Je vous jure qu’il était
là, je vous jure qu’il
était là au début !
Même si, je l’avoue, il
avait sur la pointe de
ses moustaches un peu
de peur. Mais, je vous
jure, il était là ! Mais
qui ? Ben ! Le plaisir
d’apprendre !
Fin de matinée difficile d’un weekend d’écriture
! On réfléchit et écrit ensemble sur le
plaisir d’apprendre. Mais ce n’est pas la joie,
une série de choses font que je n’ai plus envie
d’être là ! Mais loin, loin, loin…
LÉGÈRETÉ, AVANCER, TOMBEAU, SOUVENIR,
OUBLI, SUR LE CÔTÉ
La douche est prise, les cheveux secs, le petit déjeuner
avalé, la tension monte, mais j’ai confiance. On y
est, le moment tant redouté de ce weekend d’écriture.
Il faut écrire !
Premier réflexe, dès l’annonce de la consigne, je
ressens l’envie de m’isoler, de me mettre sur le côté.
Enfin, je ne suis pas tout à fait seule, une amie n’est
pas loin et tente aussi d’écrire. Mais ce n’est pas grave,
au contraire ! En quittant le groupe pour écrire, je me
disais que je n’arriverais peut-être pas à faire l’exercice
sans entendre les bruits des stylos, les touches d’ordinateurs
qui chauffent, les gratouilles dans les cuirs chevelus,
les longues inspirations et expirations, un peu
comme si j’avais besoin de cette couverture imaginaire
pour garantir que je me mettrais au boulot. Tout va bien
donc ! Le groupe n’est pas trop loin.
On doit écrire un récit sur un moment d’apprentissage
donné ou reçu ! Ouf, comme je ne suis pas enseignante,
j’ai peur de ne pas être à ma place ici, de devoir
contourner les consignes pour
entrer dans la bonne boite. Mais
ici, tout va bien, je ne me sens
pas si différente et je n’ai pas
l’impression que je n’ai rien à
écrire, rien à dire.
Première idée pour écrire me
vient tout de suite, mais repart
aussitôt, c’était un souvenir soudain, mais impossible de
m’en rappeler au moment de gratter les touches de mon
ordinateur. En dix secondes, ma bonne idée, oubliée ! Je
panique légèrement, mais pas trop. Je m’installe dans
mon petit fauteuil, tête baissée pour ne pas trop réfléchir
à cet oubli… Je fais inconsciemment ce qu’un des
animateurs nous a demandé : ne pas trop réfléchir et se
lancer, même si c’est dans le vide. Le portable sur mes
genoux, prête à écrire, je prends naturellement un petit
détour, je recopie studieusement les six mots à replacer
dans le texte. Je ne suis pas trop inquiète pour ça, en
général je m’en sors bien avec ce genre de truc. Je les
recopie dans le désordre et décide de ne pas reprendre
les mises en tension choisies par mes camarades, trop
contraignantes. Un pas de recul pour mieux sauter ? Je
ne sais pas.
Spontanément, je me dis que je suis en train de vivre
un moment d’apprentissage alors pourquoi ne pas simplement
écrire sur ce que je vis, en direct différé. La
course prend fin, on peut enfin s’assoir sur le banc et
profiter du Soleil.
Apprendre un nouveau truc.
Apprendre un truc à l’autre.
Partager à deux.
Écrire seule.
Débattre en groupe.
Écrire en groupe le compte rendu de nos débats.
Réfléchir ensemble.
Lancer des idées.
Faire une affiche ensemble puis tout seul.
S’arrêter sur ce qui n’a pas été.
Stresser de présenter un truc qu’on n’a pas fait comme
les autres.
Se demander à quoi ça sert.
Commencer à décrocher petit à petit.
Regarder autour de soi pour chercher s’il n’y a pas
d’autres regards perdus.
En trouver.
Se détendre parce qu’on est plus seul.
Continuer à faire confiance et essayer de suivre les
consignes. Mais le coeur n’y est plus.
Pas assez de consignes ? Trop d’activités ? Je cède aux
premiers obstacles ? En réalité, tout ça manque terriblement
d’humour, un peu trop sérieux à mon gout.
Mais enfin ma chère ! On ne peut pas toujours rigoler !
Ah bon ? Autant pour moi !
Malgré tout, j’écris.
Je suis de mauvaise humeur et pour tant, j’écris.
Je n’ai pas envie d’écrire et pourtant, j’écris.
La tension redescend un peu parce que je me dis que
j’ai au moins écrit un petit truc à montrer aux autres,
mais en même temps je n’ai pas l’impression de faire ce
qu’on attend de moi. Je suis mal à l’aise, mini-boule au
ventre. Est-ce que j’écris quelque chose de lisible ? Je
n’en sais rien ! On interprète les consignes ! Mais tout
de même ! Alors, on peut faire n’importe quoi ? Tout
est bon ?
Quand je pense que je stresse d’écrire alors que le
plus difficile, ça sera de lire aux autres ce que j’ai écrit.
Me jeter en pâture, pas au groupe, mais à moi-même.
Ce n’est pas possible, je suis encore en train d’écrire
sur ce qui se passe et j’ai l’impression que je n’arrive pas
à dépasser ce stade pour rentrer dans le vif du sujet. Je
prends des détours ou ce que je fais est tout de même
intéressant ? Valable ? Oh arrête de te poser tant de
questions et vas-y !
Et moi qui, tout ce temps, croyais que je m’étais jetée
à l’eau, mais en fait je ne fais que tourner autour de la
page.
Plaisir d’apprendre… Je ne vois pas là, désolée, mais
je n’y suis pas du tout ! Je n’ai pas l’impression de jouer
le jeu. Je vais à contrecourant. Je prends du plaisir ?
Non ! Peut-être plus tard ? J’appréhende. Ce n’est pourtant
pas voulu par le cadre dans lequel je me trouve, au
contraire. Mais forcé de constater que ça coince.
Et ils font comment les enfants qui ressentent ça ? Ils
ne doivent pas tous pouvoir se dire comme moi : ben je
fais, on verra, bien ! Je prends un petit détour et ça devrait
le faire… Ils doivent être terrorisés. Constamment
en train de trouver des stratégies face à l’inconnu, au
trop loin de soi. Et ils font comment si leur prof ne sait
pas ou ne sait plus ce que ça fait de ne pas savoir ? D’être
en situation d’apprentissages ? Les peurs et les enthousiasmes
que ça peut produire ?
En fait, moi, je ne suis pas si loin sous des airs de
contourner la consigne, j’arrive quand même à me demander
si je prends du plaisir. Quel luxe ! Pour y arriver,
il faut juste que je persévère, que j’arrive à aller plus
loin, plus en profondeur. Je ne vois pas ce que je peux
faire maintenant à part continuer à avoir confiance et
continuer à avancer pas à pas. Aucun risque à l’horizon.
On lit nos textes aux autres, on est trois en tout, on
va pouvoir aider les autres pour le texte. Par succession
de lectures et rebonds. Le plaisir semble repointer son
nez. Je n’y croyais plus. Mais reste la délicate étape de
lire mon texte.
Ce qui me stimule le plus c’est de pouvoir aider les
autres à aller plus loin et peut-être autrement. C’est
exaltant d’arriver à un début de compréhension de
l’autre et de se rendre compte qu’on parle de la même
chose, même si on a des points de vue différents. Le
plus dur, en fait, ce n’est pas d’écrire, ni de lire son
texte, mais de ne pas avoir d’échos, d’être seul face à ses
doutes. Vraiment aucun plaisir là-dedans.
Dans mon groupe de trois, l’une a un air de début
de satisfaction de son ébauche et l’autre cherche immédiatement
à se rassurer en nous prévenant qu’elle n’est
pas contente de ce qu’elle a écrit. Je me sens mieux, je
ne suis pas seule dans ma noyade annoncée. Je retrouve
de l’énergie, l’envie d’écouter les autres et de réfléchir
ensemble. Il y a de nouveau de l’humain, du partage,
des sourires encourageants, des mines rassurées, prêtes
à repartir de plus belle, des doigts qui promettent de
taper plus vite que leur ombre. Tout semble plus simple
et couler tout seul, ça doit ressembler à ça le plaisir.