Un panorama de pratiques pour éviter l’uniformité d’un discours professoral dans la classe, pour ouvrir des pistes possibles pour apprendre par tous les moyens.
Lycée général, Histoire, Belgique
Selon moi, la pédagogie différenciée n’a de sens et d’intérêt que si elle s’inscrit dans certaines convictions éthiques et pédagogiques. C’est pourquoi je pose d’emblée ces convictions avant de décrire ce qui, dans mes pratiques, traduit ces choix de prise en compte de la singularité et des spécificités de chaque élève en vue de favoriser les apprentissages de tous. Ça me semble particulièrement important dans l’établissement où j’exerce, à la population relativement homogène, de milieu populaire, mais très diverse pour ce qui est de l’origine et des options philosophiques des familles. Les élèves de culture arabo-musulmane prédominent ; d’autres sont d’origine européenne, africaine et asiatique. Un grand nombre n’utilise pas ou peu le français en famille et certains ne sont pas nés en Belgique.
Le « postulat d’éducabilité »
J’ai fait mien le « postulat d’éducabilité » : je considère que tous les élèves sont capables d’apprentissages complexes et je ne veux laisser aucun des élèves qui me sont confiés au bord du chemin. Je suis, par ailleurs, un enseignant constructiviste : je considère qu’on apprend à partir de et « contre » ce qu’on sait déjà ou ce qu’on croit savoir. Les apprentissages ne sont donc possibles qu’à partir de l’état des connaissances des élèves en la matière. Et cet état est toujours variable, non seulement à cause des éléments de diversité sociale et culturelle, mais aussi du fait d’antécédents scolaires différents.
De ces options éthiques et pédagogiques, il découle que mes objectifs finaux restent les mêmes pour tous les élèves, mais que les itinéraires d’apprentissage pour les atteindre doivent pouvoir varier. Mes actions pédagogiques doivent donc être adaptées, dans la mesure du possible, non seulement en fonction des besoins de chaque groupe-classe mais aussi de chaque individu.
Un des objectifs principaux de mon cours d’histoire est de faire en sorte que les élèves qui me sont confiés se vivent comme acteurs et non spectateurs de l’Histoire. Dans la mesure du possible, je prends appui sur des éléments de leurs histoires familiales respectives, sur des connaissances et des pseudoconnaissances extrascolaires en rapport avec les savoirs historiques étudiés.
Je cherche ainsi à favoriser l’implication de l’ensemble des élèves dans les processus d’apprentissage, et à faire en sorte que chacun se sente reconnu dans sa singularité.
J’insiste sur la prudence nécessaire dans ce type de démarche : il ne s’agit aucunement d’obliger les élèves à révéler des éléments de leur histoire et de leur identité culturelle familiale, mais seulement de les inciter à le faire, dans des limites bien précises, définies en fonction d’objets d’apprentissage clairement circonscrits.
Par exemple, à l’occasion d’un cours de quatrième année consacré à la crise de la chrétienté aux XVe et XVIe siècles. La majorité des élèves sont croyants et plus ou moins pratiquants de diverses religions. Je fais appel à leurs connaissances en la matière pour leur faire comprendre ce qui distingue leur propre religion des doctrines et pratiques religieuses dont l’étude est prévue au programme.
Autre exemple : après un rappel succinct de ce que sont une colonie et une métropole, j’entame un cours de cinquième consacré à l’impérialisme des puissances industrielles des XIXe et XXe siècle, en posant la question suivante à l’ensemble des élèves : « votre famille est-elle issue d’une ancienne colonie, d’une ancienne métropole ou des deux ? » Ils choisissent une des trois solutions en levant la main puis je procède à un tour de parole à l’occasion duquel chacun à l’occasion de justifier sa réponse.
Pour chaque objet d’apprentissage, pour pouvoir tenir compte de l’état variable des connaissances de chaque élève, il faut faire apparaître les représentations mentales préalables du savoir concerné. J’utilise pour cela diverses techniques.
Par exemple, les définitions spontanées : je demande à chaque élève de rédiger seul, sans aucune documentation, la définition d’un concept (noblesse, dictature, révolution industrielle, impérialisme, syndicat, etc.). Ces définitions sont lues et comparées. Je profite de l’exercice pour repérer les erreurs des élèves, de manière à pouvoir les traiter dans la suite du cours.
Autre exemple, les questions préalables : à propos d’un contenu d’enseignement donné, je demande aux élèves de répondre individuellement à quelques questions, par écrit et sans aucune aide ni documentation. Je crée ensuite des groupes de trois à cinq élèves qui reçoivent pour consigne de produire des réponses collectives aux mêmes questions. Consigne supplémentaire : noter les questions que les membres de chaque sous-groupe se seront posées en faisant ce travail. Ces productions (réponses collectives aux questions du professeur et questions issues des discussions au sein des sous-groupes) sont ensuite lues publiquement puis relevées par moi. J’organise alors la suite du cours en tenant compte des erreurs repérées dans les réponses proposées et des questions émanant de ces sous-groupes.
Bien plus que les phases de travail en groupe-classe, les moments d’activité scolaire solitaire et en sous-groupes permettent des interventions différenciées du professeur : pendant que les élèves, seuls ou en sous-groupes sont occupés à réaliser une tâche, je peux prendre le temps de les observer et alors décider d’une intervention ciblée. Je peux aussi décider d’intervenir sur demande et adapter mon intervention aux besoins que j’aurai évalués pour cet élève ou ce groupe. Ce peut être apporter une aide particulière sous forme d’un conseil ou d’un renseignement, mais aussi une tâche supplémentaire s’ils sont en avance sur les autres.
Par contre, je ne propose que rarement d’emblée des activités différenciées : tous les élèves ou les sous-groupes ont à réaliser le même type de tâche, voire une tâche identique, et sont confrontés aux mêmes types de difficultés.
Ma formation en gestion mentale m’a fait prendre conscience que les profils d’apprentissages sont variables et que les enseignants ont spontanément tendance à croire que tous les élèves apprennent de la même manière qu’eux. Cette formation m’a appris que je suis un visuel dominant c’est-à-dire une personne qui retient spontanément mieux ce qu’elle voit que ce qu’elle entend et qui a tendance à se représenter les réalités plutôt sous forme d’images que de sons. Je sais maintenant aussi que certains types de représentations graphiques me conviennent mieux que d’autres, et que les élèves n’apprennent pas tous comme moi. C’est pourquoi, autant pour faciliter pour chacun l’appropriation des savoirs (au sens large) que pour les amener à développer de nouveaux savoir-faire, je veille à diversifier les supports de communication : présentations orales (récits, exposés), textes de différents types, représentations schématiques variées, dessins, photos, documents audio ou audio-visuels.
A côté du choix des supports de la communication, je m’efforce aussi de diversifier les types d’activités que j’organise. Les démarches proposées seront tantôt inductives (d’abord analyser des situations concrètes, puis pousser à la généralisation, à l’abstraction), tantôt déductives (partir de la définition d’un concept pour le faire concrétiser par la recherche et l’analyse d’exemples). Je fais étudier toutes sortes de documents, mais aussi créer des documents imaginaires. J’organise aussi de temps à autres des jeux de rôles.
Cette variation a premièrement pour but que tous les élèves y trouvent leur compte, autrement dit, qu’à un moment ou un autre ils se sentent plus en confiance, car mis face à un type de tâche qui leur semblera plus accessible parce que plus familier. Autre finalité importante de cette diversification : favoriser le fait que les élèves développent la gamme de leurs savoir-faire intellectuels.
Les erreurs des élèves sont des informations indispensables pour comprendre d’où viennent leurs difficultés d’apprentissage. S’y intéresser m’apparaît être une condition indispensable à la pratique d’une pédagogie différenciée digne de ce nom. Les activités en tous genres auxquelles je confronte les élèves, dans la mesure où il s’agit de véritables situations-problèmes (c’est-à-dire de dispositifs didactiques qui les confrontent à un savoir nouveau pour eux), amènent inévitablement les apprenants à commettre des erreurs. L’absence d’erreur est d’ailleurs un indice que l’activité ne convient pas, qu’elle n’apprend rien aux élèves.
Prendre en compte les erreurs des élèves implique évidemment d’être prêt à consacrer du temps, durant les cours, à l’imprévu. Cela m’amène aussi parfois à des actions pédagogiques individuelles qui ont lieu en dehors des périodes de cours.
Sur mon initiative ou à la demande d’un élève qui éprouve des difficultés persistantes, en particulier en matière de compréhension de texte, je propose un exercice supplémentaire que je corrige. Après quoi j’ai un entretien avec l’élève qui me permet de mieux comprendre d’où proviennent ses erreurs de compréhension et de lui prodiguer des conseils ciblés. Je répète cette procédure au besoin plusieurs fois.
Je permets systématiquement la renégociation d’une note, à condition que cela se fasse en dehors des heures de cours, sur rendez-vous et après la correction collective de la production concernée en classe. Dans la grande majorité des cas, les élèves qui contestent la note obtenue pour un travail qu’ils ont réalisé le font de bonne foi : ils croient sincèrement que leur travail « vaut mieux que ça ». Il arrive que je leur donne raison et que je modifie la note en leur faveur. Mais le plus souvent ces rencontres sont l’occasion d’un entretien pédagogique qui va me permettre une intervention ciblée susceptible de faire comprendre à l’élève ce qu’il n’avait pas saisi durant la correction collective du travail en question.
J’enseigne depuis trente-six ans. Malgré un contexte institutionnel qui est loin de me satisfaire, je garde le goût du métier. Je pense que ce qui l’explique en grande partie est que chaque cours reste différent. Car chacun des groupes-classe et chacun des élèves est singulier et que, restant attentif à ces singularités, je suis amené à devoir imaginer tous les jours de nouvelles solutions à de nouveaux problèmes. Le contraire de la routine.