Ah, la démocratie ! Une notion connue, répandue, universelle, mais également abstraite, complexe et sujette à de multiples interprétations. Trop souvent simplifiée, caricaturée, utilisée à tort ou à raison…
Comment faire de l’éducation à la citoyenneté, sans faire de l’éducation militante ou civique, en travaillant le concept de la démocratie dans le cadre d’un cours de sciences sociales ? , c’était la question centrale de mon travail de fin d’études pour devenir professeur de sciences humaines[1]Bachelier : agrégé de l’enseignement secondaire inférieur – orientation sciences humaines : géographie, histoire, sciences sociales.
Déjà habitée par des convictions personnelles et professionnelles, convaincue que les citoyens de demain sont nos élèves d’aujourd’hui, pratiquer la démocratie et faire de la politique en classe contribuent, me semble-t-il, à l’émancipation et à la construction de l’esprit critique des élèves.
J’ai construit un dispositif pédagogique intitulée La politique, une affaire de citoyens que j’ai mis au travail avec dix-huit élèves de troisième année du secondaire dans l’enseignement général, au cours de sciences sociales, pour vivre, critiquer, débattre et remettre en question le concept de la démocratie.
La séquence débute par une introduction à l’actualité sociale belge particulièrement mouvementée en 2016. Au travers d’extraits vidéos issus de différents journaux télévisés, les élèves découvrent des évènements de contestations dont ils ont déjà été les témoins directs ou indirects : grèves sncb/tec, manifestations des syndicats, mobilisations citoyennes contre des mesures gouvernementales…
Pour comprendre les enjeux et repérer les acteurs de ces évènements, quatre mouvements citoyens de contestation sont identifiés et quatre groupes de travail sont ainsi organisés dans la classe. En réalisant une recherche collective, les groupes mettent en évidence les revendications, les enjeux et les identités multiples de ces mouvements contestataires.
L’objectif, c’est de susciter le questionnement, en partant d’évènements actuels relativement proches de leur quotidien comme les grèves des transports en commun. Avec ce travail de groupe et d’analyse, les élèves mettent en évidence une problématique. Il s’agit, dans ce cas, d’un manque de participation des citoyens aux décisions politiques, et plus précisément, d’une remise en cause de la démocratie et de notre système politique actuel.
Enfin, ce constat les mène à un questionnement de départ : comment, en tant que citoyen, puis-je participer à la démocratie, aux prises de décisions politiques ?
Cette question sera aussi liée à la démocratie à l’école : comment en tant qu’élève, puis-je participer aux prises de décisions de mon école ?
Pour trouver des éléments de réponses à la question de départ, les élèves sont invités à tester trois manières de décider à travers un jeu de simulation[2]Activité lors de laquelle les participants jouent leur propre rôle dans une mise en situation fictive et définie par le professeur. Ici, les élèves tiennent leur rôle d’élève de l’école … Continue reading. La mise en situation de départ porte sur un point du règlement de l’école qui a récemment été controversé : les tenues vestimentaires autorisées.
Voici le document que les élèves ont reçu : « La direction a décidé d’interdire le port de jeans troués et de communiquer cette modification du règlement dans toutes les classes. Cependant, cette modification n’apparait pas dans le ROI et le reste de la règle est rédigée de manière floue et est donc sujette à interprétations multiples. Face à ce manque de clarté qui peut parfois prêter à confusion pour les élèves et leurs parents, vous allez avoir la possibilité de travailler sur ce point du règlement pour formuler une proposition de modification à la direction de l’école. Pour cela, nous procèderons de trois manières différentes pour prendre une décision ; le professeur représentera fictivement la direction dans les trois manières de décider ; à la fin de la mise en situation, une de vos propositions sera retenue et présentée à la direction de l’école[3]Extrait des consignes données en classe aux élèves.. »
Premier processus de prise de décision : les élèves votent individuellement et directement pour une proposition de modification de la règle en remplissant un bulletin de vote. Dans le second, les élèves forment des groupes de travail qui vont chacun, à l’issu d’une réflexion et d’une concertation, proposer une modification de la règle à la direction. Enfin, pour la dernière manière de décider, deux représentants de la classe sont élus à la majorité pour défendre les propositions des élèves devant la direction.
À la fin du jeu, pour chaque cas, un débriefing collectif est organisé. L’accent est mis sur la façon dont les élèves ont pris les décisions et sur l’influence qu’ils ont pu avoir sur celles-ci. Nous donnons des éléments de réponse à cette question : « Comment en tant qu’élève, puis-je participer aux prises de décisions de mon école ? », de manière directe, participative ou représentative.
À la clôture de cette activité, en lien avec les trois manières de décider vécues en classe, j’ai pu introduire le concept de la démocratie et plus précisément les trois différents modèles démocratiques existants, c’est-à-dire la démocratie directe, participative et représentative. Ce qui me semble plus porteur que de partir des concepts hors sol, de donner des définitions toutes prêtes, des tableaux comparatifs déjà remplis…
Dans cette dernière partie du dispositif, il me paraît essentiel de créer du lien entre le vécu et la réalité.
Par conséquent, c’est la découverte et l’étude de trois démocraties différentes actuelles et appliquées dans la réalité qui mobilisent les élèves : la démocratie directe en Suisse, la démocratie participative à Saillans (village français) et la démocratie représentative en Belgique.
Cette immersion dans chacun des modèles avec une attention particulière à la place du citoyen dans les décisions politiques permet enfin de répondre à la question posée initialement.
Comme je l’ai introduit au début de l’article, j’ai réalisé une réflexion tout au long de cette démarche sur la question de l’éducation à citoyenneté dans un cours de sciences humaines et plus largement dans nos pratiques enseignantes.
Sur la base de ce que j’ai pu expérimenter, notamment dans ce dispositif, l’éducation à la citoyenneté est selon moi possible avec des pratiques qui allient des outils théoriques (grilles de lecture, modèles démocratiques, théories…) avec un vécu réel de la citoyenneté en tant qu’acteurs en classe ou en dehors de la classe.
De cette manière, nous mettons l’élève dans une posture d’acteur associé contestataire[4]Voir « La construction d’un concept systémique : rapport social et acteur social » R. Quivi, D. Ruquoy et L. Campenhoudt. avec un rapport à l’apprentissage de type coopération conflictuelle, c’est-à-dire que, dans son action, il va entrer en conflit, tout en coopérant avec les règles du système.
Notes de bas de page
↑1 | Bachelier : agrégé de l’enseignement secondaire inférieur – orientation sciences humaines : géographie, histoire, sciences sociales |
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↑2 | Activité lors de laquelle les participants jouent leur propre rôle dans une mise en situation fictive et définie par le professeur. Ici, les élèves tiennent leur rôle d’élève de l’école pour décider sur la modification du Roi. |
↑3 | Extrait des consignes données en classe aux élèves. |
↑4 | Voir « La construction d’un concept systémique : rapport social et acteur social » R. Quivi, D. Ruquoy et L. Campenhoudt. |