Depuis trois ans, je suis en charge d’un cours de
méthodologie pour les élèves du premier degré de
l’enseignement secondaire. Si ce cours était, au
départ, collectif, je reçois maintenant les élèves
individuellement et je cherche avec eux des
pistes et des outils plus adaptés.
Au fur et à mesure des séances, je me rends
compte de questions récurrentes chez
tous et des cours qui vont généralement
leur poser problème. En effet, lors de la
première séance, nombreux sont ceux
qui évoquent des difficultés dans les cours d’EDM et de
Sciences. Ces cours posent particulièrement problème,
car, d’une part, ils abordent des thèmes nécessitant un
vocabulaire précis, neuf, abordant des concepts parfois
très éloignés de la réalité de l’élève, et d’autre part, ils
demandent à l’élève d’être capable de faire des liens, de
transférer ses connaissances vers de nouvelles situations
pour les comparer, les analyser et de raisonner par
écrit à l’aide, entre autres, du vocabulaire précis appris
en classe.
En explorant ce qu’un élève qui vient chez moi
met en place pour s’approprier ces matières, tous me
disent qu’ils lisent plusieurs fois leur cours, mettent
du fluo (bien souvent beaucoup de fluo), font des synthèses
(bien souvent recopient mot à mot des parties de
cours), répètent à voix haute (très fidèlement), écrivent
plusieurs fois leurs définitions, restituent à quelqu’un…
Mais que bien souvent, au moment de l’évaluation, ils
ne comprennent pas la question, ils ont des trous de
mémoire, ils ont l’impression que la question porte sur
quelque chose qu’ils n’avaient jamais vu en classe. Donc,
les résultats sont très peu satisfaisants. Les professeurs
mettent en évidence un manque de compréhension des
consignes, parfois un manque d’étude. Bref, c’est ainsi
qu’ils arrivent à mon cours de méthodo…
En creusant un peu avec l’élève face à moi, je constate
que ce qui fait totalement défaut dans son travail c’est le
traitement de l’information lue. Il n’y a en fait aucune
appropriation de la matière, autrement dit, pas de compréhension
au sens étymologique du terme. Souvent,
ces élèves sont persuadés que mettre du fluo, réécrire,
répéter, faire des « pseudo synthèses » — conseils qui,
par ailleurs, leur sont donnés depuis longtemps par
l’école – prouvent leur compréhension et leur travail
de la matière. Mais lorsque j’interroge leurs représentations
mentales, elles s’avèrent assez floues. Oui,
ils savent parfois redire « par coeur », mais non, ils ne
savent pas de quoi ils parlent. Et donc les résultats sont
faibles, car lorsque l’évaluation vérifie la compréhension
profonde d’un concept, aborde le concept par un
autre angle, de fait, ils ne comprennent pas la question,
ils ont des trous noirs, ils pensent n’avoir jamais vu ce
sur quoi porte la question…
En méthodo, face à ce même problème visible, j’ai
en fait deux profils d’élèves vraiment très différents. Je
dirais de manière très générale que les premiers sont en
panne de stratégies face à l’écrit : ce que je cherche à
travailler avec eux c’est comment traiter l’information,
structurer le cours, se l’approprier, l’intégrer. Pour développer
cela, je parlerai ici de Julien. Les seconds sont
davantage en panne à cause d’un bagage linguistique
parfois plus fragile : ce que je travaille avec eux, c’est
alors davantage la compréhension même du cours. Pour
illustrer cela, je parlerai de Célestine.
Commençons par Julien. À la première séance, il me
dit que les Sciences l’intéressent vraiment, mais qu’il
ne parvient pas du tout à les apprendre. Pour étudier le
cours, il applique un conseil donné lorsqu’il apprenait
l’orthographe en primaire : il écrit plusieurs fois son
cours. Mais il n’y arrive pas, c’est trop long, pénible et
finalement toute son énergie est mobilisée pour le geste
graphique et n’est plus disponible pour l’appropriation
du sujet. Et de fait, ses résultats sont vraiment mauvais.
Avec lui, j’ai utilisé comme outil le MindMap. Sur
une feuille en format paysage, nous posons au centre le
sujet/le concept à s’approprier. Ici, c’était la nutrition.
Puis, en parcourant le cours, nous y relions peu à peu
des « branches » représentant les divers éléments qui
vont permettre de définir ce concept, de l’élargir aussi.
Sur ces branches, nous posons des symboles, des dessins,
parfois des mots-clés. Cela demande donc obligatoirement
de se représenter la matière et permet
dès lors de mettre en évidence les incompréhensions :
quand Julien ne peut trouver un symbole/une image ou
un mot-clé, c’est bien souvent parce que sa représentation
est trop floue et qu’il faut d’abord la clarifier.
Chaque branche peut se ramifier en « sousbranches
» et donc au fur et à mesure de la construction
du MindMap, Julien va prendre conscience de la structure
de son cours : il va traiter les titres, les sous-titres,
se rendre compte que telle information est une illustration
par exemple, et non un nouvel élément. Les liens
entre les différentes branches sont plus visibles aussi.
Lorsque son MindMap est terminé, Julien a donc sur
une feuille, une synthèse de son cours, qu’il pourra plus
facilement réévoquer lors de l’évaluation, par exemple,
et dans laquelle lui apparaitront plus facilement les
éléments lui permettant de faire des liens, de comparer,
d’analyser… Avec Julien, c’était très chouette, lors
de l’évaluation suivante, ses points en compréhension
étaient nettement meilleurs. Ce n’est évidemment pas
le cas pour chaque élève, mais ici, le travail avait vite
porté ses fruits et au-delà des résultats, Julien y avait
trouvé du plaisir !
Célestine, quant à elle, lors de la première séance de
travail me demande presque des recettes pour réussir
urgemment en EDM. Elle vient avec un texte qui porte
sur les secteurs d’activités et nous nous arrêtons sur un
paragraphe ciblant « le développement de parcs d’activités
spécialisés dans le transport qui se développent en
périphérie urbaine le long de grands axes de communication
».
Je lui demande de lire ce paragraphe et de me dire ce
qu’elle en comprend pour voir comment l’on peut poser
cela sur un MindMap. Je constate alors que Célestine lit
à voix haute de manière assez robotique, ne s’arrête pas
vraiment aux points, continue au-delà du paragraphe.
Je l’arrête et lui demande ce qu’elle a compris. Elle me
redit des bribes de phrases du texte. Je relis à voix haute
pour elle, m’arrête après chaque phrase et interroge ses
représentations. Pour Célestine, les parcs d’activités
évoquent des parcs publics et les transports des transports
en commun. Complètement perdue tant dans le
contenu que dans la forme du texte, Célestine s’est réfugiée
depuis plus d’un an dans l’apprentissage par coeur
de ce type de texte, comme elle apprendrait une poésie.
La tâche est immense, elle n’y arrive pas et évidemment
elle ne comprend pas les consignes, elle a des trous
noirs, elle oublie des mots. Tout le monde est perdu : le
prof qui ne comprend rien de ce qu’elle écrit, Célestine
qui ne comprend rien de ce que le prof demande.
Avec elle, il s’agit donc d’abord de décortiquer la
matière, de partir de ses représentations, de les dé-
« Rechercher où ça
coince et comment
y remédier. »
construire, d’en reconstruire et peu à peu d’aller repérer
l’idée clé à garder. Tout cela est très insécurisant
pour Célestine : ça prend du temps, on abandonne des
mots (or pour elle, plus elle met de mots, plus elle a de
points), et surtout elle se retrouve face à ses difficultés.
C’est un travail très délicat : je
cherche à mettre en valeur ses repères
connus et à y raccrocher peu
à peu une matière bien plus complexe.
Les résultats resteront encore
très faibles un bon moment, mais,
ne touche-t-on quand même pas là
le coeur de l’apprentissage ? Moi je le sais, mais pour
Célestine, c’est plus compliqué, je ne réponds pas directement
à son urgence de réussir.
Qu’il s’agisse de Julien ou de Célestine, est-ce de la
méthode de travail, est-ce du « rattrapage », est-ce de
la « remédiation » ? Je ne sais pas très bien. Ce que je
sais par contre c’est que c’est finalement le seul espace/
temps dans l’école où un élève en panne peut venir se
dévoiler et se retrouver face à ses difficultés, face à son
absence de compréhension, face à ses difficultés d’appropriation,
où il ose mettre les choses à plat, où il peut
arrêter de se camoufler, car il n’y a là ni la pression du
groupe ni la pression du professeur/évaluateur. C’est un
espace-temps hors jugement où l’objectif va vraiment
être de rechercher où ça coince et comment y remédier.
Mon rêve pour l’école serait vraiment que ces espaces-
temps puissent un jour venir trouver leur place
au coeur des lieux d’apprentissages, c’est-à-dire en
classe avec le professeur.