« Ils n’ont plus de vocabulaire. Ils écrivent comme ils parlent. Ils ne comprennent pas les consignes. Ils ne comprennent pas ce qu’ils lisent… » Constats que Pisa, cuvée 2015, ponctue d’un sinistre verdict selon lequel « les performances en lecture se détériorent significativement »…
Mille et une bonnes raisons de s’interroger sur la place qui sera accordée à l’apprentissage du français dans la définition d’un tronc commun dédié à la réussite de tous les élèves ! Quel français enseigner ? Avec quels niveaux d’exigence ?
Avec quelles performances attendues à quinze ans ?
l y a cinquante ans, personne n’évoquait le cours de français autrement qu’au travers de la conjugaison des verbes irréguliers, la récitation des poèmes de Baudelaire ou l’exercice périlleux des dictées et dissertations. Ce contexte a profondément évolué : l’hétérogénéité croissante des publics scolaires et le plurilinguisme de notre société, l’introduction du numérique et l’évolution des modes de communication, l’obligation de résultat et la prise de conscience des inégalités scolaires… colorent différemment les enjeux des apprentissages langagiers de nos jeunes ! En 1999, les Socles de compétences définissent en trois points les enjeux de l’enseignement du français : « développer l’aptitude et le plaisir à communiquer, accéder à la culture, travailler à acquérir la langue de référence de tout apprentissage. »[1]Socles de compétences (1999), Français, p.7-8.
Parallèlement et se revendiquant davantage de la didactique des langues modernes, l’acronyme FLSCO apparait aux côtés des FLE, FLES, FOS… davantage confiés aux titulaires DASPA ou ALE[2]FLSCO (ou FLScol) Français langue de scolarisation ; FLE, Français Langue Etrangère ; FLES, Français Langue Etrangère et Seconde ; FOS, Français sur Objectifs Spécifiques ; DASPA : … Continue reading. Entre « langue de référence pour tout apprentissage » et « langue française dite de scolarisation », quels seront, demain, les enjeux d’une formation langagière d’excellence pour tous nos élèves ?
FLSCO pour qui ?
L’appellation Français Langue de Scolarisation, apparue en 1989 sous la plume de Gérard Vigner, développée par Michèle Verdelhan à partir de 20023, est, au départ, une appellation étroitement liée à la migration et à l’intégration au sein de nos établissements scolaires francophones d’élèves allophones qui apprendront le français à l’école et pour l’école[3] M. Verdelhan-Bourgade, Le français de scolarisation. Pour une didactique réaliste, PUF, 2002. . Quand ces élèves allophones arrivent en maternelle, en 5e primaire ou en 2e générale, la première urgence est de leur enseigner les rudiments de la langue qui leur permettra de s’intégrer à la classe. Et c’est le plus souvent l’émerveillement : plus ou moins rapidement, ces élèves « se débrouillent », se font comprendre de leurs pairs, nouent des liens, participent aux activités de classe… Les difficultés commencent lorsqu’il s’agit de « suivre les cours » et de les réussir ! Tout établissement organisant un DASPA se retrouve confronté à la difficulté pour le jeune d’intégrer les apprentissages de sa classe d’âge malgré les progrès réalisés en français.
Au-delà des élèves allophones, les enseignants ne cessent de rapporter que la langue utilisée en classe est devenue une langue quasi étrangère pour des élèves qui pourtant communiquent en français soit parce qu’ils l’ont appris à l’école alors qu’ils parlent une autre langue à la maison, soit parce qu’ils sont nés au sein de familles francophones et le français est leur langue maternelle. L’origine de cette réalité est à trouver auprès de chercheurs comme Basil Bernstein qui, dès les années 70, ont mis en évidence l’écart entre la langue développée dans certains contextes sociaux défavorisés (code restreint) et les pratiques langagières attendues à l’école (code élaboré). Observer les difficultés d’apprentissage de ces élèves allophones ou francophones vulnérables, c’est peu à peu se rendre compte que, dès la maternelle, la langue liée aux apprentissages scolaires possède des structures, un vocabulaire et des codes différents de ceux qui régissent le fonctionnement d’une langue plus familière. Au-delà de la capacité à communiquer, la langue scolaire véhicule d’autres façons de penser, de comprendre et d’exprimer le monde. Les enseignants savent tous à quel point une maitrise insuffisante de cette langue de l’école pèse dans la balance des échecs et décrochages scolaires[4] D. Jacobs et A. Rea, « Gaspillage de talents » — Recherche commanditée par la Fondation Roi Baudouin, suite aux résultats de PISA 2009, ULB, 2011.
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Élèves allophones et/ou issus de milieux défavorisés, tous ont en tout cas un trait commun : l’obligation d’apprendre très vite un niveau de langue française leur permettant d’apprendre en français. Accompagner ces élèves dans cet apprentissage nécessite d’identifier ce que cette langue a de particulier.
Le FLSCO, ça fonctionne comment ?
Michèle Verdelhan[5]M. Verdelhan, B. Maurer, M.-C. Durand, « Le français de scolarisation : vers une didactique spécifique », TRÉMA 1999.
distingue quatre fonctions au français de scolarisation : l’exposition du savoir, la construction du savoir, la concentration du savoir et l’exercisation. Qu’entend-on par exposition du savoir ? L’enseignant fait découvrir les connaissances, les explique, les transmet… Observer la germination des graines, caractériser des paysages ou définir les propriétés des opérations mathématiques sont autant de démarches nécessitant la médiation de mots et de discours adaptés au développement cognitif des élèves. La langue, c’est, après tout, le premier outil professionnel de tout enseignant. A tel point qu’il n’en mesure pas toujours la complexité et qu’utiliser cette langue, pour lui, cela va de soi. Pourtant, à y regarder de plus près, entre l’échange oral « Ca fait combien entre Paris et Bruxelles ? » et la consigne écrite « Calcule la distance à vol d’oiseau entre Paris et Bruxelles sachant que l’échelle de la carte est de 1/100 000e. », la précision des mots, la structure des phrases, l’emploi de certains connecteurs et temps verbaux relèvent d’un véritable travail de traduction dont on observe qu’il est loin d’être d’emblée accessible à tous. La seconde fonction évoquée est celle qui participe à la construction de la pensée de l’élève. D’après Vygostki[6] L. Vygotski, « Pensée et Langage », La Dispute, 1997, verbaliser ses démarches mentales, comparer son mode de raisonnement à celui de ses pairs, créer des liens entre différents concepts participent étroitement à la structuration de la pensée, soutient l’apprentissage et en favorise le transfert. La troisième fonction, celle de la concentration du savoir, concerne la langue spécifique aux synthèses et résumés où, en quelques lignes, sous forme d’un tableau ou d’un schéma, c’est tout un vécu de découvertes, de manipulations, de conceptualisation qui se trouve condensé. Quand l’élève se retrouve face à un tel écrit, apprendre exigera qu’il sache retrouver seul le chemin des savoirs concentrés en 5 mots ! Enfin, la quatrième fonction identifiée par Michèle Verdelhan est celle de l’exercisation qui mobilise notamment le texte complexe des consignes.
Quelle place pour FLSCO
dans le futur Tronc Commun ?
Appréhender les caractéristiques de la langue produite en contexte d’apprentissages scolaires nous fait prendre conscience que le FLSCO est bien plus qu’un objet de remédiation à l’attention des élèves qui ne parlent pas le français, qui le maitrisent insuffisamment ou qui n’en comprennent pas les codes. Entre communiquer en français et apprendre en français, il s’agit pour beaucoup de nos élèves de réaliser le défi du grand écart. À mesurer la complexité des concepts et discours de l’école, on en vient à se dire que le FLSCO concerne en fait tous les élèves, y compris les élèves déclarés en facilité ! N’oublions pas que 54 % de nos élèves accusent un retard d’un an ou plus à la fin de la 4e secondaire (S4) et que parmi les 45 % à l’heure, il n’est pas abusif de penser que certains y sont arrivés grâce à beaucoup d’efforts et d’obstination, voire grâce à une aide extérieure à l’école ! [7]Indicateurs de l’enseignement — Année 2015 — Retard scolaire dans l’enseignement ordinaire de plein exercice en FWB.
Dès lors, l’apprentissage du français revêt de plus en plus clairement un double objectif à savoir développer chez tous les élèves non seulement la dimension culturelle de la langue (littérature, poésie, nouveaux supports de communication…), mais aussi sa dimension plus transversale comme outil d’apprentissage. En 1999, les Socles de compétences avaient déjà défini les compétences transversales de chaque discipline, compétences transversales le plus souvent liées à des actes langagiers : comprendre, analyser un énoncé, traiter des informations, argumenter… Mais jusqu’à présent, ces compétences sont le plus souvent mobilisées de manière informelle et les écarts ne cessent de se creuser entre les élèves en facilité et les élèves vulnérables qui à défaut d’un enseignement spécifique du FLSCO le deviennent de plus en plus.
Si l’ambition du Tronc Commun est de doter tous les élèves d’outils mentaux réellement émancipateurs, il conviendra d’organiser un enseignement plus explicite et volontariste de la langue des apprentissages, ce qui impliquerait la responsabilité de tous dans la construction de ce langage de référence[8]Socles de compétences (1999), Français, p.7-8. L’espace de cet article[9]Le TRACeS 232 (sept.-oct. 2017) sera entièrement consacré au FLSCO. ne permet pas de développer les démarches qu’il conviendrait de mettre en place, mais de façon très résumée, cela signifierait transformer la classe en une communauté discursive[10]Appellation inspirée des Pistes Didactiques 2015 en Éveil. autour des apprentissages disciplinaires, donner vie aux liens entre pensée et langage et organiser par ailleurs l’observation réfléchie des mots et discours utilisés pour en comprendre le fonctionnement dans le but de les rendre plus efficaces. Une ambition à laquelle il semble difficile de ne pas adhérer avec enthousiasme !
Notes de bas de page
↑1 | Socles de compétences (1999), Français, p.7-8. |
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↑2 | FLSCO (ou FLScol) Français langue de scolarisation ; FLE, Français Langue Etrangère ; FLES, Français Langue Etrangère et Seconde ; FOS, Français sur Objectifs Spécifiques ; DASPA : Dispositif d’Accueil et de Scolarisation des élèves Primos-Arrivants ALE : Apprentissage de la Langue de l’Enseignement. |
↑3 | M. Verdelhan-Bourgade, Le français de scolarisation. Pour une didactique réaliste, PUF, 2002. |
↑4 | D. Jacobs et A. Rea, « Gaspillage de talents » — Recherche commanditée par la Fondation Roi Baudouin, suite aux résultats de PISA 2009, ULB, 2011. |
↑5 | M. Verdelhan, B. Maurer, M.-C. Durand, « Le français de scolarisation : vers une didactique spécifique », TRÉMA 1999. |
↑6 | L. Vygotski, « Pensée et Langage », La Dispute, 1997 |
↑7 | Indicateurs de l’enseignement — Année 2015 — Retard scolaire dans l’enseignement ordinaire de plein exercice en FWB. |
↑8 | Socles de compétences (1999), Français, p.7-8 |
↑9 | Le TRACeS 232 (sept.-oct. 2017) sera entièrement consacré au FLSCO. |
↑10 | Appellation inspirée des Pistes Didactiques 2015 en Éveil. |