Intervenants à l’Antenne 110[1]L’Antenne 110 est un établissement de rééducation conventionné par l’INAMI pour recevoir des enfants souffrant de troubles envahissants du développement et de troubles graves de la … Continue reading , nous avons transcrit le dialogue d’un atelier où une enfant, Aline, 8 ans, fait l’institutrice et où Dimitri, 7 ans, joue à faire l’élève. Ils ont travaillé, dans un premier temps, sur les animaux sauvages et la fin de l’atelier a consisté à faire deviner, par l’élève, quel est l’animal décrit par l’institutrice.
Aline : Vous allez deviner un animal que je vais vous dire. Qu’est-ce qui est gris et blanc et qui bruit de mâcher et qui a des grandes oreilles comme un cheval ? Ça commence par « z ». Vas-y ! Un zèbre.
Dimitri : Un zèbre !
Aline : Bravo Dimitri ! Alors, qui fait euh… Qu’est-ce qui a une longue… longue queue et qui est blanc et qui fait « waw waw » ?
Dimitri : Un lion ?
Aline : Non, c’est quelqu’un.
Dimitri : Un lion ?
Aline : C’est quelqu’un, un animal, c’est comme une panthère, tu vois ? C’est quoi comme animal ?
Dimitri : Une lionne ?
Aline : Non, c’est pas une lionne, c’est une panthère !
Dimitri : Une panthère.
Aline : Voilà ! Qu’est-ce qui est grand et qui a des grandes taches partout comme ça, et qu’est-ce qui marche et qui a des grosses cornes ? Tu sais ce que c’est ?
Dimitri : Oui…
Aline : Une girafe. Dimitri, c’est quoi une girafe ?
Dimitri : Une girafe, elle a un grand cou, un long cou. Elle peut manger les picots.
Aline : Alors, qu’est-ce que c’est un chameau ?
Dimitri : Un chameau, il a une grosse bosse ; il peut courir ; il est grand ; il peut manger ; il peut aller au pays chaud, très chaud.
Aline : Qu’est-ce que c’est un singe ?
Dimitri : Un singe, il mange des bananes ; il voit des bananes ; alors, on jette des bananes, alors il vient, il les mange et alors il vient sur les arbres.
Aline : Qu’est-ce que c’est un orang-outang ?
Dimitri : Un orang-outang, c’est un gros singe, avec des yeux, et il mange des ba-nanes aussi.
Aline : Et qu’est-ce que c’est un éléphant ?
Dimitri : L’éléphant, il fait « hin hiiinnn » ; il est fort ; il peut aussi faire peur aux lions et aux lionnes.
Aline : Qu’est-ce que c’est un guépard ?
Dimitri : Le guépard, c’est le guépard, il court le plus vite possible du monde.
Aline : Et qu’est-ce que c’est une gazelle ?
Dimitri : Une gazelle, c’est un petit bébé, avec une maman, elle fait son petit. Après la gazelle, il court.
Aline : C’est quoi un tigre ?
Dimitri : Un tigre ? Un tigre, il vit en Asie ; il peut manger aussi les animaux ; il peut manger aussi les… ché plus.
Aline : Qu’est-ce que c’est un buffle ?
Dimitri : Un buffle ? Un buffle, c’est un gros animal ; il court le plus vite ; il peut dé-fendre avec « serkân » les bébés animaux.
Aline : Et qu’est-ce que ça mange un renard ?
Dimitri : Un renard ? Le renard, il mange des poules, les poules mortes ; il mange les poules, ils sont vivants ; il « sache ».
Aline : Et qu’est-ce que c’est un chien d’sache ?
Dimitri : Un sien de chache ? Il y a des animaux, alors il court le plus vite ; il fait « pan pan pan pan » ; après il mange.
Aline : Qu’est-ce que c’est une coccinelle ?
Dimitri : Une coccinelle, c’est une toute petite, rouge ?
Aline : Et qu’est-ce que c’est une chenille ? Qu’est-ce que ça fait une chenille ?
Dimitri : Une chenille, c’est un papillon.
Aline : Quand la chenille devient un papillon, qu’est-ce qu’il se passe ?
Dimitri : Alors, il vient un adulte.
Aline : Est-ce qu’elle sait voler ? Est-ce qu’elle reste dans son nid ?
Dimitri : Il sait voler.
Aline : Et quand elle sait voler, elle mange quoi la chenille ?
Dimitri : La chenille, je vais te dire, elle mange des petites feuilles.
Aline : Et qu’est ce que ça mange un escargot ?
Dimitri : Les escargots, ils mangent des feuilles ; ils mangent de la salade ; et aussi les petites bêtes.
Aline : Un escargot, est-ce que ça peut avancer ou ça court vite ?
Dimitri : Ça peut avancer ; mais il court pas vite.
Aline : Est-ce qu’une chenille court lentement ? Ou est-ce qu’une chenille court très lentement ?
Dimitri : Très lentement.
Aline : Est-ce qu’une coccinelle vole ? Ou elle atterrit ?
Dimitri : Il vole.
Aline : Est-ce qu’une coccinelle nage ou vole ?
Dimitri : La coccinelle, il vole.
Aline : Est-ce que un chien vole ou nage ?
Dimitri : Il sait nager.
Aline : Est-ce qu’un chien adore les croquettes ou les biscuits ?
Dimitri : Les croquettes et les biscuits.
Aline : Est-ce qu’il aime bien du jus ou de l’eau ?
Dimitri : De l’eau.
Aline : Et est-ce que les chats adorent de la pâtée ?
Dimitri : Il mange pas la pâtée ; il boit du lait.
Aline : Est-ce que les chiens chassent les lapins ?
Dimitri : Les chiens, ils chassent les lapins, non ; parfois oui.
Aline : Les lamas savent voler ou manger ?
Dimitri : Les lamas ?
Aline : Est-ce que les lamas savent grimper ou voler ?
Dimitri : Grimper.
Aline : Les lamas, est-ce qu’ils ont peur des lézards ou des caméléons ?
Dimitri : Les « macéléons».
Aline : Est-ce que les tigres, ils ont peur des baleines ou des pieuvres ?
Dimitri : Les tigres, ils savent nager ; mais ils vit pas tous ensemble ; ils vit que en Asie.
Aline : Est-ce qu’un flamant rose, ça vole ou ça atterrit ?
Dimitri : Ça vole.
Aline : Qu’est-ce que les flamants roses mangent ? Des calamars ou des frites ?
Dimitri : Des « caramars».
Aline : Est-ce que les mouettes mangent du poisson ou du poulet ?
Dimitri : Du poisson.
Aline : Fini.
Dimitri : Fini aussi.
Le dialogue est pris tel quel. Il nous indique avec justesse la position des deux prota-gonistes. Il a le mérite de nous enseigner sur l’insertion de ces deux enfants dans la réalité et dans le langage. Il n’y a pas de problème apparent pour Aline pour qu’un tigre puisse rencontrer une pieuvre ou une baleine sur son chemin. Et pour Dimitri, à suivre la syntaxe de ses phrases, un chien de chasse court très vite, tire sur les animaux et mange ensuite.
Leur arrimage à la réalité, la réalité commune qui fait lien pour nous, reste fragile pour ces deux enfants. Cette fragilité, cette inscription sur les bords de la langue, ces rup-tures entre certaines idées, tout cela est, dans un premier temps, à entendre. Ensuite, il s’agit de prendre en compte ces discordances, ces dissymétries, ces questions à côté d’un sens possible, pour cibler d’une façon adéquate tout enseignement possible. Ne pas y être attentif risque de nous conduire comme enseignant dans une impasse, car tout enseignement implique des systèmes de pensées logiques et organisés.
De nombreux enfants ne s’inscrivent pas dans ce que Lacan appelle « l’ordre symbo-lique », soit une organisation structurée du langage. Le plus souvent, ils trouvent d’autres façons d’apprendre qui s’avèrent moins stables. Certains enfants se servent par exemple de leur mémoire sans comprendre, d’autres se repèrent sur l’image sans accéder au concept.
Éviter l’échec scolaire nécessite de prendre la mesure de ces difficultés. Et d’assurer ensuite à ces enfants une présence et une attention particularisée pour les mener de leur savoir singulier – parfois bizarre – à un savoir commun. L’enseignant doit pouvoir faire preuve d’un savoir-faire, de patience et d’un désir assidu de comprendre la lo-gique en jeu qui se déplie pour ces enfants.
Notes de bas de page
↑1 | L’Antenne 110 est un établissement de rééducation conventionné par l’INAMI pour recevoir des enfants souffrant de troubles envahissants du développement et de troubles graves de la personnalité. La socialisation et la réinsertion scolaire constituent les objectifs de fond visés par l’ensemble des rééducations. |
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