L’événement[1]« Question à la
Une », Faut-il avoir
peur de l’Islam ?,
émission du 11
avril 2012. dont il est question ici n’est
pas d’hier soir. Mais les histoires de ce genre
se répètent inlassablement et le propos est
d’actualité ! Répondre, ne pas laisser faire,
argumenter pour une autre manière de traiter
l’information et les idées des personnes mises
sur la sellette, voilà qui devrait faire parler plus
souvent et plus fort !
Hier soir, j’ai regardé avec intérêt, mais
l’amertume au coeur, le reportage que la
RTBF et Questions à la Une consacraient
à la communauté musulmane. Approchée
et suivie pour cette émission par Frédéric
Deborsu et son équipe dans une école où j’animais un
débat sur la multiculturalité avec des élèves de rhétorique,
puis au sein d’un atelier théâtre où je travaille avec
un groupe de femmes à Molenbeek, j’avais l’espoir qu’un
projecteur viendrait enfin éclairer l’identité plurielle
qui caractérise la plupart des enfants de l’immigration,
mais qui reste méconnue par la grande majorité de la
population belge.
Oui, j’y ai cru, sincèrement (naïvement ?), j’ai appelé
de tous mes voeux que cette émission importante qu’est
Questions à la Une fasse enfin sortir de l’ombre cette
majorité silencieuse – peut-être trop – et progressiste
donc je fais humblement, mais fermement partie. J’ai
caressé l’espoir que, dans cette tempête islamiste et
fondamentaliste qui balaie le monde, Questions à la Une
serait ce phare qui donne l’espoir au marin égaré.
Et puis, hier soir, la douche froide ! Une fois encore,
une de fois de plus – une fois de trop ? – cette litanie
immuable, lancinante, lassante, récurrente depuis le 11
septembre 2001 : « Faut-il avoir peur de l’Islam ? »
Frédéric Deborsu, je m’adresse à toi, directement
(nous nous sommes tutoyés dès notre première rencontre,
continuons donc à le faire !). Je te rappelle le
début du courriel que tu m’as fait parvenir le 12 février
dernier : « (…) Après le reportage sur le Prince Laurent,
je me penche avec plaisir, passion et surtout avec objectivité
et intérêt sur l’intégration, réussie (ou non) des
Magrébins de Belgique. L’objectif est large. De la récupération
politique des partis traditionnels aux successstories
en passant par le succès du voile et le retour des
jeunes à la mosquée, sans oublier les valeurs essentielles
de l’Islam. Vaste programme ; j’aimerais évidemment des
interventions sans langue de bois, mais pas sans nuance.
Bref, votre avis compte pour moi (…) »
Avant d’accepter, je l’avoue aujourd’hui, j’ai hésité.
J’ai pensé : « Malika, quoi que tu dises, quoi que tu fasses,
il en disposera à sa guise, selon sa volonté et au nom de la
liberté et de l’objectivité du journaliste. » Oui Frédéric,
dès le départ, j’étais consciente de ton pouvoir et de ma
faiblesse, mais j’ai voulu relever le défi. J’ai voulu, en te
présentant les comédiennes de la pièce de théâtre sur
laquelle je travaille, te prouver que même au coeur d’une
commune comme Molenbeek, des femmes s’expriment
librement sur tous les sujets, même les plus tabous, avec
comme objectif de faire évoluer les mentalités. Mais ça,
tu ne l’as pas compris, ou pas voulu le comprendre, malgré
le temps que tu as passé avec elles dans une discussion
animée qui m’a littéralement enchantée.
Qu’y avait-il de neuf dans ton émission d’hier ?
Quelles « success-stories » as-tu retracées ? Quels portraits
de l’immigration réussie as-tu brossés ? Quels
« objectifs larges », as-tu ratissés ? Aucun ! Entre l’adolescente
en hidjab intégral qui ne serre pas la main aux
hommes et l’ado maquillée à outrance, les fesses serrées
dans un short aguicheur, où doivent, où peuvent
se situer les autres ? Mes nièces, mes cousines, mes
belles-soeurs, mes amies, mes comédiennes, qui sont infirmières,
enseignantes, secrétaires, médecins, juristes,
universitaires, politiciennes ou même simplement
mères de famille enseignant à leurs enfants les valeurs
de l’identité multiple ? Oui, Frédéric, elles existent,
mais vers celles-là tu as omis d’aller.
Oui, il existe des cons misogynes qui se prétendent
musulmans ; ceux-là, tu les as trouvés, tu les as mis en
lumière. Oui, il y a des imams qui en portent le titre,
mais qui ne retiennent du Coran que les chapitres servant
l’étroitesse de leur esprit ; de ceux-là, tu as relayé
les discours. Mais pourquoi ont-ils tant d’importance
à tes yeux pour ainsi occulter la masse des musulmans
ouverts, tolérants, intégrés, sincèrement adeptes de la
démocratie, de la modernité, de l’égalité entre l’homme
et la femme ?
Ne viens pas dire que tu les as évoqués : tes quelques
précautions oratoires, surtout énoncées pour mettre
en exergue la dénonciation – justifiée, bien sûr – des
extrémistes n’ont en rien mis leur travail quotidien en
valeur. Les discours fondamentalistes existent certes,
mais s’ils étaient vraiment légion, si l’influence de ces
imams intégristes était telle que tu le laisses supposer,
si les recueils misogynes, dont tu nous as fait une si brillante
lecture, étaient le « petit livre rouge » du musulman,
notre société à l’heure qu’il est serait en proie à
une véritable guerre civile.
Depuis dix ans, je travaille à une meilleure compréhension
mutuelle des communautés qui composent
notre paysage ethnique, j’ai rencontré des milliers
d’élèves, des centaines d’enseignants, des responsables
d’asbl qui ont dans leurs missions l’interculturalité et
qui sont conscients (comme j’en suis consciente dans
les écoles) qu’il faut, en effet, sans cesse remettre son
ouvrage sur le métier. Je puis t’affirmer que les choses
évoluent. Elles évoluent par la discussion. Elles évoluent
surtout par la connaissance. Une connaissance
qui doit être multidirectionnelle. Cette indispensable
connaissance, en quoi ton émission l’a-t-elle servie ?
Laquelle avais-tu de cette communauté, avant le 12
février 2012 ? Deux mois, seulement, entre ton mail et la
diffusion de ton reportage, permets-moi de te féliciter
pour ta capacité d’analyse et d’assimilation d’une situation
sociale, politique et religieuse que des sociologues
et des anthropologues étudient en Belgique depuis des
décennies sans avoir acquis les certitudes qui sont les
tiennes.
Frédéric, je prends acte du fait que mon parcours,
de même que celui de tant d’autres qui oeuvrent sans
relâche en faveur d’un islam intégré et
contre un islam intégriste, et ce dans l’intérêt
des diverses communautés constituant
notre pays, ne t’a pas semblé digne
d’intérêt. J’ai hésité, je t’ai fait confiance,
je n’ai pas de regrets, seulement de la
tristesse et, je l’avoue, une certaine rancoeur. Je réalise
une de fois plus combien nous sommes solitaires, nous,
issus de l’immigration magrébine (ou autres, mais c’est
la nôtre qui est ici fustigée), qui nous voulons, nous sentons
progressistes. Combien décidément nous sommes
inintéressants pour la machine de médias censés être
au service du public, mais préférant à l’exposé objectif
d’une réalité complexe un sensationnalisme sans doute
plus garant d’audience.
Notes de bas de page
↑1 | « Question à la Une », Faut-il avoir peur de l’Islam ?, émission du 11 avril 2012. |
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