Lorsque des attentats violents se sont déroulés sur le sol européen, les autorités ont commencé à lutter contre le radicalisme et le terrorisme. Mais pour les jeunes issus de pays en guerre, le terrorisme avait commencé bien avant cela.
En 2013, Joëlle Milquet, alors ministre de l’Intérieur, livre la stratégie à mettre en place : une meilleure connaissance et sensibilisation collective sur la radicalisation, un plan d’action contre les frustrations (lutte contre le racisme, le chômage des jeunes et la discrimination), l’accroissement de la résistance morale, un soutien aux différents acteurs (police, secteur associatif, parents, médias, monde religieux…), la lutte sur internet, le travail dans les prisons[1]https://lc.cx/Gnie .
À côté de mesures évidentes, elle souhaitait vacciner la population et elle oubliait de soutenir l’enseignement. Les budgets dépensés dans la police et l’armée ont été considérables alors qu’on chipotait sur un cours de citoyenneté sans dégager de vrais moyens.
Par la suite, à chaque tragédie, trois explications étaient systématiquement apportées. L’islam serait une religion porteuse de violence et d’intransigeance. Ce discours ne se rencontre pas tel quel dans les écoles, néanmoins, en reliant islam et terrorisme, en expliquant que les musulmanes ne bénéficient pas d’une condition acceptable, on est dans un discours raciste qui sous-entend que l’islam est violent. Cela sans se poser de question sur les violences générées par nos sociétés européennes.
Ensuite, ils attaquent la liberté d’expression et le vivre-ensemble. On propose donc d’étudier l’histoire des caricatures, des contestations, la philosophie des Lumières… Comme si le vivre-ensemble était une invention occidentale ! De plus, les enseignants ne se rendent pas toujours compte que leurs élèves issus de l’immigration sont discriminés socialement et économiquement. Le discours sur le vivre-ensemble est servi à des jeunes qui en sont justement exclus. Ce qui est subi comme particulièrement injuste.
Et une troisième : les frustrations, la psychologie des jeunes et leur rapport à l’information. En recherche d’identité et d’un certain idéalisme, ils seraient victimes des théories du complot, démunis, manquant de culture. Leur environnement social et leur mauvaise manière de s’informer les précipiteraient dans la violence.
En même temps, on évacue le contexte des guerres que les pays de l’Otan mènent au Moyen-Orient. Les propos des autorités qui prétendent apporter la démocratie (à géométrie variable) par les bombardements ont choqué bien des jeunes. Ce sont aujourd’hui les victimes de ces politiques que nous retrouvons dans nos classes. « Quand on se penche sur les textes de revendication de l’État islamique après les attentats, ils étaient pourtant très clairs : tant que vous nous bombarderez, on vous attaquera, on se vengera. L’État islamique aujourd’hui n’est-il pas le résultat de la guerre d’Afghanistan, de celle de 2003 en Irak, de l’anéantissement de la Libye en 2011 ? Cette politique de guerre et d’occupation divise les populations, nourrit le sectarisme et le terrorisme. Le discours sur les droits de l’homme apportés à coup de bombardements, avec pour alliés l’Arabie saoudite et la lâcheté des prises de position de l’Europe à propos de la cause palestinienne exaspèrent les jeunes. C’est l’effet boomerang [2]L. de Brabander, https://lc.cx/Nakx. »
Toutes les formations que j’ai suivies ou étudiées en qualité d’enseignante évacuent complètement la dimension politique et les guerres. Ces sujets seraient trop complexes et trop délicats pour être abordés en classe. Un exposé sur le pacifisme, le refus des guerres, les dimensions historiques, économiques et géopolitiques des conflits aiderait grandement les jeunes (et les enseignants) à comprendre. Or, c’est l’inverse qui est développé. Dans les cours d’histoire, par exemple, on parle pour l’essentiel d’un devoir de mémoire [3]Décret mission.. De même, en géographie, on abordera la fonte de la banquise et non les enjeux géostratégiques des transnationales dont nous consommons les produits. De plus, les enseignants sont tenus à la neutralité. Cette attitude implique une certaine soumission à la pensée dominante et n’est donc pas si neutre. La neutralité est un statut qui met l’enseignant en dehors de l’obligation d’exercer son jugement, au contraire de l’objectivité qui en force l’exercice en excluant les intérêts et les partis-pris.
L’analyse des médias proposée aux enseignants est très superficielle, prise sous l’angle de la forme et des techniques utilisées (créer un coin média, jouer avec le cadrage des images, sonoriser une séquence JT, analyse des photos et des publicités…) « L’éducation aux médias ne vise pas à apporter des jugements de gout à propos de la qualité des médias ni à participer à leur régulation. Diaboliser les médias ou certains types de médias n’apporterait aucune solution et contribuerait à susciter davantage la curiosité des enfants et des jeunes pour toute forme d’interdit[4]Conseil supérieur de l’éducation aux médias.. »
Par rapport à la manipulation de la pensée, on en arrive à échafauder des stratégies creuses : « Une piste à explorer serait de leur faire comprendre qu’on les manipule. Le problème est que c’est un argument également partagé par les complotistes. Une autre piste serait de flatter leur égo, en mettant l’accent sur la satisfaction d’avoir dévoilé une supercherie et de ne pas être tombé dans le piège.… Développer une argumentation rationnelle avec un tenant (du complotisme) peut éventuellement être constructive pour la partie de l’auditoire qui doute, même si c’est un danger d’abord à cause du biais de simple exposition, ensuite parce que vous maitriserez toujours moins bien le sujet que le tenant, qui lui a passé énormément de temps à se renseigner sur internet. L’exercice est donc particulièrement périlleux[5]S. Lescrenier (Centre audiovisuel de Liège), Médias et esprit critique : faire face à la désinformation
sur internet, formation destinée aux enseignants.. »
On attrape les jeunes par leur égo, et les enseignants semblent considérés par la formatrice comme incapables de se renseigner ou d’organiser une recherche.
Un autre formateur[6]V. Ferry, Combattre le radicalisme violent à l’aide de la rhétorique, Formation à destination des enseignants du secondaire. passe par la rhétorique (en apprenant à plaider une cause et son contraire avec la même habileté) pour aider à contrer les erreurs de jugement des jeunes en voie de radicalisation. Il estime que parler des guerres comme étant une des causes du terrorisme est une dérive idéologique qui n’a pas sa place dans les écoles…
La plupart du temps, les experts partent du principe que l’information puisée sur internet et les réseaux sociaux est simpliste et que les journalistes des grands médias font plutôt bien leur travail. C’est faux, internet peut simplifier les recherches personnelles et favoriser les questionnements des utilisateurs, accusés un peu vite de complotisme. Ceux-ci seraient d’ailleurs forcément d’« extrême droite, antisémite et homophobe, faisant partie des réseaux antiimpérialistes, antisionistes, anticolonialistes, ils font partie des minorités ethnoculturelles, de la génération “tout est acquis” donc “tout est permis” perdue devant un réel trop complexe et/ou trop douloureux[7]M. Peltier, enseignante à Bruxelles, présentée comme spécialiste du complotisme et de l’interculturalité.». Cela fait beaucoup de monde et on ne comprend pas bien, par exemple, le mal qu’il y a à être anticolonialiste. Et si, tous ces complotistes étaient des citoyens qui se posent des questions sur les dérives de notre société ?
Une autre solution serait de s’en tenir strictement aux faits. Par exemple, le nombre de réfugiés qui se sont noyés en Méditerranée, ça pourrait être un accident de navigation. Pour que cela prenne du sens, il faut y ajouter d’autres analyses : les causes de la misère et de la guerre, le refus de délivrer des visas, l’obligation qu’ont les gens qui fuient de s’en remettre aux passeurs plutôt que de monter dans un avion comme le ferait n’importe quel voyageur européen… C’est la mise en contexte des faits et la façon que nous avons de les relier entre eux qui permettent de comprendre l’actualité.
Les sources alternatives d’informations inquiètent les autorités académiques. Aucune source d’information n’est jamais désintéressée et doit donc être analysée afin de comprendre quelles sont les intentions ou l’idéologie qui s’y rattachent afin de pouvoir se faire sa propre opinion. Une information pertinente peut être trouvée dans une source dite douteuse, ce n’est donc pas tant la fiabilité de la source qui doit être en priorité analysée. Par contre, l’information doit être examinée en recoupant plusieurs médias, en confrontant les points de vue opposés, en faisant des liens, en recherchant les causes et les conséquences, en se questionnant sur la pertinence des faits…
C’est davantage la capacité des jeunes à penser juste et à se poser les bonnes questions qui doit être développée. Pour cela, il faut leur apporter plus de savoirs de base, développer leurs connaissances générales, leur esprit logique et leur objectivité. Plutôt que de fuir toute approche idéologique, l’étude de la philosophie, de l’économie, des courants de pensée devrait figurer dans les programmes.
Un cours d’autodéfense intellectuelle doit permettre de comprendre les enjeux dans les médias, sur internet. Les jeunes doivent être mis en garde contre les détournements des mots, des chiffres et des images. Nous devons pouvoir montrer où se cachent la propagande et la désinformation, repérer les omissions, les fausses affirmations et les raisonnements erronés. Les élèves doivent apprendre à développer une pensée personnelle critique et respectueuse de tous.
Une citoyenneté responsable ne peut se concevoir que si on est capable de mettre en place les conditions nécessaires au débat objectif.
Notes de bas de page
↑1 | https://lc.cx/Gnie |
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↑2 | L. de Brabander, https://lc.cx/Nakx |
↑3 | Décret mission. |
↑4 | Conseil supérieur de l’éducation aux médias. |
↑5 | S. Lescrenier (Centre audiovisuel de Liège), Médias et esprit critique : faire face à la désinformation sur internet, formation destinée aux enseignants. |
↑6 | V. Ferry, Combattre le radicalisme violent à l’aide de la rhétorique, Formation à destination des enseignants du secondaire. |
↑7 | M. Peltier, enseignante à Bruxelles, présentée comme spécialiste du complotisme et de l’interculturalité. |