Éveil soporifique

L’emballage est beau, l’intention est bonne mais le contenu reste le même.

Les programmes du conseil de l’enseignement des communes et provinces viennent de sortir. Les programmes de l’enseignement catholique ont également été renouvelés. Grande découverte: les situations mobilisatrices et l’approche interdisciplinaire. Nouveautés présentées comme illustrant LA conception pédagogique de l’avenir… Et comme la pensée binaire n’épargne pas les concepteurs de programme, c’est sans nuance que l’on vous convie désormais à travailler par situation-problème tous les sujets, devant tous les publics. Bien que l’on puisse lire dans les directives méthodologiques que l’enseignant doit varier les méthodes d’apprentissage, les exemples, qu’ils partent d’une situation-problème ou d’une situation mobilisatrice ou d’énigme à résoudre ou de question de départ, suit la plupart du temps un même tracé.

kanar_illu.jpg

Si nous partageons cette intention sous-jacente et annoncée dans les objectifs de donner du sens aux apprentissages, d’ouvrir les apprentissages disciplinaires à leur dimension historique sociale économique, éthique… d’aider l’élève à construire lui-même ses savoirs (on est rarement en désaccord avec des intentions), c’est dans la concrétisation proposée que nous sommes plus perplexes.

Qu’est ce qui dit le monsieur?

Grande déception. Dans un des programmes du primaire, la liste des situations mobilisatrices proposées aux enfants se limite à une série de questions posées par des adultes, dans un langage d’adulte: “Chaleur et température, est-ce la même chose?” ou “Quelles sont les conditions pour que la température lue sur un thermomètre soit correcte?” Cette liste est mise en relation avec les compétences (numérotées) auxquelles elle se réfère. En parallèle, une liste de savoir-faire, toujours les mêmes. “Émettre des hypothèses, observer, réaliser des mesures, mettre en relation les résultats obtenus avec les hypothèses.” Après des pages et des pages d’une même terminologie unique, cela en devient presque caricatural. Et on termine par les savoirs, liste de notions abordées que les enfants s’empresseront de noter dans leur cahier, comme synthèse. “La chaleur est une des formes d’énergie et la température est une grandeur qui mesure le degré de chaleur.

Pour le secondaire, les exemples de situations-problèmes proposées ne vont certainement pas résoudre le problème du décrochage scolaire. “Comment construire un classement dichotomique des forces?” Pour qui ?, Pour quoi faire? À quoi ça me sert?

Joli spécimen de fausse induction en tout cas! (J’en parlerai à mon pédagogue). Faut donner du sens qu’ils disaient!

Voici un autre cas de situation-problème dite pertinente et censée mobiliser les élèves: “Pourquoi une biche, cachée dans un sous-bois, passe-t-elle de longs moments à ruminer ses aliments?” Vous imaginez sortir ça devant une classe d’ados?

Ou encore: “Quel est l’intérêt pour les vivants d’avoir des stratégies variées d’alimentation?à” On peut supposer que cette question est inspirée d’un livre scolaire où l’on trouverait le chapitre “Stratégies variées d’alimentation et intérêt pour les vivants”. Il doit y avoir des attentes précises derrière cette devinette mais elles ne sont pas transmises. Je passe.

Bon, d’accord, on fait les mauvaises têtes, on chicane sur des détails. C’est l’intention qui compte etc. D’accord mais ces exemples prouvent bien qu’il est très difficile de trouver des situations-problèmes pertinentes. Que vouloir s’y efforcer toujours et tout le temps nous amènent à de jolis “pédogags”. Que la définition de situation-problème est très floue.

Dans un programme du primaire, aucune réflexion sur ce qui est justement le plus complexe: comment, dans une classe hétérogène, amener vingt-cinq enfants à se poser des questions et à imaginer un procédé pour y apporter une ou des réponses?

Aucune piste pour vérifier ce que les enfants ont appris. Aucune proposition pour partir de leurs représentations et les faire évoluer.

Pourtant, à la fin de chapitre, les références Pour en savoir plus fourmillent de bons auteurs: Astolfi (La didactique des sciences), Giordan et de Veccchi (Les origines du savoir), Tavernier (Enseigner la biologie à l’école élémentaire). On ne doit pas lire les mêmes choses!

Ne perdez pas votre temps, lisez les auteurs référencés, vous en apprendrez plus sur comment vous y prendre. Cela pose la question de l’utilité d’un programme qui ne donne aucune piste. À quoi sert une liste de questions pompeusement appelées situations mobilisatrices ou situations-problèmes pertinentes, si elles ne sont pas des situations et si elles ne mobilisent que celui qui a pris du plaisir à les formuler?