Faire exister d’autres possibles

Pourquoi avons-nous choisi de créer une école fondamentale et de surcroit une école confessionnelle musulmane ? Quelles sont les intentions de l’équipe fondatrice ? À quels besoins pensons-nous répondre ? Et qu’en est-il de l’interculturalité ?

L’équipe de travail qui a construit ce projet est principalement composée de spécialistes du champ de l’éducation et de la formation. Nous avons voulu donner une vraie dimension scientifique à ce projet dès son élaboration. La collaboration avec des chercheurs et des professeurs du monde académique se poursuit dans la mise en œuvre.
La création de cette nouvelle école est avant tout une façon de lutter pour plus de justice sociale. Un des moyens les plus efficaces pour combattre les inégalités et les discriminations passe par la machine scolaire. Comme l’avait déjà analysé Pierre Bourdieu, l’école telle qu’elle est pensée est plus un reproducteur d’inégalités sociales qu’un ascenseur social. Nous voulons inverser les choses.
Après plus de dix années de travail dans l’associatif (scoutisme, centre de jeunes, école de devoirs, centre sportif…), nous nous sommes aperçus que nos activités ne se limitaient qu’à coller des rustines sur des problèmes bien plus profonds que la non-acquisition de matières : absence de méthode et d’organisation du travail, manque de concentration en classe, phobie scolaire, rejet de l’école par un certain public, etc. Nos actions ne pouvaient apporter que des solutions temporaires. Parallèlement, plus que des acteurs du monde éducatif, nous nous considérions comme des militants pour plus de justice sociale et d’équité. Ce constat ne pouvait donc rester sans action. L’idée d’ouvrir une école est née du désir d’apporter une réponse éducative pour des élèves qui, les statistiques le montrent, accumulent des retards scolaires importants[1]Pisa 2016.. Et plus les études en sociologie de l’éducation se concentrent sur les classes les plus défavorisées plus les chiffres sont affolants, tant le retard scolaire est ancré[2]Bellat, 2002 et Dubet, 2010.. Toutefois, conscients du phénomène croissant de l’ouverture de nouvelles écoles qui sont pensées dans une logique de quasi-marché et qui proposent un enseignement qui a pour but d’attirer les élèves et leurs parents, nous souhaitions réfléchir avant tout aux besoins des élèves et surtout à leur avenir. Après une analyse sociologique importante de la population, de ses besoins et des problèmes que rencontrent les élèves de la zone d’implantation de l’école (une zone fortement paupérisée), nous avions déterminé une série d’objectifs à atteindre.

Des qualités et des capacités

Un des premiers besoins de la population est de pouvoir bénéficier d’un enseignement de qualité. Nous avons choisi de créer une école en immersion linguistique néerlandophone pour répondre aux nombreux défis qui attendent les jeunes sur le marché de l’emploi et de leur permettre de démarrer avec une compétence très recherchée. De plus, nous trouvons ce choix important tant d’un point de vue cognitif que culturel. En effet, l’enfant en apprenant une nouvelle langue, apprend sa culture, voit le monde sous un autre angle et devient donc plus enclin à la découverte de nouvelles cultures.
D’un point de vue pédagogique, nous prônons une pédagogie alternative qui utilise à la fois les outils développés par la pédagogie active (inspirés de divers courants et favorisant l’autonomie) et qui inclut les recherches actuelles en neurosciences. En l’espace d’une année, non seulement nous sommes parvenus à combler des lacunes des élèves, mais surtout à développer ce que les neurosciences appellent les compétences exécutives (par exemple, les capacités de concentration, de mémorisation), des facteurs prédictifs dans la réussite scolaire. Nos élèves sont capables de lire, de calculer et de décomposer des nombres à trois chiffres, dès la deuxième maternelle. Ils se mettent à lire, par besoin et par plaisir. Ces résultats, nous les présentons non pas pour dorer l’image de notre école, mais pour montrer que le déterminisme social ou la fatalité selon laquelle les enfants qui sont issus de milieux précaires réussissent moins bien parce que leur milieu détermine leur réussite ne peut être envisagé dans le cadre scolaire.

La connaissance et l’estime de soi

Le deuxième besoin est lié au développement des jeunes. De nombreuses études montrent l’effet de l’estime de soi et de la connaissance de soi sur la réussite scolaire. Selon Delphine Martinot, « les élèves qui pensent du bien d’eux-mêmes, par comparaison aux élèves qui s’estiment plus modestement, poursuivent leurs études plus longtemps, persévèrent davantage dans leur travail scolaire lorsqu’ils rencontrent des difficultés, utilisent plus efficacement les compétences et les stratégies qu’ils ont développées, et ont une perception plus étendue des options de carrières qui leur sont accessibles ». Cette connaissance de soi a surtout été étudiée en psychologie sociale et elle est définie comme un processus intérieur dans lequel l’individu est capable de se regarder de l’intérieur. Nous pensons qu’il est primordial de prendre l’élève dans sa totalité et de lui permettre de se développer pleinement. C’est dans ce cadre que le caractère philosophique et spirituel de l’école entre en compte : outre le fait de développer les valeurs musulmanes et humanistes, l’école permet aux élèves d’être en accord avec eux-mêmes et de se construire pleinement. Nous voulons que nos enfants se sentent acceptés comme ils sont, sans avoir peur de leur différence. Qu’ils se sentent autant Belges que musulmans sans que cela soit antinomique. À noter que ces deux pans sont souvent mis en balance malgré la différence de registre entre une nationalité et une religion ! Pour la fête du Sacrifice, par exemple, les élèves musulmans doivent encore, à l’heure actuelle, remettre un justificatif et inventer une excuse pour l’institution scolaire, c’est comme si celle-ci ne les acceptait pas pleinement. Indirectement, cela induit une discrimination institutionnelle ressentie par les élèves qui se traduit par un manque d’estime de soi et à la longue, une baisse possible des résultats scolaires. Nous donnons donc congé le jour de la fête et un autre jour, nous organisons une très grande fête à l’école. Les enfants non musulmans sont invités à y participer tout comme les musulmans participent selon les rencontres et les amitiés à des fêtes de Noël ou autres.
À ce propos du religieux, il convient de préciser qu’étant donné qu’il n’y a pas de clergé en islam qui pourrait unifier ou refuser des tendances, il y a une multitude de courants et il est donc impossible de contenter tous les parents d’un point de vue philosophique. C’est pourquoi le rôle de l’école est avant tout de mettre en évidence ce qui rassemble plutôt que ce qui divise. Nous abordons donc avec nos enfants les valeurs musulmanes, qui sont également des valeurs universelles. L’école n’a pas pour objectif de former les élèves d’un point de vue religieux, elle doit, avant tout, mettre en place un cadre qui permet à tous de s’épanouir. Nous donnons un cours de religion de deux heures comme dans les autres écoles et nous accentuons les choix pédagogiques plutôt que le religieux qui pour nous, se nourrit ailleurs qu’à l’école.
Intégrer notre école libre confessionnelle permet donc à l’élève de se construire, de se développer pleinement et d’éveiller son intelligence interpersonnelle, ce qui l’invite à aller vers les autres. Nous pouvons aussi rattacher la connaissance de soi au besoin des élèves d’être acceptés tels qu’ils sont.

Un tissu d’inter

Quant à l’interculturalité, notre projet se veut accessible à tous, sans aucune distinction. Il fait la promotion du melting-pot à l’école. Lors nos deux premières années, la population accueillie dans l’établissement est à l’image de la zone urbanistique, à savoir une majorité d’élèves d’origines étrangères, le seul levier sur lequel nous avons un contrôle est l’engagement des enseignants et des différents acteurs de l’école. Dès lors, notre équipe composée d’enseignants, de surveillants, du personnel d’entretien est diversifiée tant au point de vue culturel que social. Elle reflète notre société et, pour nous, ce projet ne pourrait avancer dans une autre direction. De plus, notre école se veut ouverte sur le monde extérieur et nous développons des partenariats aussi bien avec les instances communales (bibliothèque, service de prévention) qu’avec des associations variées (troupes de théâtre, musées, artistes, etc.). Enfin, nous accueillons des élèves non musulmans et nous sommes heureux d’accroitre ainsi la diversité à l’école. Concernant d’éventuels élèves athées, notre école est une école comme une autre, nous n’y faisons pas la promotion de la religion musulmane. Accueillir un enfant athée permettrait à nos élèves de saisir davantage la diversité présente dans notre société. Dans notre école, peu importe ses convictions, l’enfant doit se sentir accepté et se développer sans avoir peur de s’affirmer. Le port des signes religieux tels que des croix et autres signes est une preuve d’acceptation des différences que nous pouvons donner à tous. La conviction qu’il n’existe pas de dieu n’est en rien un frein à la coexistence et à la vie en communauté entre les enfants. À leur âge, ils ne se distinguent pas et ne s’estiment pas en fonction des idées philosophiques, ils ont plutôt des affinités avec les élèves qui partagent les mêmes centres d’intérêt.
Nous pouvons dire aussi que ce qui caractérise la population de notre école est plus le caractère socioéconomique que religieux. Notre école est une école à discrimination positive.
Enfin, en tant qu’école et communauté de vie, il nous apparait important de parler du sentiment d’appartenance de nos élèves. À travers notre pédagogie (classes multiniveaux), nos activités et nos fêtes (chaque veille de vacances scolaires), les élèves ont tissé des liens très forts et se sentent appartenir pleinement à leur école. Les fêtes organisées diffèrent peu de celles des autres écoles, si ce n’est qu’à chaque fois nous y apportons une dimension pédagogique. Un exemple : nous ne célébrons pas le Carnaval, mais nous organisons la fête des métiers. Les enfants peuvent se déguiser dans le costume du métier qu’ils souhaitent exercer plus tard. Notre rôle est avant tout de construire une identité commune qui apportera une plus-value à la société. Le développement de valeurs telles que le partage, la solidarité, le respect et l’empathie fera de nos élèves des acteurs humanistes.
Quant au sentiment d’appartenance et de fierté des origines, il ne nous semble pas important d’en faire la promotion de manière proprement dite, mais nous l’acceptons et la valorisons. Chaque élève a un vécu personnel et une histoire familiale différente à raconter. Ce qui nous importe est de construire une histoire commune. La référence aux contes traditionnels ainsi qu’à l’Histoire de la Belgique, par exemple, joue un rôle essentiel dans le sentiment d’appartenance. Nos élèves sont pour la plupart musulmans et nous montrons que cela n’entre pas en contradiction avec leur identité belge. Bien au contraire, plus que jamais, nos élèves ne doivent pas se sentir différents des autres.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Pisa 2016.
2 Bellat, 2002 et Dubet, 2010.