathedra (pour des raisons personnelles et de choix pédagogiques) et avoir l’impression de gérer le groupe-classe ou d’être le seul porteur d’un projet, je veux bien mettre de l’eau dans mon vin à condition qu’ils fassent de même. Un élève se propose alors pour prendre note sur les panneaux et la discussion commence. « Je propose qu’on décide à chaque début de cours de la manière dont on va travailler en fonction de ce que vous dites que l’on doit faire lors de cette séance du cours, Monsieur. » dira Mounir. « Je suis d’accord, donc on peut décider à 10 h de comment on met les chaises et les bancs pour travailler ce jour-là. » rajoute Salima. « Et comme ça vous allez nous apprendre des trucs pendant une partie et puis après nous on travaillera par exemple un peu seuls. » confirme Adnan. On en arrive donc à quelques décisions qui concernent le fonctionnement du cours. L’air de rien, je me dis qu’on est peut-être bien en train de mettre en place un fonctionnement de PI.

Back to the future ?

Lors des cours suivants (et de tous les autres d’ailleurs depuis), je note un ordre du jour au tableau, auquel les élèves peuvent rajouter des points. On passe en revue chaque point (on fait un ordre du jour, en mettant les points d’information au début et les autres ensuite) et puis on se met au travail. Le dispositif change donc de cours en cours et aussi pendant le cours. La classe sera disposée, par exemple, en mode « classique » (deux par deux, tableau et enseignant à l’avant) pendant la première partie du cours, ensuite on se mettra en cercle et, enfin, les élèves se mettront en sous-groupes. Tout ceci se fait quasiment sans devoir en discuter.
Le travail avance, mais avec des difficultés de concentration, je commence à mettre ce point-là à l’ordre du jour. Lors des moments où on est en cercle afin de discuter d’un point (par exemple, comment expliquer qu’une pratique, les tatouages des grand-mères originaires de la région berbère du Rif marocain, a été permise pendant des centaines d’années là-bas et qu’aujourd’hui, à Molenbeek, on découvre que ce n’est pas autorisé par l’Islam ?) les élèves ne s’écoutent pas alors qu’une élève s’est proposée pour distribuer la parole. Brahim a l’idée de « mettre un chef d’orchestre » car c’est ce qui manque. Le lien avec le Conseil organisé par mon collègue prof de français est évident même si ce dernier m’explique que le Conseil qu’il organise dans sa classe ne fonctionne pas bien… On passe donc d’un refus d’une certaine manière de PI présentée par l’enseignant en début d’année à une certaine forme d’appropriation des outils de la PI en cours d’année.

Des livres à la récré

La demande des élèves de recevoir des « savoirs » m’avait surpris. Elle m’avait aussi fait réfléchir à mes questionnements, plus anciens déjà, sur la place des savoirs dans un processus de PI. J’ai donc préparé une partie théorique de la matière, que je présente de manière fort classique en classe. Je tente, au fil des cours, d’intégrer de manière intelligente les savoirs dans le processus du cours. Par contre, si les élèves se disent satisfaits par le contenu proposé, j’ai mis à l’ordre du jour la question de cette partie transmission. En effet, je me retrouve confronté à toutes les difficultés classiques d’un prof qui donne un cours ex cathedra à une classe qui n’arrive pas à suivre ce type de pédagogie. Du coup, pour m’aider à ne pas transmettre un savoir uniquement ex cathedra, je me suis inspiré des stages de PI aux RPé (où une petite bibliothèque de livres en lien avec la Pédagogie institutionnelle est ouverte pendant les pauses) et de ce qu’une élève m’avait un jour dit « vous avez accès à des livres que nous on ne connait pas, vous ne pourriez pas nous en apporter ? », pour amener des livres en classe. J’essaye d’y faire référence pendant le cours et je les dépose sur un banc. J’invite les élèves à les feuilleter ou les emprunter. Ces temps-ci, les élèves demandaient même de pouvoir rester en classe pour les lire pendant la récréation (qui est placée au milieu de mes deux heures de cours). Vu que je ne peux les laisser en classe seuls, j’ai dit que c’était impossible. « On peut les prendre avec dans la cour de récréation alors ? », me demande Ekram.

Élève jusqu’au bout

Jusqu’ici, je me suis occupé des demandes de subsides ou de contact avec des personnes extérieures à rencontrer. Toujours pour répondre à la demande des élèves de « faire mon boulot de prof », mais contrairement à ce que j’aurais voulu faire. Toujours sans l’imposer, j’espère pouvoir passer la main aux élèves dans les semaines à venir. L’objectif serait de les rendre « radicalement élèves »… ”