Formations CGé : quelles spécificités, quelles convictions, quels principes ?

46 Rencontres pédagogiques d’été, soit environ 300 ateliers de formation et presque 50 ans d’interventions diverses en école et hors école. Quelle « permanence » dans cette histoire de formations, quelles convictions et quels principes communs ont (ou auraient) pour guider nos interventions ?

L‘intention de ce texte est d’expliciter ce qui nous a guidé et de proposer au débat ces convictions et principes communs et de les assortir d’interpellations aux responsables de formation. Des interpellations douces, il ne s’agit pas de définir une ligne juste, de nommer un comité inquisiteur, mais d’inviter chaque responsable de formation à se (re–)poser ces questions lors de la préparation de son atelier et d’inviter les équipes RPé et formation lors du choix d’ateliers à poser ces questions aux candidats responsables de formation.
Toutes les formations ne doivent évidemment pas respecter tous les principes et convictions énoncés ci-dessous, mais chaque formateur devrait savoir et annoncer quand, comment et pourquoi il s’écarte volontairement de l’un ou l’autre de ces principes et convictions.
Pas de prétention : CGé ne prétend pas, ni que ses principes seraient les seuls à garantir une formation de qualité, ni que ses formations respectent bien toutes et chacune ces principes énoncés. Mais un engagement : CGé exprime sa volonté de respecter ses convictions affirmées et de tendre vers la réalisation des principes énoncés ci-après.

Une double référence originaire et originale

Les formations CGé veulent à la fois être fidèles aux mouvements pédagogiques : Freinet, Éducation Nouvelle et Pédagogie Institutionnelle, se nourrir de la longue histoire d’expérimentations de tous les praticiens-chercheurs a4liés à ces mouvements, puiser dans leur important patrimoine pédagogique et à la fois, être ouvertes à la recherche académique en pédagogie et didactiques. Les formations CGé veulent (re)mettre en questions la recherche académique par les pratiques éprouvées des praticiens-chercheurs et (re)mettre en questions l’héritage des mouvements pédagogiques par la recherche académique.

Qu’est-ce qui, dans cette formation, s’inspire explicitement des expérimentations des mouvements pédagogiques, quelles références à cet héritage ?
Qu’est-ce qui, dans cette formation, s’inspire explicitement de quelles recherches académiques en pédagogie et/ou en didactiques ?

De cette double référence se dégagent trois convictions fortes. Une conviction n’est pas un « savoir », une certitude. Ce n’est pas non plus, pas seulement en tout cas, une a4rmation identitaire et idéologique. Nos convictions sont à l’articulation entre des valeurs, nos valeurs, et la recherche et l’expérimentation, la recherche académique et les expérimentations des mouvements pédagogiques.

Convictions

Tous capables !

Tous également capables d’apprendre, et même tous également capables de tout apprendre, pourvu qu’on s’en donne les moyens. Refus total des idéologies du don et du mérite quelles qu’en soient les appellations, y compris les dites intelligences multiples et le droit à la di>érence qui conduit aux di>érences de droits. Foi en l’éducabilité de tous et chacun. Volonté de travailler au commun de l’humanité plutôt que de valoriser des di>érences parce que ces di>érences sont socialement déterminées et parce que, dans une société inégale, toute di>érence se décline en inégalité. Cela ne signi)e pas le rejet de la prise en compte de la singularité de chacun

(voir ci-après), mais cette singularité est à penser en articulation directe avec l’émancipation de chacun et de tous.

Qu’est-ce qui, dans cette formation, permet de développer le « tous capables » ?
Comment s’y exprime cette conviction, avec quelle contagion ?

Le dispositif !

Tout est dans le dispositif. C’est pourquoi le terme formateur n’apparaîtra jamais dans ce texte : il n’y a pas de formateurs et de formés. Il y a un dispositif dont le dit formateur est responsable et responsable de ce que ce dispositif favorise comme apprentissages pour les participants. Et chaque participant est responsable de ce qu’il apporte et de ce qu’il retire de ce dispositif. C’est le dispositif qui compte aussi parce que, indépendamment du contenu et des apprentissages, il fait vivre une manière d’être et de travailler ensemble qui renforce ou remet en questions les rapports sociaux institutionnalisés. C’est le dispositif qui compte parce qu’il modifie ou non le rapport au savoir et le rapport au monde en modifiant ou non les rapports de production du savoir.

Comment le responsable de formation s’efface-t-il derrière le dispositif qu’il met en place ?
Comment et en quoi le dispositif modifie-t-il les rapports de production du savoir et par là, le rapport au savoir et le rapport au monde ?

Le doute !

Il n’y a pas de « bonnes pratiques » reproductibles. Il n’y a pas des trucs qui marchent à tous les coups. Il n’y a que du bricolage patient et permanent, que des dispositifs à chaque fois expérimentaux qui permettent la remise en questions des pratiques par les théories et principes et la remise en questions des théories et principes par la pratique. Cette réCexivité critique, cette praxis favorise l’insatisfaction créative, la mise en recherches non seulement pour le responsable de formation mais également pour les participants les invitant ainsi à devenir ou rester des praticiens–chercheurs.

Comment s’articule dans la formation à la fois convictions fortes et doute permanent ?
Comment la posture de praticien-chercheur est-elle favorisée ?

Ces trois convictions sont au fondement des principes qui suivent comme ces principes sont au fondement des convictions qui précèdent. Principe est à comprendre ici comme principe actif au sens d’un composant possédant un effet pédagogique reconnu par les expérimentations des mouvements pédagogiques et/ou par la recherche en pédagogie et didactiques.

Principes pédagogiques

L’isomorphisme !

Les enseignants n’exercent pas leur métier comme on leur a dit de l’exercer mais comme on l’a exercé avec eux. Autrement dit le projet professionnel de l’enseignant se construit surtout et d’abord de son expérience et histoire d’apprenant. Et il faudra vivre comme apprenant d’autres manières d’exercer ce métier pour modifier son projet professionnel, et, si possible, le vivre collectivement avec d’autres exposés à la même transformation identitaire et professionnelle. Les formations CGé essaient de faire comme elles disent de faire : faire ce qu’on dit et dire ce qu’on fait.

Le responsable de formation a-t-il la volonté explicite de faire ce qu’il dit et de dire ce qu’il fait ?

L’autorité !

Le dispositif de formation doit paradoxalement reconnaitre chacun comme sujet et exiger de chacun qu’il soit ou devienne auteur.
Reconnaitre chacun comme sujet signifie reconnaitre la subjectivité de chacun, reconnaitre chacun comme éprouvant subjectivement et singulièrement la situation vécue, à partir de son histoire personnelle et singulière, et l’éprouvant affectivement et donc corporellement. Le dispositif et le responsable de formation doivent donc témoigner de la reconnaissance au sujet, à la subjectivité et à l’histoire singulière de chacun et cela jusqu’au droit de ne pas apprendre.
Le dispositif de formation doit exiger de chacun qu’il soit ou devienne auteur. Ce n’est pas l’activité visible de l’apprenant qui importe, il n’est pas nécessaire qu’il soit actif, il ne suffit pas qu’il soit acteur, il importe qu’il soit auteur, qu’il produise du savoir local et/ou de la culture, à confronter et ou partager dans le groupe et avec le savoir et la culture universels. Le dispositif et le responsable de formation doivent témoigner de cette forte exigence pour chacun, que chacun se mette à l’œuvre.
Reconnaitre chacun comme sujet et exiger de chacun qu’il soit auteur est une question de pouvoir, paradoxalement d’affirmation et de partage du pouvoir. Le responsable de formation est pleinement responsable de qui se passe dans le groupe et dans les activités, il doit assumer pleinement son pouvoir et l’exercer pleinement. Il doit installer un cadre contraignant, des espaces – temps spécifiques et être directif sur la forme, sur les procédures et le produit et totalement ouvert et non directif sur le fond, sur les processus. Le dispositif doit faire place au sujet et à l’auteur.

Comment le dispositif favorise-t-il la reconnaissance de chacun en tant que sujet ?
Comment le dispositif exige-t-il de chacun qu’il soit auteur et de quoi ?
Comment le dispositif organise-t-il le partage du pouvoir dans le groupe ?

Le collectif !

Personne n’apprend seul, personne n’apprend à l’autre, c’est ensemble qu’on apprend. Le dispositif est nécessairement collectif. C’est l’organisation collective du groupe qui permet à chacun d’être sujet et auteur en invitant chacun à participer à cette organisation collective. C’est cette organisation collective que le responsable de formation doit particulièrement soigner à la fois par le cadre contraignant qu’il impose et par les temps de remise en questions de ce cadre et d’invitation aux participants de co-produire cette organisation collective. Cette organisation collective contrainte et co-produite est d’abord fonctionnelle : elle favorise les apprentissages de chacun, mais elle est aussi symbolique. On est sujet et auteur dans le groupe de formation pour être sujet et auteur dans le monde.

Quelle organisation collective avec quels espaces-temps rigoureusement distincts le dispositif prévoit-il ?
Comment le groupe est-il invité à participer à l’organisation collective de la formation ?

Les postures première et seconde !

Parmi les espaces-temps rigoureusement distincts, il y a les temps de production et de création et il y a les temps de réflexion, de recul et d’explicitation. Paradoxalement, les activités de formation doivent à la fois viser à la plus grande implication possible du sujet, et donc au plus grand plaisir possible, plaisir à faire, à chercher, à produire, à créer, seul et avec les autres et viser au plus grand recul réflexif possible, et donc à la décentration et à l’explicitation du comment on a fait. Il y a les temps pour faire et les temps pour dire ce qu’on a fait. Ce recul, cette décentration, cette explicitation, cette réflexivité critique doivent porter sur les activités d’apprentissages, sur le quoi, le comment et le pourquoi, une explicitation épistémologique et didactique donc, mais aussi sur l’organisation collective de la formation, une explicitation pédagogique donc.

Comment le dispositif distribue-t-il les temps de production et les temps d’explicitation et de réflexivité critique ?

L’Acte-Pouvoir !

L’Acte-Pouvoir, c’est à la fois le pouvoir qu’on a sur son acte et le pouvoir qu’on tire de son acte. Les formations CGé visent à accroître l’Acte-Pouvoir de chacun individuellement et l’Acte-Pouvoir collectif. Il s’agit d’apprendre à pouvoir.

Comment et en quoi le dispositif favorise-t-il l’accroissement de l’Acte-Pouvoir de chacun individuellement et de l’Acte-Pouvoir collectif ?