Je n’ai jamais lu de livres. Entendant ma mère réprimander maintes fois ma grande sœur parce qu’elle lisait alors qu’il y avait tant de travail à faire et qu’elle ne le voyait pas, j’ai vite compris quelle attitude adopter pour être un fils modèle.
Pourtant, quand je suis devenu enseignant, j’en ai acheté… Parce que la couverture était belle ou qu’un camarade avait insisté : « Tu dois lire le dernier d’ASTOLFI sur le constructivisme. Ne manque pas DEVELAY si tu veux comprendre quelque chose en didactique… » J’ai même acheté un MEIRIEU parce que tout le monde en parlait et que c’était le top de pouvoir le citer en réunion ou d’y faire référence dans les conversations. Jamais lu ! J’ai fini par tirer une certaine fierté de cette carence, revendiquer mon ignorance et marquer ma dissidence aux milieux pédagogisants.
Je suis un consommateur affuté et à l’affut, j’aime profiter des offres. Je pouvais avoir le café (pédagogique) en commandant un livre sur le net ? Je n’ai pas hésité !
Une fois que j’ai reçu le colis dans ma boite et que j’ai pu constater que la bouille des auteurs sur le dos de couverture paraissait bonne (même si l’homme avait un air un peu austère), je ne sais vraiment pas ce qui m’a pris : j’ai commencé la lecture… Et je l’ai poursuivie sans discontinuer, ignorant la faim et l’engourdissement des membres, feignant ne pas entendre les remontrances de mon épouse qui me rappelait qu’il y avait tant de travail à faire et que je ne le voyais pas… Je suis allé jusqu’au bout ! J’ai lu un livre !
« Femme au volant, danger au tournant. » Bien d’accord ! Mais il parait que ce n’est pas une vérité. Ils appellent ça un stéréotype. Une espèce de lunette filtrante que chacun a, collée à l’œil, qui lui permet de voir ce qui l’arrange, mais qui l’empêche de discerner et d’interpréter correctement la réalité d’autrui. L’enseignant doit se soigner quand il est borgne ou aveugle et que l’enfant non reconnu trinque et patine dans l’apprentissage.
Le désir ? J’avais toujours pensé que c’était un luxe et que seul le travail comptait… Mais non, c’est tout le contraire : le désir est moteur de projet et de travail pour l’élève. Le travail de l’enseignant est donc de susciter du désir. Pour cela, il faut du flair, des moyens et des outils. Le journal, FREINET, la pédagogie institutionnelle, vous connaissez ?
La dignité. Cela commence (comme dans tous les chapitres) par une histoire (c’est ça qui haletant et donne toujours envie d’atteindre le chapitre suivant) de gifles qui se donnent ou se perdent. Comment réagir et éviter qu’un jeune « se tape la honte » ? Les auteurs vous proposent (comme dans tous les chapitres) une typologie de réponses possibles et une analyse de la situation. Puis une exploitation et une théorisation. Enfin, des prolongements.
« Comment mobiliser l’élève dans le travail scolaire et comment l’aider à donner du sens à son travail, aux activités proposées à l’école ? » Car la mobilisation est affaire de sens et le sens ne peut se faire que par la mobilisation. Pour comprendre cela, il faut passer par l’interprétation du rapport au savoir : le sien et celui des élèves. Les auteurs proposent (comme dans tous les…) des conseils pour l’utilisation en formation de la situation-problème énoncée en début de chapitre sachant qu’il est possible que vous vous retrouviez, comme cela a été mon cas, dans la situation d’un formateur qui ne s’adresse qu’à un seul formé : lui-même. Le livre qui reprend des vécus, des réactions de praticiens et des analyses de chercheurs (les auteurs ne sont pourtant que deux, mais ils sont multitâches) peut se lire à de multiples niveaux.
Dans ce chapitre (comme dans tous…), il y de nombreux tableaux susceptibles de vous donner une vision schématique de la question traitée et une grille d’analyse de votre pratique et de votre (vos) classe(s). À la page 107, par exemple, vous trouvez un tableau qui détaille les trois sens du sens auxquels vous pourrez confronter n’importe quelle séquence de cours. L’activité proposée a-t-elle du sens pour l’élève ? Quel sens ? Pour quel élève ?
« Tout parent est réputé impliqué, affectivement, dans l’éducation de ses enfants et impliqué dans la réussite qui passe le plus souvent par une implication dans la réussite scolaire. » En amont du travail de mobilisation de l’élève, il y a, pour l’enseignant, un travail d’interprétation et de reconnaissance des histoires qui ont construit ces élèves, des milieux parentaux qui les ont hébergées et des rapports au savoir qui en sont la conséquence. Les jugements enseignants vis-à-vis des familles sont stériles, mais la compréhension des expériences et usages familiaux peut devenir un levier pour mettre l’élève en situation de pouvoir apprendre.
Le maitre est un roi nu qui n’a plus la feuille de vigne protectrice de l’autorité verticale traditionnelle. Que faire pour habiller le maitre de l’autorité indispensable et suffisante qui autorise le travail et l’apprentissage collectif ? Le chapitre commence par une histoire (comme dans…) de couteau et de paroles qui affectent, qui arment ou qui couteaurisent, adoucissent, autorisent…
L’autorité d’aujourd’hui est complexe, elle est fonction de trois variables : premièrement, le rapport du maitre à l’élève et à la classe, deuxièmement, le rapport au savoir et à l’apprentissage et troisièmement, le positionnement du maitre dans les rapports sociaux. Des nostalgiques de tous bords (des élitistes, des psys, des nouveaux pédagogues, des décideurs et des pragmatiques) veulent en revenir aux remèdes d’hier. Les auteurs démontrent que ces recettes ne sont pas bonnes pour les maux à traiter et ils font la démonstration d’une autorité qui s’élabore en lien avec la démocratie dans la classe et une socioconstruction des savoirs. Le prof doit parfois faire « un déplacement pour se mettre à côté des élèves » et « surtout du côté de leur classe sociale ».
Le livre donne des moyens, des analyses, des outils (comme…) et l’apport de la PI (pédagogie institutionnelle.
Même si j’ai terminé chaque chapitre un peu sur les genoux, parfois interloqué par les propos ou dépassé par les mots ou effaré par la complexité d’intégrer tout cela pour devenir un prof à moitié convenable, j’ai été chaque fois relancé par l’histoire qui commençait le chapitre suivant. J’ai lu cinq chapitres, 186 pages et voilà qu’on en arrive seulement à ce qui fait l’essence du métier d’enseignant : les savoirs. Je rêve ? À la 187e page, on me dit que tout ce que j’ai lu jusque-là sur les postures, le désir, la dignité, le sens et l’autorité est incontournable et que « le lecteur qui en sera arrivé jusqu’ici en ayant lu ce qui précède en est aussi persuadé que nous, sans quoi il aurait renoncé à cette lecture ». J’étais dans le déni ? J’ai voulu croire que la psychosociopédagogie n’était que jargon blablatant pour universitaires en mal de reconnaissance et pour profs en mal de promotion ? Est-ce pour ça que je n’ai jamais lu aucun livre ? L’histoire de ma mère et de ma sœur, ce n’est qu’un prétexte ?
Construire le savoir. Cinq séquences d’apprentissage sont relatées : en mathématiques, en français, en sciences, en écriture et en sciences humaines. Des activités que les auteurs analysent selon cinq filtres : l’activité de l’élève, l’activité de l’enseignant, le cadrage, les niveaux de formulation demandés et l’articulation au savoir constitué. Il s’agit bien dans chacun des cas de mettre l’élève en situation de produire du savoir. Les problèmes ne sont ni à sens unique ni à solution unique. Il n’y a pas d’évaluation pendant le processus de recherche. Les élèves sont invités à se soumettre à un code non pour être asservis, mais pour en jouer. Le cadrage de l’enseignant est fort, la séquence doit être murie par des recherches didactiques (comment transposer) et épistémologiques (quels sont les seuils épistémologiques à franchir). La situation de départ et les relances de l’activité sont pensées en fonction du but à atteindre et des pistes potentielles empruntées par les élèves. Le cadrage est large, tous les chemins sont acceptés et discutés par la collectivité des jeunes chercheurs de la classe. Pas de vérités assénées par l’adulte, mais des conjectures et des vérifications faites par la communauté scientifique locale
En produisant le savoir, c’est le rapport au savoir qui se transforme. L’activité de recherche nécessite une double posture : implication personnelle et recul. Les auteurs insistent beaucoup sur cette deuxième posture qui suppose une attitude de réflexion sur soi et sur son travail. Pour eux, c’est lorsque cette deuxième posture est manquante que les pédagogies actives deviennent des pédagogies activistes qui n’aboutissent à aucune structuration et qui laissent de côté une grande marge d’élèves « non-initiés » issus de cultures plus ou moins lointaines de celles de l’école.
Le livre… C’est singulier en ce qui me concerne puisque c’est le premier. Je n’oserais donc rien conclure, mais il me semble que le livre fait un tour très large de toutes les questions liées à l’école et aux apprentissages. Comme c’est large, c’est très touffu. Vous pouvez lire quelques pages, voire un chapitre et vous ne reviendrez pas bredouille de la lecture. Si vous lisez tout, vous allez vous dire : « Et après ? » Vous allez prendre conscience de certaines choses, de vos propres impérities, du caractère obsolète de certaines de vos méthodes. Vous aurez de multiples grilles d’analyse pour décortiquer votre pratique, celles des collègues et celles de l’école. Mais vous n’acquérez pas la capacité automatique de transformer vos postures, vos méthodes et vous-même. En tous cas pas tout seul, en restant dans votre coin. Ce sera le temps de faire partie d’une petite communauté en école ou ailleurs, pour produire collectivement des séquences de cours, des activités et en « produisant de l’enseignement », vous transformerez votre rapport à l’enseignement.