Et ça continue encore et encore

Les milieux populaires à l’école, qu’est-ce que ça donne ? De l’échec scolaire à tous les échelons et de la relégation loin de l’enseignement ordinaire et du général. Avec quelques exceptions qui donnent de l’espoir d’un côté et de mauvais arguments pour d’autres : y en a quand même qui y arrivent… Pourquoi changer ?

Ce constat de ce que l’école rate est le fil rouge de ce dossier, celui de nombreux articles de TRACeS et plus largement, le combat de CGé, depuis plus de 40 ans.
Quand je suis arrivée de ma campagne à Bruxelles, le fossé entre les écoles m’a sauté aux yeux dès les premiers stages de ma formation d’institutrice. Cette formation où on faisait comme si une école était une école, un élève égal à un élève. Et quand on nous envoyait en stage, on ne savait pas très bien comment nous dire qu’il fallait varier les niveaux, mais aussi les types d’écoles !
On faisait un peu de psychologie, mais pas du tout de sociologie. La didactique, oui, mais en milieu populaire, non… La méthode de lecture alors prônée, c’était la méthode fonctionnelle. Ce fut magique comme méthodologie lors de mon premier emploi dans une classe de première année, avec 27 élèves d’origine turque ou polonaise ! Je n’avais jamais entendu parler ni des rapports au savoir, ni du conflit de loyauté, ni de la tension entre reconnaitre et exiger, ni de l’écart entre les cultures populaires et la culture de l’école…
Heureusement pour moi, et pour les élèves, j’ai quitté l’enseignement ordinaire pour aller travailler dans l’enseignement spécialisé, me disant qu’avec la moitié de l’effectif, ce serait moins dur et qu’en tout cas, je ferais moitié moins de dégâts ! Treize élèves étiquetés Type 1 et Type 8, ça restait difficile… mais dans cette école-là, j’avais plus de liberté quant au travail à faire dans la classe avec les élèves et aussi dans les rapports avec les parents. J’ai vite compris que si je voulais pouvoir être fière de mon boulot, je devais le remettre sur le métier à travers des lectures, des formations, la participation à des groupes de travail…

C’est que le début…

Je me rappelle d’un homme, Jean-Luc que j’étais allée interviewer dans le cadre d’une étude sur les familles populaires. J’avais une série de questions à lui poser par rapport à sa scolarité et à celle de ses enfants. Il était sorti de primaire sans savoir ni lire ni écrire. Quand il est devenu père, il a confié l’éducation de son fils à quelqu’un de sa famille, assez loin de chez lui, il ne pouvait pas perdre la face. Ça m’a fort secouée, et pas seulement parce que j’étais enceinte jusqu’aux yeux. Après une rencontre pareille, on est forcé d’être prioritairement préoccupé par les élèves qui n’y arrivent pas.
Une institutrice maternelle me disait : « Si Joseph s’ennuie un peu, ce n’est pas grave, il a tout ce qu’il faut à la maison, mais pour Karim ce qu’il apprend à l’école est déterminant. Et puis Joseph peut observer les autres. » Cette posture-là n’est pas celle que j’avais en début de carrière, ce n’est pas non plus celle qui est la plus courante chez les enseignants. Combien se permettent de retravailler des prérequis non acquis ou pas assez solides, par exemple au niveau du concept de quantité, alors qu’en suivant le programme on en est à travailler les opérations sur les nombres ou ces satanées opérations à trou ? Et c’est encore pire quand dans l’école, on a travaillé à une espèce de continuité divisée en tranches selon les années (au mieux les cycles), et qu’il faut avancer, coute que coute.
Pas étonnant que des élèves de 20 ans en technique qualification ont du mal à y croire et ne font toujours pas de différence entre un participe passé et un infinitif alors qu’ils sont capables de poser de vraies questions sur des sujets complexes. Le fossé entre leurs compétences à l’oral et la faiblesse de la forme de leurs écrits est profond et abrupt.

Ça ne peut pas cesser de durer ?

Dans l’école, il y a cette attente de l’élève sans difficulté ou qui cesse de l’être dès qu’on met quelque chose en place. Pareil avec les parents, il y a une attente du parent acceptable avec lequel il y a moyen de dialoguer et aussi le besoin d’être reconnu comme professionnel et donc, que les solutions proposées soient acceptées et non discutées.
Le travail à domicile qui cristallise matériellement les liens entre la classe et la maison a été régulé par un décret qui va dans le bon sens pour lutter contre la reproduction des inégalités. Mais qui le connait ? Qui en tient compte ? Dans quelles écoles est-ce parlé avec les parents ?
Les parents des milieux populaires sont mal à l’aise avec les professionnels de l’école. Ils se sentent jugés et gauches… Les professeurs sont aussi mal à l’aise avec ces parents-là. Et c’est vrai que dans la formation, quid de l’apprentissage de la manière de faire un entretien avec un parent ou de mener une réunion collective. On apprend sur le tas ou pas.