Fichons la paix aux fichus et… occupons-nous d’égalité

L’égalité de la réussite, dans un rapport de genre, là non plus c’est pas gagné!

Dans le monde de l’école, on sent toujours affleurer des agacements devant les modes d’être et de paraitre qui s’écartent de la norme. CertainEs s’énervent des piercings (attention pas dans les oreilles, bien ancré celui-là dans notre culture, pour les filles du moins), d’autres sont choquéEs quand les cheveux des élèves passent au bleu, au rouge, au vert, se dressent ou disparaissent, d’autres encore tiquent devant les mini-jupes ou alors ne supportent pas les shorts ou enfin refusent de voir des nombrils, etc.

Piercing, oui peut-être; hidjab, sans doute non

La diversité des comportements problématiques n’a d’égale que la diversité des opinions à leur égard. À une exception près, le voile. Là, évènement rare, c’est la quasi unanimité : quel fichu fichu, ce hidjab ! Et de se déchainer contre l’oppression des femmes qu’il symbolise ou contre l’intégrisme dont il serait le label. Et de s’en prendre aux familles et aux autorités religieuses qui contraignent les filles à arborer ainsi la marque infamante de leur aliénation, etc.

Cette vertueuse levée de boucliers permet aux combattantEs d’affirmer avec force les valeurs qu’elles et ils défendent : l’égalité des sexes, le droit des femmes à disposer de leur vie, de leur corps. On se félicite alors de vivre dans une société démocratique, on se rengorge d’avoir émancipé les femmes et tout se passe comme si chez nous le patriarcat était mort. Vraiment ? Mais quel patriarcat ? Le patriarcat archaïque, oui sans doute, celui qui éduquait filles et garçons séparément en fonction de rôles sociaux spécifiques, enfermait les femmes dans l’espace domestique, les assignait aux tâches ménagères, les excluait de la vie politique. Mais l’autre, le patriarcat moderniste de notre société libérale, formule rénovée de l’ancien, celui-là est bien vivant et les discriminations qui frappent les femmes n’ont pas disparu. Faut-il rappeler la part inexpliquée des écarts de salaires entre les hommes et les femmes, la quasi absence des femmes aux postes de responsabilité et de décision dans la vie économique et politique, phénomènes qui ne sont pas, comme on le dit un peu vite, résiduels. Non il ne suffit pas d’attendre, regardez l’histoire, le retard à combler pour les femmes est structurel.

Debout(ée) sur le banc de l'école
Debout(ée) sur le banc de l’école

Émancipées disiez-vous ?

Alors, allons-y ! Si vraiment nous nous intéressons à l’émancipation des filles, si l’égalité des filles et des garçons nous concerne, il y a de quoi travailler sérieusement à l’école. On pourrait commencer par se poser des questions. Pourquoi les garçons échouent-ils plus que les filles ? Pourquoi les taux de scolarisation des filles sont-ils en baisse à partir de 22 ans ? Pourquoi les stéréotypes sexistes n’ont-ils pas été éliminés des manuels scolaires alors qu’on les dénonçait déjà il y a plus de vingt ans ? Pourquoi dans l’enseignement secondaire technique et professionnel, si on trouve des pourcentages non négligeables de garçons dans des options dites féminines du technique de qualification (15 % de garçons en assistance sociale, 29 % en éducation), les filles restent-elles très minoritaires dans les secteurs dits masculins (0,5 % en électricité et en mécanique) ? Pourquoi dans l’enseignement supérieur court, les secteurs qui furent des bastions féminins se mixifient (pourcentage croissant de garçons) alors que ceux qui furent des bastions masculins se renforcent (pourcentage décroissant de filles) ? Pourquoi les filières techniques (y compris dans l’enseignement de transition) exercent-elles peu d’attrait pour les filles ? Pourquoi le nombre de celles-ci tend-il même à diminuer dans les CEFA et IFPME ? Tous ces constats ont été faits en 1999 par le CEF[1]Conseil de l’Éducation et de la Formation, Qu’en est-il de l’égalité des chances entre filles et garçons dans notre système éducatif ?, Avis n°65, 1999..

D’autres questions encore et non des moindres : pourquoi les garçons constituent-ils la majorité des perturbateurs à l’école ? Pourquoi sont-ils les principaux responsables des violences dans les écoles ? Pourquoi beaucoup de filles ont-elles tendance à ne pas avoir confiance en elles, même quand elles obtiennent de bons résultats ? Pourquoi les enseignantEs ne traitent-ils pas les filles et les garçons de la même manière dans la classe ? Bref, pourquoi ne pose-t-on jamais la question de l’égalité des sexes à l’école mixte, comme on se pose la question de l’origine sociale dans l’école démocratique, alors que les chiffres nous obligent à faire l’hypothèse que des discriminations sur la base du sexe se produisent à l’école et que la recherche à l’étranger (en Flandre pour ne pas aller chercher loin) démontre l’existence de mécanismes discriminants dans l’apprentissage des filles comme les attentes, les évaluations et les traitements des élèves différenciés selon le sexe ?

On le voit, il y a du pain sur la planche. Alors plutôt que de plaindre les ” enfoulardées ” ou de vitupérer contre elles, fichons-leur la paix et assurons-leur, comme à toutes les filles, un apprentissage scolaire qui ne les discrimine ni en fonction de leur milieu d’origine, ni en fonction de leur sexe. Cela nous obligera à repenser la mixité qui avait placé la charrue avant les bœufs et à considérer l’égalité filles-garçons comme un acquis au lieu de la poser comme un objectif à atteindre. On s’épargnera des échecs, des violences, des stéréotypes ravageurs et, j’en suis persuadée, l’enseignement gagnera en qualité.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Conseil de l’Éducation et de la Formation, Qu’en est-il de l’égalité des chances entre filles et garçons dans notre système éducatif ?, Avis n°65, 1999.