Dès le 2 septembre, ma collègue de 6e et moi annonçons à nos nouveaux élèves que cette année, ils vont faire des recherches en mathématiques. Nous demandons à chacun de mettre sur son nez ses lunettes mathématiques et commençons à observer la classe à travers celles-ci.
« Les fenêtres ont des formes de rectangles et de carrés. » « L’armoire des casiers est un rectangle formé de plein de petits rectangles de même grandeur. Ce n’est pas comme l’armoire des cahiers qui est aussi découpée en rectangles, mais pas tous de la même taille. » « Il y a des nombres écrits sur la latte, sur le thermomètre, sur l’horloge. Ils sont tous rangés par ordre, mais ils ne veulent pas dirent la même chose. » « Sur le pull de L., il est écrit 36. » Les lunettes semblent bien réglées, chacun a perçu des mathématiques autour de lui.
Il est temps de sortir et de découvrir, ensemble, le monde à travers nos nouvelles lunettes. Première étape de notre balade : la cour de l’école. Objectif : chercher des idées de défis mathématiques. Les idées fusent : calculer le périmètre de l’anneau du panier de basket, calculer la surface de tissu qu’il nous faudrait si on voulait transformer le goal de foot en tente, mesurer la quantité d’eau de pluie sur un mois… Deuxième étape, dans les rues de Louvain-la-Neuve, nous demandons à chaque enfant de ramener un objet qui lui donne une idée de défi mathématique. De retour en classe, les enfants mettent en commun leurs récoltes : une brique, des feuilles d’arbres de formes et de grandeurs variées, une capsule de bouteille, des bouts de bois, un caillou, une bouteille d’eau d’un litre… Autant d’objets qui pourront devenir le point de départ d’un travail mathématique.
Chaque enfant décide alors quel sera le défi mathématique qu’il se donne et le note en mots sur sa feuille de recherche mathématique (pour le moment une simple feuille quadrillée).
Mais, c’est quoi une recherche math ?
À cette étape de nos explications, il est difficile pour les enfants de savoir vraiment où aller dans ce travail de recherche mathématique (et pour le lecteur aussi surement).
Je vous propose d’essayer de conceptualiser les différentes étapes d’une recherche mathématique et de les illustrer à travers le travail d’un enfant. Cette progression est inspirée du travail de Marcel THOREL et Sylvain HANNEBIQUE, enseignants FREINET dans la région de Lille.
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1. Début : des idées, des essais… quand l’enfant pense avoir trouvé un défi, il va voir l’enseignant. Ce dernier veille à ce que le défi soit une recherche concernant un objet mathématique et que la suite que l’enfant veut donner à sa recherche est, elle aussi, bien mathématique. Enfin, c’est l’enseignant qui est le garant de la concordance entre les compétences de l’enfant et le niveau du défi qu’il veut se donner.
J. veut chercher combien de codes différents il est possible de faire avec les 6 chiffres 1, 2, 3, 4, 5, 6 et en n’utilisant chaque chiffre qu’une seule fois.
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2. Exploration : l’enfant cherche des exemples qui illustrent son défi. L’enseignant est là pour exiger plusieurs essais, pour faire formuler les problèmes rencontrés ou encore pour mettre l’accent sur la lourdeur de l’une ou l’autre méthode de résolution.
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J. essaie différentes possibilités. Au début, elle écrit chaque possibilité de code qui lui passe par la tête sans aucune organisation. Bien vite, elle se rend compte que ce travail est fastidieux et qu’elle n’est pas sure de ne rien oublier. Elle doit trouver une organisation dans la création de ses codes.
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3. Défi : l’enseignant va ensuite demander à l’enfant de généraliser ce qu’il pense avoir trouvé dans les exemples précédents. Il lui demandera de faire les mêmes essais, mais dans d’autres situations.
J. a essayé de créer des codes à 1 chiffre, à 2 chiffres, à 3 chiffres, à 4 chiffres, à 5 chiffres. Elle a chaque fois noté ses résultats et mis en évidence combien de codes il était possible d’inventer pour chaque nombre de chiffres.
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4. Démarche : à ce stade de la résolution du défi, l’enfant est souvent capable d’expliquer sa démarche de résolution. L’enseignant l’aide à mettre par écrit cette démarche.
J. a découvert une suite logique dans le nombre de codes qu’il était possible de créer en fonction du nombre de chiffres disponibles. Grâce à cette modélisation (voir ci-dessous), elle est maintenant capable de savoir très rapidement combien de possibilités de codes il y aurait si on utilisait 7 chiffres ou 10 chiffres.
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5. Présentation : sur une feuille A3, au fin marqueur noir, l’enfant présente le résumé de sa recherche au propre et l’expose à la classe.
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J. a résumé son travail sur une feuille de présentation. Elle n’a pas gardé tous ses tâtonnements, elle choisit de ne présenter que ses essais sur les codes à 6 chiffres. Elle se servira du tableau si des enfants ont besoin de plus d’exemples. Elle termine son explication par la découverte de la progression logique du nombre de codes en fonction du nombre de chiffres utilisés.
Travail de l’enfant
Des doutes et des écueils à éviter
Une des principales difficultés dans ce type de travail est de se mettre dans les pas de l’enfant, de ne pas tenter à tout prix de l’orienter ni de le devancer. Souvent préoccupé par le programme, il serait tentant de déposséder un enfant de son travail pour l’orienter dans ce que nous trouvons utile pour la progression du groupe.
Certains enfants ne vont pas très loin dans leur recherche et ont des difficultés à atteindre un niveau d’abstraction ou de généralisation de leur travail. J’interviens parfois sur une recherche mathématique pour pousser l’enfant, mais il arrive souvent que celui-ci réponde à mon incitation et me demande ensuite s’il peut continuer son défi. Dans ce cas, il me semble que je m’éloigne d’un principe fondamental qui est que l’enfant soit l’auteur de son travail. Chaque recherche mathématique est unique et il est essentiel d’accepter de prendre le temps. C’est seulement après avoir fait ses propres tâtonnements, tirer ses propres conclusions que l’enfant sera prêt à envisager d’autres chemins, dont ceux proposés par les mathématiciens d’aujourd’hui. N’oublions pas que les mathématiques sont une science qui évolue et qui se crée chaque jour. Pourquoi les enfants ne pourraient-ils pas aussi être les acteurs de cette création ?
De l’individuel au collectif
Quand un enfant est en difficulté pour résoudre son défi, qu’il n’est pas capable de donner une suite à son défi, quand il ne trouve aucune généralisation, le groupe est sollicité pour réfléchir ensemble au problème. Cet aller-retour permet à chacun de savoir sur quoi les autres travaillent et de nourrir la réflexion individuelle (il y a toujours plus d’idées dans plusieurs têtes).
Quand une recherche mathématique est finie, elle est présentée à la classe. Chaque enfant reçoit la photocopie de la feuille de présentation réduite en A5 et le groupe tente de s’approprier le concept dégagé. Quand un enfant a mené une recherche mathématique, qu’il l’a corrigée, qu’il l’a recopiée au propre et qu’il l’a présentée devant les autres, ce travail est alors reconnu et l’enfant se reconnait lui-même.
L’enjeu principal est de mettre à la disposition des enfants le langage mathématique et de les laisser libres d’en faire ce qu’ils veulent. Et ce qu’ils vont en faire nous intéresse et intéresse les autres enfants. Ils deviennent auteurs de leur activité scolaire.
Il est étonnant de voir et ressentir la bonne humeur et l’excitation qui règne lors de ces moments de travail. Même les enfants qui n’apprécient pas les mathématiques en général se prennent au jeu et ne font plus qu’un avec ce défi qu’ils ont choisi de mener et qui correspond à leurs préoccupations et à leur niveau du moment. Et puis quel plaisir lorsque, lors d’un rendez-vous de parents, S. demande fièrement si elle peut montrer sa recherche mathématique à sa maman.