Faire DES LOIS, en général on connaît. (Quoique…! Si on connaît les mots, on ne s’occupe peut-être pas assez des jeux et des enjeux. ) Dans les trames de l’histoire, pour les rapports entre nations, dans un pays, une région, une commune, une école, une classe, des élus ou des usagers projettent, proposent, rédigent, suppriment, ajoutent, amendent des lois, des décrets, des règlements, des codes de vie.
Affaire de devoirs et de droits. Affaire de sanctions aussi. Question de ne pas se faire ses lois tout seul, au risque de la sauvagerie barbare.
Affaire parfois de bureaucratie tatillonne et procédurière à outrance, oubliant la visée (volon- tairement ou non) et se clouant aux ordres, à l’ordre. Les lois, on les respecte ou non mais, en tout cas, on veille à ce qu’elles y soient.
Les lois reflètent des choix: sociaux, culturels, économiques, politiques, écologiques, pédagogiques. Les lois révèlent les idéologies et les logiques à l’œuvre, nourrissent les polémiques, voilent ou dévoilent les intérêts de places et de classes, soulignent les rapports de force. Elles laissent à chacun des possibilités de transgression, de protestation, voire de désobéissance civique si une construction de démocratie et des sujets sont en danger. Faire et défaire DES LOIS donc!
La limite, les limites
Faire DE LA LOI, c’est d’un autre ordre.
«Au commencement était le verbe…!» La parole. LA caractéristique de l’être humain, ce «parlêtre» . Et par là, l’existence, le décollage, par les mots qui symbolisent, mettent à distance, représentent. Je ne suis donc pas jeté nu, à l’intérieur de la jouissance nue comme un animal jouissant tout seul sans mots, sans la dimension du langage entre sujets.
Je nomme, Tu nommes. Et la parole positionne. Et la position fait parole. Le père, l’enfant, la mère, l’amant… L’enseignant, l’enfant de…, fils de… fille de… pas ma chose, même pas mon élève. Il n’y a pas fusion comme aux premiers jours de la vie. On ne peut pas restaurer cette indifférenciation. Elle est perdue. Faire DE LA LOI, c’est faire de la différenciation.
Ceci étant dit, il apparaît que je ne suis pas tout, que je ne sais pas tout, ni de moi, ni de l’autre, que tout n’est pas possible. Faire DE LA LOI, c’est donc se savoir incomplet, décomplété par la coupure (il n’y a pas fusion), décomplété par les chemins de l’autre.
Faire DE LA LOI, c’est mettre en place des repérages, des repères: lieux pour…, lieux de…, temps convenables pour dire, faire quelque chose, rôles, statuts pour savoir qui parle, à qui et d’où… autant de limites repères qui permettent de passer des «tout-est possible-ici-tout-de-suite-pour-moi» à des «je peux, je veux» à inscrire dans la réalité opérationnelle. J’accepte La limite et je marque, nous marquons les limites, dans la classe ou ailleurs.
Faire DE LA LOI, ce n’est pas brandir la loi du ministre, du patron, du directeur, du professeur… Il s’agit ici de la loi du père symbolique, celle qui donne accès au langage (c’est le père qui défait la fusion des premiers jours entre mère et enfant, le père qui pose le NON à la rencontre complète).
Faire DE LA LOI, c’est s’empêcher de nuire, s’empêcher de porter sur autrui des appétits perdus, mélangés quelque part à la tâche instituée.
Finalement, faire DE LA LOI, c’est pratiquer l’interdit structurel, l’interdit de l’inceste (c’est-à-dire prendre l’autre comme objet de jouissance, ce qui peut se faire autrement et ailleurs que dans le sexuel). Telle est La limite, pas spécialement dans une optique morale mais dans une optique vitale pour l’humanité: si on ne se coupe pas de la petite cellule fusionnée, fusionnelle, on ne crée plus rien. L’interdit, ce n’est pas le sens facile du censeur qui barre les actes, l’interdit, c’est le NON à la fusion, le NON à la retrouvailles de la jouissance perdue.
L’interdit, c’est l’inter-dit, c’est ce qui justement «se dit entre.» Et, dans une classe, l’interdit s’assortit d’une sanction, d’un NON parce que l’enseignant, impliqué dans son fonctionnement, ne peut pas laisser les gêneurs paralyser le groupe. Question: qui est dans la position de dire NON à l’enseignant, lors de tel conflit entre lui et des élèves ou aux enseignants gêneurs dans les groupes… ? Puisque faire DE LA LOI vaut pour tout humain et que chacun a besoin de savoir et de percevoir que chacun y est soumis, quelle que soit sa fonction.
Faire DES LOIS et faire DE LA LOI… Différencier. Se dire aussi qu’entre les deux, passe peut-être quelque part un fil, l’un permettant peut-être l’autre. Au bout du compte… ou au commencement.
Noëlle DE SMET
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