Comment remettre en question le fonctionnement et l’organisation d’un système scolaire qui sélectionne et relègue massivement les enfants de milieux populaires vers l’enseignement spécialisé sans que ce soit vécu par les enseignants du spécialisé comme un déni de reconnaissance et une disqualification injuste de leur travail ?
En réaction, les enseignants s’organisent en résistance et dénoncent, au lieu de se réjouir et de contribuer activement à la construction de ces transformations.
Les faits
« Les retours dans l’enseignement ordinaire et l’obtention du CEB sont rares. »
Les statistiques sont claires : parmi les élèves qui sont orientés vers l’enseignement spécialisé de type 1, 3, 8, les enfants issus de familles pauvres, dont les codes sont les plus éloignés de ceux de l’école sont fortement sur-représentés .
Fait encore : les retours dans l’enseignement ordinaire et l’obtention du CEB sont rares. La tendance de ces dernières années, c’est d’augmenter la part des élèves sortants de type 8 qui retournent dans l’enseignement ordinaire, mais ils n’y obtiennent pas pour autant le CEB.
Fait toujours : le nombre d’enfants scolarisés dans les types 1, 3 et 8 du spécialisé a fortement augmenté depuis les années 90 et début des années 2000 pour se tasser, voire diminuer légèrement ces dernières années .
Difficile d’évaluer si ce sont les débuts d’effets de mesures du Pacte ou des effets de la période covid…
Les questions que ça pose
Une fois que les enfants sont dans l’enseignement spécialisé, comment comprendre qu’avec des normes d’encadrement aussi favorables et des enseignants qui devraient être spécialement outillés, le niveau d’apprentissage soit aussi bas ?
Ce qui a été dit aux parents, au moment de l’orientation vers le spécialisé, c’est un autre chemin pour apprendre, plus individualisé, mais qui arrive au même endroit. Ceux-ci font malheureusement, à une écrasante majorité, une expérience contraire.
La vision des enseignants du spécialisé
Les enseignants du spécialisé accueillent les élèves quand les enseignants de l’ordinaire ont demandé une réorientation. Ils se retrouvent donc face à des élèves qui ont accumulé un retard important et surtout qui ont perdu confiance en eux, en leur capacité à apprendre et en l’école. Ils subissent donc, avec les élèves, la casse produite par un système scolaire inconscient des rapports au savoir et du phénomène du curriculum invisible.
De plus, pour tenter de réparer cette casse, il semble que la norme d’encadrement théoriquement très favorable ait pris du plomb dans l’aile .
La vision des parents de la coalition
Ces parents se sont rassemblés et ont regardé au-delà de leur situation personnelle. Ils ont compris que ça renvoyait (surtout) au fonctionnement actuel du système scolaire plutôt qu’à leur responsabilité et à celle de leurs enfants. Ils s’expriment en termes de justice — injustice de classe : prendre conscience, au vu des statistiques, que ce sont leurs enfants qui sont majoritairement envoyés dans le spécialisé les met en colère et les mobilise.
Ils ont entendu la ministre et les chefs de chantier indiquer que changer cette réalité est un objectif du Pacte et qu’ils tentent de s’attaquer à ce phénomène via la mise en place des pôles territoriaux et de la réforme de l’orientation vers l’enseignement spécialisé. Mais ces parents redoutent le temps que ça va prendre et mesurent les changements systémiques que cela nécessite pour avoir une chance d’aboutir. Ils questionnent beaucoup et font des demandes, à commencer par faire savoir à tous les parents qu’ils ont le droit de refuser l’orientation de leur enfant dans le spécialisé. Mais, si c’est une étape indispensable pour que les parents retrouvent du pouvoir d’agir, ça ne règle pas le problème et l’enfant risque d’être pris en otage entre ses parents et son enseignant.
Deux enjeux donc pour le court et le moyen terme
Arriver à mener cette confrontation difficile, mais nécessaire, en respectant le statut de sujet de l’enfant.
Arriver à susciter chez les enseignants du spécialisé une envie de participer activement à cette transformation de leur réalité quotidienne.
Pas simple.
Titre en référence à Amin Maalouf qui développe l’idée que l’identité est multiple, mais qu’on met en avant la part de notre identité qui est attaquée.
