J’écris ces lignes après mon retour des Rencontres pédagogiques d’été (RPé) : moment magique de rencontres, plaisir d’observer les profs reprendre le rôle d’apprenants, enchainement de discussions passionnantes, témoignages les uns après les autres du souci de l’élève.
Tout ça pendant leurs vacances et financé, pour la grande majorité, de leur propre poche. Mais ils sont fous de faire ça ! Ils doivent être des militant·e·s !
Passons le fait que pour beaucoup de participants les RPé représentent un sacré coup de fouet avant la rentrée. Mais que veut dire être militant quand on enseigne à l’école ? Est-ce nécessairement faire des heures sup, passer ses vacances à suivre des formations, travailler plus que les autres ? Doit-on se sacrifier pour la cause ? Sacrifier sa vie de famille ?
Évidemment que non ! Oui, militer à CGé signifie participer à des réunions et des productions hors heures de travail. Mais, je postulerais que le plus important dans la militance pour plus d’égalité scolaire est en classe, avec les enfants, pendant les heures de travail.
« Prendre conscience de la manière dont l’école est conçue. »
Et, un pas important vers cette militance, avant toute application de techniques, pédagogies ou d’autres approches nouvelles, est le changement de posture. C’est prendre conscience de la manière dont l’école est conçue d’une façon à discriminer structurellement les milieux populaires, de la manière dont le système arrive à leur faire croire qu’ils sont incapables, de les trier, de les classer en partant d’une norme considérée comme naturelle[1]Voir le chapitre d’introduction de M. Millet et J.-C. Croizet, L’École des incapables ? La maternelle, un apprentissage de la domination, 2016.. Militer c’est partir de cette prise de conscience pour, localement, dans sa classe, renverser les choses.
Un exemple parlant est le redoublement dont j’ai déjà parlé dans le TRACeS précédent. Définir un référentiel de compétences pour un niveau donné et faire répéter cette année à un élève autant de fois que nécessaire est considéré comme normal. On estime même souvent que ce n’est pas faire un cadeau à l’enfant que de le laisser passer à l’année suivante s’il n’a pas répondu aux attentes.
Changer de posture en classe, c’est, entre autres, remettre cette normalité en question. C’est accepter que les enfants aient des rythmes d’apprentissage différents qui s’étalent sur plusieurs années (sur tout le tronc commun !), et que dans ce contexte, le travail d’enseignement change fondamentalement d’un rôle d’exécution d’un programme fixe pour une année donnée à la gestion d’un groupe hétérogène avec le but d’amener chaque enfant à un socle commun de connaissance sur l’ensemble de la période. On perdra donc la notion assez linéaire de l’apprentissage tel qu’on le vit aujourd’hui, pour le remplacer par des parcours très personnels et une différentiation en classe. On perdra aussi la logique d’un travail seul, classe par classe et année par année pour aller vers un travail plus collectif de l’équipe éducative pour suivre ces parcours individuels. Et ces changements impliquent aussi des efforts, de chaque membre de l’équipe, sur les éléments génériques comme la langue d’apprentissage et les malentendus qui représentent si souvent un obstacle pour les enfants.
Il ne faut donc pas sacrifier famille et vie sociale pour militer pour plus d’égalitaire scolaire. Il suffit d’embrasser le changement de perspective décrit ci-dessus, le vivre, l’appliquer et, éventuellement, convaincre ses collègues.
Et puis, qui sait ? Après avoir suivi des formations adaptées dans le programme officiel[2]Toute une série des formations CGé se retrouvent aujourd’hui dans le catalogue des réseaux. viendra aussi un jour le désir de se retrouver avec d’autres qui partagent ces valeurs, pendant les vacances, libre des obligations du quotidien et libre de rêver ensemble…
Notes de bas de page
↑1 | Voir le chapitre d’introduction de M. Millet et J.-C. Croizet, L’École des incapables ? La maternelle, un apprentissage de la domination, 2016. |
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↑2 | Toute une série des formations CGé se retrouvent aujourd’hui dans le catalogue des réseaux. |