On pourrait dire que le maître c’est le maître des inhibitions, dans le sens qu’il pourrait détecter quelles sont les inhibitions et essayer de disposer les choses, et les groupes, et les relations avec chacun, de telle façon que ça libère une partie des inhibitions. Par exemple, on sait très bien que des apprentissages difficiles comme l’orthographe, le calcul, sont souvent liées à des inhibitions qui sont massives et qui se renforcent de plus en plus par les méthodes traditionnelles. Alors le maître, ce serait celui qui aurait la science de pouvoir disposer les choses pour qu’il y ait, d’une part, le moins d’inhibition possible, et, d’autre part, le pouvoir de délier, de défaire ces inhibitions, qui sont variables avec chaque élève, chacun ayant son style d’inhibition. Il y a des inhibitions individuelles, mais aussi des inhibitions collectives, lesquelles sont bien plus redoutables : elles écrasent tout. _ Autrement dit enlever ce climat épouvantable surtout pour certains enfants, que j’avais appelé il y a longtemps un climat de fin du monde permanente, un climat de jugement dernier (…)
Donc, le maître serait quelqu’un qui se débrouille dans ce monde très difficile des inhibitions, et qui orienterait ce qu’on peut appeler, d’une façon à mon avis un peu fallacieuse, le savoir.
Quand on arrive à créer un lieu, une certaine surface, déblayée, pour que les ailleurs puissent revenir, on dit : “ On entendrait voler les mouches ! ” C’est à double sens parce que si à ce moment-là on entend vraiment la mouche, on n’entend plus ce que dit le maître : on est dans une assemblée de phobiques : ils sont là à guetter les mouches ! Il faut donc créer non pas un lieu de silence où la mouche puisse se faire entendre, mais quelque chose qui est de l’ordre, non pas d’une parole proférée mais de ce qu’on appelle d’une façon plus précise, et plus technique, une possibilité d’émergence du dire ; c’est le propre de la “ dimension ”. C’est-à-dire présenter une surface où il puisse y avoir quelque chose qui se dit. Et souvent le dire, il est silencieux, on ne l’entend pas. Or ce qui compte ce n’est pas le bruit de la parole, c’est bien plus ce que ça va faire émerger, même plus tard peut-être pas sur le moment, peut-être dans la nuit, dans les rêves. Ca compte beaucoup le travail inconscient ; en fait il n’y a que ça qui compte, le travail inconscient qui est déclenché par cette espèce d’exercice. Le maître c’est celui qui va déclencher un travail inconscient productif, dans l’assemblée. Il est certain qu’à ce moment-là lui-même en est de l’assemblée ; il n’est pas en face à projeter des bombes de savoir sur le pauvre peuple. ”
Extrait de 11 heures du soir à Laborde, Jean OURY (Édit. Galilée)
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