Évaluation à distance

L’évaluation à distance a émergé en catastrophe lors du premier confinement. Les universités ont pris des positions différentes concernant le contrôle de ces évaluations. Plus largement, cela repose la question de l’évaluation à l’université.

Lors du premier confinement, les autorités académiques ont décidé que les enseignants devaient faire des évaluations à distance. Nous en avons rencontré un pour en savoir un peu plus sur ces fameuses évaluations et sur la surveillance à distance.

Claude Oestges, professeur à l’École polytechnique de Louvain

Le quadrimestre avait commencé en présence, personne n’avait imaginé en janvier qu’on devrait faire des évaluations à distance en juin, or de nombreuses modalités pédagogiques avaient été pensées pour des examens en présentiel. C’est difficile de complètement changer la manière de donner cours pour évaluer autrement. On a essayé d’un peu copier ce qui se faisait en présence, avec l’idée d’une certaine liberté pour les enseignants. Cela a multiplié les modalités, tant pour des QCM que des examens plus ouverts : certaines évaluations avec le proctoring (la surveillance à distance et/ou le locking du PC), certaines évaluations non surveillées et aussi des cours pour lesquels les étudiants devaient rendre des travaux.
Je donne cours aux ingénieurs où il n’y a pas nécessairement à restituer la matière par cœur, mais plutôt être capable de réaliser des exercices très ouverts avec du raisonnement : les transformer en QCM ou en évaluations très automatiques, ce n’est pas facile.
Pour des examens avec un grand nombre d’étudiants, j’ai utilisé des QCM avec des techniques anti-triche inhérentes : un ordre aléatoire des questions et des réponses, la non-possibilité de retour en arrière, etc. Dans ces cas-là, il n’y avait pas de surveillance, mais je suis conscient que l’absence de surveillance va de pair avec un autre type de stress (le non-retour en arrière, par exemple). Par contre, pour d’autres examens où nous voulions maintenir des exercices du type de ceux réalisés pendant l’année, nous avons utilisé un des outils qui permettaient de faire de la surveillance. Les étudiants faisaient leurs exercices chez eux, sur papier, comme ils l’auraient fait dans un auditoire. Si on devait le refaire, sans doute qu’on ne lockerait pas les PC. Mais on ne sait toujours pas ce qui va se passer en janvier…
La problématique, c’était d’évaluer la même chose que ce qu’on aurait fait en présentiel, tout en minimisant la triche parce que ça nous semblait injuste que certains étudiants puissent tricher et d’autres pas. L’idée n’est pas tellement de faire la chasse aux tricheurs, mais de maintenir une évaluation équitable. En outre, souvent, la possibilité de tricherie est liée aux moyens des parents. Un étudiant qui a plusieurs ordinateurs peut faire son examen sur l’un et utiliser l’autre pour surfer sur internet. Payer quelqu’un pour faire l’examen à sa place, c’est aussi une question de moyens.
D’où le fait que UCLouvain avait opté pour la possibilité d’avoir une surveillance.
La triche a toujours existé, vouloir la supprimer à tout prix c’est un leurre. Mais par contre, la majorité des étudiants souhaite que la triche ne soit pas généralisée.
Nous avons eu une journée pédagogique pour revenir sur l’évaluation à distance : la conclusion, c’était : plus jamais ! Évoluer vers une évaluation continue est sans doute une piste à creuser, mais cela requiert de changer les mentalités, et ne peut être généralisé à tous les cours : une coordination entre cours est absolument nécessaire.

Martin Pastre, étudiant ingénieur civil et représentant des étudiants

Par rapport à la question des cours et des évaluations à distance, tout le monde est d’accord pour dire que cela creuse les inégalités, puisque les conditions matérielles des étudiants sont différentes. Certains étudiants ont dû aller dans des salles informatiques à l’université parce qu’ils n’avaient pas le matériel. Ils devaient prendre le risque de se déplacer, alors que les autres non. Il est certain aussi que les logiciels de surveillance ont stressé les étudiants. Et paradoxalement, le fait d’utiliser des méthodes pour repérer la triche montre que la triche est possible.
La pression existe de toute façon, car dans les études universitaires, l’examen est le point d’orgue de l’année, l’unique moment pour l’évaluation des compétences. Peu importe que tu aies suivi les cours du quadrimestre, si tu connais la matière le jour de l’examen, ça résout le problème. Nous, on veut un enseignement plus progressif, une évaluation continue, et plus d’accompagnement. L’université est très fort dans l’autonomie des étudiants, cela met en avant ceux qui ont les compétences déjà acquises ou des ressources pour se faire aider, et de côté d’autres catégories de personnes moins favorisées.
On pourrait avoir des évaluations multi critères, c’est-à-dire laisser plusieurs choix dans les modalités d’évaluation, plutôt qu’une seule forme d’examen. On a vu que les QCM avec points négatifs, par exemple, favorisent les personnes qui prennent des risques et défavorisent les autres. Mais l’évaluation continue ne s’improvise pas et la coordination entre les cours et les matières n’est pas très répandue dans la culture universitaire… pourtant, certains professeurs le font déjà.
Pour le moment, ni les profs ni les étudiants ne savent comment va se dérouler la session de janvier ni celle de juin… C’est l’incertitude totale pour tout le monde.