Deux écoles : une école fondamentale et une école secondaire, l’une en face de l’autre, de chaque côté de la même rue.
Des enfants et des jeunes : les enfants de l’école dans laquelle je travaille et les jeunes qui fréquentent l’établissement d’en face… Des horaires : parfois semblables, parfois différents, qui donnent parfois lieu à des croisements de groupes d’enfants et de groupes de jeunes.
D’abord à 15 h 30, quand je sors de l’école avec mes élèves. Les enfants de l’école fondamentale sortent en descendant une longue pente au pied de laquelle les attendent leurs parents. Adossés au mur de soutien, des jeunes de l’école d’en face… Ils parlent à voix haute, rient, se chamaillent… fument de la marijuana, boivent de l’alcool, casent des bouteilles sur le mur, menacent le plus jeune d’entre eux en le brutalisant physiquement, occupent bruyamment le milieu de la rue en empêchant les voitures de passer…
« T’as vu, ils font mal à l’autre ! Ils peuvent faire ça ? » « Ça sent drôle… Qu’est-ce qu’ils fument ? » « Pourquoi il écrit sur les murs de l’école ? Tu ne lui dis rien ? » « Qu’est-ce qui se passe ? » « Pourquoi les voitures klaxonnent ? » « Il y a un blessé ? »
Et moi, leur enseignante, une parmi les adultes en qui ils ont confiance, j’essaie de leur répondre, pour les rassurer d’abord, pour leur expliquer ensuite. Mais leur expliquer quoi ?
Je leur dis que « Non, bien entendu, ils n’ont pas le droit d’agir ainsi. Non, personne n’a le droit de faire mal à un autre, d’écrire sur les murs sans permission, d’empêcher gratuitement la circulation dans la rue, de vendre de la marijuana ».
« Mais alors, pourquoi tu leur dis pas ? » Comment répondre alors que je n’ose plus interpeler ces jeunes, que j’ai déjà essayé, que certains ont repéré ma voiture et ont brisé les essuie-glaces, que c’est un peu la loi du plus fort qui s’est installée dans la rue, que moi, une adulte, ai peur de ce que certains de ces jeunes peuvent faire sur les biens qui m’appartiennent, mais aussi sur ma personne ?
Ensuite à huit heures, quand j’arrive à l’école. Je ne suis pas encore en compagnie de mes écoliers. Les jeunes attendent l’ouverture de la porte d’entrée de leur école. Ils se regroupent en fonction de la langue qu’ils parlent. Les groupes ne se rencontrent pas ou si peu. Ils se moquent l’un de l’autre, se disputent et s’agressent parfois. Ils occupent tout le trottoir, s’asseyent sur les capots des voitures, jettent leurs canettes vides devant la porte d’entrée, urinent sur le mur de l’école. Sans la présence de jeunes enfants à mes côtés, je tente plus facilement une remarque sur leur comportement. Certains me rappellent à l’ordre parce que j’ai osé les tutoyer et me demande de quoi je me mêle. J’évite l’affrontement et je rentre dans l’école, de plus en plus décidée à agir pour que cela change !
Et je me renseigne : qui puis-je appeler à l’aide quand ces jeunes enfreignent la loi, particulièrement quand cela se passe devant de jeunes enfants ? Qui puis-je appeler pour aider ces groupes de jeunes à se parler quand ils sont en dehors de l’établissement scolaire ?
Avant d’être confrontée aux questions de mes élèves, je me souciais peu de ce respect de la loi dans l’espace public. Je n’appréciais pas la présence de policiers, trop nombreux à mon gout, dans les rues de la ville. Soumise au questionnement de mes élèves, je me suis sentie en porte-à-faux quand je n’osais pas intervenir auprès de ces jeunes alors que dans mon métier d’institutrice, j’incitais les enfants à réagir quand ils repéraient qu’une loi de classe ou d’école n’était pas respectée. J’ai ainsi appris qu’un service de prévention existait : des assistants de prévention et de sécurité étaient présents à différents endroits de la commune, des gardiens d’espaces publics circulent pour assurer une présence rassurante. Mais j’ai aussi appris que certains jeunes ne respectent pas toutes ces personnes sachant qu’elles ne peuvent verbaliser et ne sont pas armées… Faudrait-il alors renforcer la présence policière dans la rue ? Faudrait-il un policier devant l’école pour que les enfants et moi-même nous nous sentions en sécurité à la sortie de notre école ?
Je pense aujourd’hui qu’un policier dans la rue, aux heures d’entrée et de sortie des jeunes serait bien utile. Utile pourquoi ? Pour embarquer certains au poste ou les menacer de sa matraque ? Non, bien entendu, ce n’est pas ce que j’attends de cette présence policière. Toutefois, ainsi outillé, ce représentant de l’ordre pourrait rappeler la loi en discutant avec ces jeunes, régulièrement, au moment même où ils ne la respectent pas, pour mettre en évidence l’utilité de la loi pour la société.
À nous, les enseignants d’expliquer aux enfants et aux jeunes comment faire changer cette loi, sans violence, en utilisant les institutions existantes ou en en créant de nouvelles.
Alors, flics et profs, même combat ? Même si mes dents (doigts) grincent en écrivant cette question, je pense qu’une partie de notre travail est semblable, particulièrement quand nous nous adressons à des jeunes ou à des enfants. Les policiers comme les enseignants doivent rappeler la loi, les libertés qu’elle nous donne, et les devoirs qu’elle nous impose.
Et si, quand les enfants de l’école fondamentale sont témoins d’infractions à la loi, légères certes, mais fréquentes, ils assistent à des discussions fermes, mais non violentes entre les auteurs des délits et les forces de l’ordre, alors, l’incohérence entre les actions d’éducation à la citoyenneté à l’école et la réalité de la rue diminuera à leurs yeux.