Et la tendresse dans tout ça !

Des situations difficiles ou particulières de stage en formation de futurs enseignants, on en rencontre assez souvent. Des décisions à prendre, mais guidées par quoi ? Le règlement ? Les convictions ? Les hypothétiques conséquences de ces décisions ? … ou la tendresse ?

«Jérôme» est un étudiant en première année de régendat. Son premier stage s’est très mal passé, et à plusieurs niveaux : communication avec le maitre de stage défaillante, préparations très insatisfaisantes (alors que Jérôme avait manifestement beaucoup travaillé), et, en classe, face aux élèves, manque d’aisance et d’expressivité. Tout cela à un point tel que son stage a été arrêté au bout de deux leçons données aux élèves : une décision prise de commun accord entre le maitre de stage et les professeurs de l’école normale.
Nous nous retrouvons dans le bureau de la directrice pour rencontrer Jérôme et ensuite décider : allons-nous lui réorganiser un stage ? C’est indispensable pour qu’il conserve une possibilité de réussir son année. Le règlement des études ne dit rien à ce sujet. Les progrès que Jérôme doit accomplir en peu de temps sont vraiment importants, et il n’en a pas pleinement conscience. Et puis, il y a les élèves de ses classes de stage qui doivent apprendre quelque chose, et aussi les relations à soigner avec les maitres de stage. Mais quand même, Jérôme est en première année, n’est-il pas là pour se former, pour avoir la chance de progresser ?
La directrice et moi écoutons Jérôme. Il exprime avec conviction et émotion la force de son projet de devenir enseignant, combien il pense avoir trouvé ce qu’il a envie de faire de sa vie professionnelle. Il nous demande une nouvelle chance. Et finalement, en hésitant beaucoup, nous décidons de lui réorganiser un stage…

Ein kleines bißchen Zärtlichkeit

Inès est une autre étudiante de première année. Elle est germanophone, elle arrive dans la formation avec un niveau de français assez faible, mais elle bosse, elle bosse beaucoup. Cependant, au moment du stage, le niveau de français n’est vraiment pas suffisant : expression orale et écrite, compréhension… ,cela risque de poser de gros problèmes dans les préparations, mais aussi dans les interactions avec les élèves. Elle nous demande si elle peut faire ses préparations en allemand. Mais ce n’est pas l’aider d’accepter que des préparations de cours se fassent en allemand pour un cours qui se fera en français. Que faire ? L’envoyer au casse-pipe ? Ne pas la laisser partir en stage ? Se dire qu’elle recommencera sa première année de toute façon ?
Et puis, l’équipe d’enseignants propose autre chose : une de nos écoles de stage propose à ses élèves de l’immersion en allemand. Auprès de la direction de l’école normale, j’exprime le souhait de l’équipe de donner à Inès la chance de se frotter au métier d’enseignant sur le terrain, en se détachant momentanément des contraintes, trop importantes aujourd’hui, de la langue. Tout en nous rappelant le caractère exceptionnel de la décision (notre finalité est de former des enseignants travaillant en français), la direction accède à la requête de l’équipe : Inès fera son premier stage en allemand.

Trop gentil

Dans les conversations de salle des profs, j’entends souvent qu’untel est trop gentil avec les étudiants en difficultés en stage. Je suis presque sûr d’être dans cette catégorie aux yeux de certains. Et je m’interroge alors : cette « gentillesse » est-elle ce qui me guide (m’aveugle ?) dans mon travail ? Les étudiants eux-mêmes ne réagissent pas toujours bien aux traitements particuliers dont « bénéficient » certains : ils questionnent notre impartialité. J’en viens alors à me méfier de moi.
Et puis, en lisant et en discutant autour de mon récit, des mots apparaissent : sollicitude, attention, affection… D’autres y ont réfléchi. Eirick Prairat écrit que « la compétence morale n’est en effet pas seulement affaire de délibération et de raisonnement, elle est aussi affaire d’attention et de sensibilité ». S’il y a tendresse dans les décisions que je prends, elle se trouverait dans la flexibilité, la capacité de prendre en compte les étudiants comme des êtres humains en devenir de plus d’humanité encore. Et il est impossible de traiter ces étudiants de manière parfaitement identique, de faire rentrer toutes ces situations humaines particulières dans les cases du règlement. Alors, je suppose qu’il faudra continuer à jongler entre hypothèses et convictions, et en traitant de manière égale (mais non identique) la singularité de chacun de mes étudiants.