Assez curieusement le rapport sur la formation des futurs enseignants a fait très peu de vagues et l’objet de peu de commentaires [1]Évaluation qualitative, participative et prospective de la formation initiale des enseignants en Fédération Wallonie-Bruxelles, mars 2011- février 2012. À lire sur www.enseignement.be Pourtant tout le monde se plaint de la situation : étudiants surchargés, formateurs harassés, parents d’élèves et maîtres des stages… De surcroit il y a pénurie et la moitié des jeunes enseignants abandonnent le métier dans le courant des 5 premières années. La cata, quoi !
Mieux (pire ?) : ce rapport est d’une qualité et d’un intérêt assez exceptionnels. Il s’agit d’une évaluation « qualitative, participative et prospective ». Vraiment ! Il a été confié à une équipe (de sociologues des Facultés universitaires Saint-Louis) qui avait fait ses preuves et produit des rapports très appréciés (hélas peu utilisés par les décideurs) sur les enseignants du fondamental et du secondaire. En outre, il doit contribuer à faire avancer des questions urgentes, Monsieur le Ministre Marcourt.
Le premier mérite du rapport est de ne pas cacher l’état sinistré du terrain que tous les acteurs interrogés dénoncent. Avec des accents parfois différents bien sûr. Sinistré par des réformes successives sans moyens adéquats, sans adhésion des acteurs, sans un travail préalable solide pour les fonder. Aujourd’hui, on dispose au moins de ces fondations.
Au-delà des constats, les auteurs tirent tout le suc de centaines d’entretiens individuels, de travaux de groupes, de récits édifiants… réalisés tant avec des étudiants qu’avec de jeunes enseignants débutants, tant avec des formateurs ou directeurs qu’avec des maîtres de stages dans les écoles. Tout cela débouche sur des analyses et une synthèse qui présentent une approche du métier d’enseignant assez neuve et susceptible de provoquer d’importants et indispensables changements.
La première priorité : redéfinir le métier d’enseignant. « C’est quoi enseigner aujourd’hui ? Le métier s’est considérablement transformé, l’enseignant devant jouer une diversité de rôles : il est transmetteur de savoirs, psychologue, assistant social, éducateur, médiateur. C’est l’image de l’enseignant aux multiples casquettes. Enseigner consiste à jongler avec ces casquettes dans la classe, dans la salle des profs, dans l’école, dans les réunions de parents, dans la vie en société. Pour exercer ces différents rôles, être en capacité de passer à toute vitesse de l’un à l’autre, l’enseignant doit maîtriser un large éventail de connaissances, des plus générales aux plus spécialisées ».
Parmi les pistes pratiques suggérées, je relève une dimension trop souvent oubliée et considérée comme « cruciale » par les évaluateurs : « le futur enseignant comme acteur social ». Qu’est-ce à dire ? « Son expérience de la vie collective hors école et sa confrontation avec une réalité différente de celle de son milieu d’origine sont tout aussi importantes que sa formation strictement scolaire. De ce point de vue, l’acquisition du métier commence en amont de la formation initiale, mais elle doit y rester une préoccupation centrale. C’est d’ailleurs pour cette raison que certains proposent qu’une partie des stages puisse être effectuée en dehors du cadre scolaire, dans des associations de quartier, des maisons de jeunes… Il s’agit de sortir les (futurs) enseignants de l’école et de les former autant au dehors qu’au sein de l’école ». Évidemment ! Mais on en est bien loin.
Autre accent fort et nouveau : « Penser le métier dans le cadre d’un système éducatif conçu comme une Institution ». Explication nécessaire : « Au sens fort de ce qui “institue”, fait exister et fait reconnaître digne de susciter des convictions et une mobilisation durable. Ce qui importe avant tout, c’est une mission par rapport à l’extérieur, un travail pour et sur “l’environnement”, qui n’en est plus vraiment un puisqu’il s’agit de la société dans son ensemble et, en l’occurrence, de la jeunesse plus particulièrement. Bref, un projet civilisationnel au niveau de la société, émancipateur et éducationnel au niveau des élèves. »
C’est donc à de profonds changements que ce rapport appelle. Bien sûr, il ne peut être question de s’engager dans la précipitation et il faudra veiller à mobiliser autant que possible les acteurs. Mais on ne peut non plus attendre on ne sait quel signal nouveau pour entamer le processus. Les étudiants sont surchargés, les jeunes enseignants sont souvent paniqués, les formateurs ne sont pas formés, …. Et on peut craindre le pire (que tout le suc de ce long travail soit gaspillé), quand on entend les uns présenter un examen d’entrée comme solution ou d’autres réduire un processus nécessairement complexe à la durée des études (le passage à 5 ans).
On attend du Ministre en charge (il l’oublie parfois !) qu’il précise rapidement les étapes de ce processus. Du gouvernement qu’il dégage des moyens pour porter remède à des urgences repérées. On peut espérer des acteurs concernés dans les Hautes écoles et les Universités qu’ils prennent en compte – par un travail collectif – les grandes orientations de ce précieux rapport et modifient dès à présent ce qui peut l’être. Avec audace !
Notes de bas de page
↑1 | Évaluation qualitative, participative et prospective de la formation initiale des enseignants en Fédération Wallonie-Bruxelles, mars 2011- février 2012. À lire sur www.enseignement.be |
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