Entre socialisation et qualification

L’obligation scolaire portée en 1984 à l’âge de dix-huit ans cheville les jeunes sur les bancs des écoles.

177008-2.jpg Pour certains, cette situation relève de la gageure : l’école ne les intéresse plus, ils piétinent, s’absentent, décrochent… Ils sont impatients de rentrer dans la vie professionnelle.

En 1985, la création des Centres d’Enseignement à Horaire Réduit permettait aux jeunes de se frotter au monde de l’entreprise tout en allant à l’école à mi-temps.

Quelques années et quelques réformes plus tard, les désormais « Centre d’Éducation et de Formation en Alternance », ou CEFA, sont des filières à part entière, débouchant sur des certifications qualifiantes similaires à l’enseignement technique et professionnel de plein exercice.

L’alternance repose sur une concertation et coopération réelle entre CEFA, jeune et entreprise. Elle oblige une mise en commun des informations et des ressources qui permet aux jeunes de suivre un parcours cohérent et qualifiant. Souvent du « sur mesure », le projet est dessiné en fonction du jeune, adapté à son niveau et à la réalité de l’entreprise. Aller en entreprise permet de confronter la théorie à la pratique mais aussi acquérir des compétences sociales comme l’expérience du rythme de travail, des relations au sein de l’équipe des travailleurs, du rapport à l’autorité d’un patron. C’est souvent l’occasion pour de nombreux jeunes de dépasser la vision idéaliste du monde du travail ou d’un métier. Dans le meilleur des cas, la connaissance réciproque entre un travailleur et un employé potentiel débouche sur une possibilité d’embauche.

Accompagnateur

L’accompagnateur est chargé du lien entre l’entreprise, le jeune et l’équipe éducative.

J’assure également des heures de cours techniques des jeunes dont je suis l’accompagnatrice dans le secteur des auxiliaires administratifs et d’accueil. Cette double fonction me permet à moi aussi d’être en lien avec la réalité professionnelle du métier et d’être un interlocuteur privilégié pour les entreprises. Comme je circule dans de nombreuses orientations d’une même filière, je me rends compte de l’évolution de celle-ci. Le développement continuel et rapide des nouvelles technologies ont modifié et développé un nouveau profil de secrétaire polyvalent(e).

Je peux conseiller la relation entre l’employeur et le jeune, suggérer certaines organisations… En outre, cette position alimente un double regard sur le jeune, qui présente un visage différent à l’école qu’en entreprise mais qui, souvent dans les deux situations, vit des difficultés similaires ou reproduit les mêmes erreurs.

Évaluation continue du jeune

Ma fonction demande un travail d’évaluation continue du jeune en entreprise car la signature du contrat et l’établissement du plan de formation concrétise le lien école entreprise. Une première rencontre avec un futur patron me permet de découvrir l’entreprise, de faire préciser au patron ce qu’il attend d’un stagiaire, et de lister avec lui les compétences du programme qui seront activées pendant l’apprentissage. Lors de la signature des contrats, je précise au patron que je relayerai auprès de l’équipe éducative ses attentes et que celle-ci essayera dans la mesure du possible de répondre à ses demandes ponctuelles en matière d’apprentissage. En matière de logiciel informatique par exemple. L’équipe pédagogique va soutenir le jeune dans sa démarche par des apprentissages appropriés sensés lui faciliter le parcours. Régulièrement, tout au long de l’année de formation, je dois me rendre en entreprise pour évaluer avec le responsable en entreprise le chemin parcouru par le jeune et les compétences acquises. La première évaluation se fait à la fin de la période d’essai. Elle a pour objet les attitudes du jeune face au monde du travail : la ponctualité et la régularité, le rapport aux consignes, les liens avec le chef d’équipe ainsi que les autres travailleurs, la motivation… Ensuite, j’essaye de faire encore quatre passages en entreprise pour évaluer les apprentissages professionnels sur base du plan de formation défini lors de la signature du contrat. En outre, lorsque la communication se fait difficilement entre le patron et le jeune, sur un sujet ou un autre ou lors de conflits, j’interviens afin de permettre une clarification.

Cette filière d’apprentissage permet le projet personnel à travers le projet d’école ou mieux l’individualisation du projet de l’école. Elle dynamise l’école. Moi, elle me mobilise sur du concret, sur la nouveauté, sur l’humain. Elle me donne l’impression d’être un outil d’une réelle construction d’un apprentissage, de participer à la concrétisation d’un rêve.

Difficultés

Les jeunes ont six mois pour trouver un stage, faute de quoi ils n’atteignent pas le nombre des six cents heures exigées pour présenter les examens de fin d’année. Quand ils ont trouvés un stage, il faut qu’ils s’habituent au rythme du travail, qu’ils répondent aux attentes des patrons, transfèrent les compétences apprises au CEFA et les développent, fassent preuve d’initiative, comprennent et intègrent la culture de l’entreprise et enfin apprennent à travailler avec les équipes de travail… Et tout cela dans un minimum de temps. C’est une énorme pression. Les jeunes fragilisés par des situations sociales ou familiales lourdes ne peuvent y faire face. Certains quittent l’emploi trop dur ou ne correspondant pas à leur vision du métier. D’autres ne peuvent assumer le rythme alterné des deux mondes différents que sont l’école et l’entreprise. Ils décrochent de l’école tout en continuant leur stage. Le rôle de l’accompagnateur (en concertation avec l’équipe pédagogique) est essentiel dans ce cheminement. Le jeune peut venir le trouver à tout moment parce qu’il le connaît et connaît son projet.

Réussites

Citons le cas d’une jeune fille, qui en était à sa troisième filière de formation et qui souhaitait faire un essai dans l’administratif. Elle s’est montrée très performante dans cet emploi : compétences d’organisation, d’ordre et de gestion du secrétariat. Stagiaire puis engagée par une agence immobilière, elle est la mémoire de l’équipe constituée principalement d’indépendants en contact avec les clients.

Une autre jeune fille a gravi en trois années scolaires de nombreux échelons dans un hôtel. Après deux ans, elle a été engagée à la réception et a fait un intéressant travail de fin d’études sur la comparaison du travail de réceptionniste dans les différentes filiales de la chaîne hôtelière.

Il y a cet autre qui a introduit, dans l’agence de voyage pour laquelle elle travaillait, les PowerPoint, et en a fait bénéficier toute l’équipe.

Ces exemples parmi d’autres, démontrent l’impact d’un contact réussi avec le monde professionnel. Le jeune est valorisé par le regard que les adultes posent sur lui et sur le travail qu’il fournit. Les évaluations continues lui permettent de comprendre ses atouts et ses faiblesses. Dans les trop nombreux cas d’échecs dont les causes sont multiples, il est important pour le jeune de faire le bilan du chemin parcouru et des écueils rencontrés afin d’en tirer les leçons et d’envisager un nouveau parcours : retour au plein exercice, formation d’adulte…