FLE/FLS et FLSCO : deux pavés dans la mare de l’excellence

Le nombre d’élèves en difficulté par rapport à la langue française croît. Ceux-ci se partagent deux réalités et souvent ils les cumulent. Pour les premiers, le français est la langue de la terre d’accueil — Français Langue Étrangère ou Seconde (FLE/FLS) —, pour les seconds, le français de l’école est une langue quasi tout aussi étrangère désignée sous le vocable de « français langue de scolarisation » (FLSCO). Cette problématique est au cœur de différents groupes de travail du Pacte.

Si la question du FLE/FLS est prise en compte depuis une trentaine d’années en FWB, le FLSCO est un concept encore très nouveau sur le terrain des classes. La non-maitrise de l’un ou l’autre de ces niveaux langagiers est une source de difficultés : elle conduit à l’échec scolaire et hypothèque l’intégration des jeunes dans notre société.

Rendez-vous en terres étrangères

Le FLE/FLS est lié à la migration. À Bruxelles, 75,6 % de la population sont directement issus de l’immigration[1]= titulaires d’une autre nationalité ou naturalisés.. En 2000, on parlait 70 langues, à Bruxelles. En 2011, on en parle 104[2]Chiffres issus d’une étude publiée au Soir le 05.11.2013. Les campagnes découvrent à leur tour cette réalité. La vague migratoire de 2015-2016 a multiplié les situations d’accueil d’élèves allophones, dans des écoles de villes et villages où le multilinguisme était un phénomène lointain.
Le FLSCO est davantage lié à l’origine socioéconomique de l’enfant. La langue des milieux défavorisés est souvent caractérisée par son côté concret et pragmatique, elle est fortement contextualisée, éloignée de la langue abstraite et décontextualisée dans laquelle se traduisent les apprentissages scolaires. En regard du FLE/FLS, les difficultés liées au FLSCO sont dans un premier temps moins visibles, moins perceptibles. Dans le contexte de la classe, on se comprend à demi-mot et les interactions relativement succinctes rendent le problème discret. Des structures langagières inadéquates et un vocabulaire approximatif s’installent insidieusement, creusant peu à peu des écarts de plus en plus importants entre « petits parleurs »[3]Concepts repris à M. Brigaudiot, « Langage et école maternelle », Hatier, 2015 et « parleurs experts », semant de façon sournoise les graines de l’échec.
Les élèves allophones qui maitrisent la langue scolaire dans leur langue d’origine s’adapteront généralement rapidement à leur nouvel environnement : leurs repères scolaires ont été construits et la traduction est une question de temps, pas de compréhension. Mais, beaucoup d’enfants allophones cumulent l’ignorance du français avec celle des repères scolaires et, en l’absence de soutien spécifique, leur scolarité en sera entravée.

Un cours de français qui n’est plus
tout à fait celui d’autrefois…

Dès l’entrée en maternelle, expliquer, raconter, communiquer, transmettre… passent par une langue censée familière pour les élèves de la classe. La connaissance d’un français oral a été durant longtemps considérée comme un préacquis « évident ». C’était là l’illusion. Dans une logique de transmission de savoirs et de filières de relégation, il est facile de « passer » à côté de ceux qui ont mal à la langue des apprentissages. Or, l’approche par compétences autant que la pression à la réussite de tous les élèves, auxquelles on ajoute l’accueil des élèves allophones ont radicalement changé la donne. Aborder les apprentissages dans une logique de résolution de problèmes comme initier des démarches de recherches passe inévitablement par un recours constant à la langue orale. Or, en dehors des poésies, comptines et élocutions, en dehors des saynètes et pièces de théâtre proposées aux fêtes scolaires, l’enseignant a reçu peu d’outils pour développer le français oral… Il a longtemps été « formé » pour enseigner en français, non pas pour enseigner le français. Son expertise est avant tout celle de guider l’élève vers l’écrit à partir d’une langue déjà « maitrisée », à tout le moins utilisée et d’en observer le fonctionnement (grammaire, conjugaison, orthographe…) pour mieux la comprendre et la faire évoluer. La place plus que modeste accordée aux compétences de langue orale dans les bulletins scolaires est parlante !
Il faut se rendre à l’évidence : « en contradiction avec les faits démographiques, le curriculum a été fondé sur l’idée (fausse) que tous les apprenants sont élevés dans la langue majeure de l’école et arrivent en classe avec des compétences langagières comparables. »[4]E. Thürmann, H. Vollmer et I. Pieper, « Langue(s) de scolarisation et apprenants vulnérables », Conseil de l’Europe, novembre 2010.
De très nombreux enseignants sont désormais quotidiennement confrontés à un double défi : apprendre le français à des élèves allophones dans des classes qui elles-mêmes maitrisent souvent très peu la langue des apprentissages.

Expériences utiles et changement
de logique !

Depuis une trentaine d’années, des dispositifs fleurissent en FWB. Quelques leviers utiles sur lesquels s’appuyer : le concept de justice correctrice (1998, Décret Discriminations Positives) et l’augmentation sensible des moyens humains et financiers (2009, Encadrement différencié selon les indices socioéconomiques), la souplesse accrue dans l’organisation des DASPAs par rapport aux classes passerelles des années 90 (Dispositif d’Accueil et de Scolarisation des Primo-Arrivants), le nombre croissant de jeunes enseignants détenteurs d’un diplôme en FLE, et plus que tout, l’enthousiasme des enseignants qui s’engagent dans des projets le plus souvent bénéfiques aux élèves les plus fragilisés et la création d’outils qui mériteraient d’être davantage mutualisés.
Comme difficultés à pointer : l’externalisation de la problématique renvoyant l’apprentissage du français à la seule responsabilité des titulaires de DASPAs (là où ils existent !) ou de cours ALE (Apprentissage de la Langue de l’Enseignement) ; pour accéder à ces structures, des critères excluant parfois les élèves qui en auraient le plus besoin (nationalité, arrivée sur le territoire…), la difficile intégration des élèves qui régulièrement « quittent » leur groupe classe pour de la remédiation « parce qu’ils ne savent pas »… ; au sein des écoles qui ne disposent ni de DASPA, ni d’ALE, le règne de la débrouille avec un sentiment épuisant d’impuissance et d’inefficacité ; le manque cruel de concertations expliquant en partie l’absence de planifications, d’objectifs cohérents et de continuité, une méconnaissance quasi générale des spécificités de la langue scolaire… L’envergure du défi est impressionnante !
Face à un contexte si complexe, il est peut-être temps de prendre distance pour mener une réflexion plus globale afin de faire évoluer l’enseignement du français…tout court !

Une équation aux données connues

On le sait, les ingrédients qui favorisent l’apprentissage de la langue, qu’elle soit de communication ou de scolarisation, c’est l’accueil au sein d’une communauté stable d’apprenants où l’on offre une véritable place aux interactions langagières, c’est la reconnaissance du potentiel de chacun, c’est l’acceptation d’inscrire cet apprentissage dans une durée qui excède largement celle de l’année scolaire. De 4 à 7 années sont nécessaires pour qu’un apprenant atteigne le niveau langagier d’un natif[5]B. Abdelilah-Bauer, « Le défi des enfants bilingues », La Découverte, 2008. .
Communications authentiques, mobilisations répétées sur la durée et dans des contextes significatifs, moments de structuration : les recherches les plus récentes dévoilent davantage le fonctionnement du cerveau et mettent en lumière le rôle primordial de la mémoire et les démarches susceptibles de la rendre plus efficace. L’apprentissage du français, qu’il soit destiné aux élèves allophones, aux francophones vulnérables ou aux parleurs experts eux-mêmes ne peut plus se limiter à la responsabilité de quelques-uns à certains moments donnés. Il ne peut plus se limiter non plus au bain langagier souvent très insatisfaisant des classes. Au-delà des rudiments de base qui permettront à tous les élèves de communiquer avec leurs enseignants et avec leurs pairs, il s’agit de les outiller très rapidement avec des éléments langagiers indispensables à leur parcours scolaire. S’intégrer à l’école, c’est disposer très vite d’un répertoire de mots qui permettent d’exprimer ses émotions et de défendre ses arguments, qui désignent des objets mathématiques ou des consignes de travail, des concepts scientifiques ou des démarches mentales.

Elémentaire, vraiment ?
Passionnant, assurément !

L’envergure du défi nous convie à une nouvelle logique : replacer l’apprentissage du français au cœur même de la classe et de l’y considérer de manière prioritaire, dans tous les cours, et pas seulement dans le cours de français.
La complexité du contexte confirme la nécessité d’exercer le métier dans une logique collective et d’organiser les apprentissages en équipes pédagogiques sur les 2 ou 3 ans d’un cycle. L’alternance de groupes hétérogènes, pour vivre ces apprentissages, pour les expérimenter, pour les partager, et de groupes homogènes, pour dégager l’essentiel et le structurer selon les besoins des élèves, est sans doute la piste la plus réaliste à explorer. Et donc, poursuivre un objectif de stabilité au sein des établissements serait une bonne chose. Par ailleurs, les enseignants auraient besoin que les programmes soient clarifiés autour des enjeux fondamentaux à poursuivre sur les 9 ans de l’école fondamentale, qu’un accompagnement de proximité soit organisé pour les outiller et les aider à analyser leurs stratégies pour les faire évoluer…
Derrière cette perspective, un autre enjeu se dessine : celui de valoriser enfin le multilinguisme de nos élèves, de mettre fin au « gaspillage de talents » de ces centaines de bilingues dont la langue d’origine est trop souvent approchée comme un obstacle et non comme une valeur ajoutée. Valeur ajoutée sur le plan de tout apprentissage : l’effet positif du multilinguisme sur le développement de nombreuses compétences a été largement démontré. Valeur ajoutée sur le développement de l’estime de soi de tous ces enfants qui, enrichis de leurs diversités sociales et culturelles construiront la société de demain.
Afin que FLE/FLS et FLSCO soient une magnifique occasion pour relever le pari de l’excellence ! 

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 = titulaires d’une autre nationalité ou naturalisés.
2 Chiffres issus d’une étude publiée au Soir le 05.11.2013
3 Concepts repris à M. Brigaudiot, « Langage et école maternelle », Hatier, 2015
4 E. Thürmann, H. Vollmer et I. Pieper, « Langue(s) de scolarisation et apprenants vulnérables », Conseil de l’Europe, novembre 2010.
5 B. Abdelilah-Bauer, « Le défi des enfants bilingues », La Découverte, 2008.