Les écoles de devoirs sont nées dans les quartiers populaires de Bruxelles, elles rassemblaient les enfants, mais aussi les adolescents et les adultes autour de projets diversifiés dont le soutien à la scolarité.
La pointe de l’iceberg : le devoir
La réflexion sur le devoir n’est pas neuve, notre position sur le sujet est claire : nous sommes contre, dans sa forme actuelle. Une législation a d’ailleurs semblé donner raison à cette position. Pourtant, force est de constater que le décret a provoqué une contre-réaction significative. Certaines écoles ont effectivement diminué la masse imposée quotidiennement, ce n’est pas la majorité. Les autres ont souvent surenchéri, portant au pinacle le devoir comme un signe de la qualité de l’enseignement (certains enfants du primaire passent deux à trois heures par soirée dans leurs cahiers). Les parents, pourtant débordés dans cette tâche, en redemandent ! Or, il faut bien se rendre compte que la plupart des enfants ne sont pas en mesure d’assumer cette charge de travail et ce, en particulier, dans les milieux populaires peu préparés aux exigences de l’école et au type d’apprentissage valorisé dans celle-ci.
Les animateurs sont donc condamnés à assumer cette charge sous la pression directe des parents (Si on vous envoie nos enfants, c’est pour que les devoirs soient faits, terminés, corrigés, pour que le petit réussisse quoi !) et indirecte de l’école (Si je ne donne pas de devoirs, je n’ai pas le temps d’avancer dans mon programme, sans le soutien d’une école de devoirs, cet enfant ne réussira jamais son année !). Quand ce ne sera pas l’enseignant qui téléphone directement pour inscrire l’enfant ! En somme, il devient évident que, pour que l’enfant mène à bien sa scolarité, il faut, aux côtés de l’enfant non seulement un professeur, un parent (avec quelle formation pédagogique ? et les autres missions liées à la parentalité ?), mais aussi un animateur qui prenne le relai de l’école après quatre heures.
Et l’iceberg : l’apprentissage
Les enfants qui viennent en écoles de devoirs sont la plupart du temps dépourvus de méthodes d’apprentissage et souvent menacés d’une orientation vers l’enseignement spécial alors qu’ils ne présentent qu’un seul trouble : une demande de temps et d’attention de la part du pédagogue. Il ne faut donc pas seulement les accompagner dans leurs devoirs, mais les accompagner dans l’apprentissage. Parfois des évidences comme l’utilité d’un journal de classe n’est pas encore comprise au début du secondaire.
À côté des demandes exprimées plus ou moins consciemment par les enfants, il y a celles, nettement plus insistantes et alarmées des parents. De plus en plus de parents nous appellent, non plus pour trouver une école de devoir mais des professeurs particuliers qu’ils sont prêts à payer pour assurer la réussite de l’enfant. Nous pourrions croire que ce phénomène ne touche que les milieux populaires. Au contraire, un pourcentage important des parents que nous orientons nous téléphonent depuis la seconde couronne de Bruxelles. Ils sont disposés à payer pour des cours particuliers ou des centres scolaires après l’école, malgré des prix souvent inabordables. En outre, les écoles de devoirs ne touchent qu’un public qui espère encore réussir, pour lequel apprendre a encore du sens. Dès lors, tous les adolescents relégués dans le professionnel, doubleurs, trisseurs, en décrochage ou autres ne fréquentent que fort peu les associations.
Face à une telle demande/pression, les animateurs sont souvent démunis car il existe peu de formation pédagogique non destinée aux enseignants. Devons-nous accepter l’instrumentalisation de l’associatif par l’École et par les parents ? Devons-nous accepter l’instrumentalisation de l’associatif par l’État ?
Au-delà de l’iceberg, la banquise
L’externalisation de l’apprentissage n’est pas la seule gageüre à laquelle nous sommes confrontés. C’est une démarche générale qui tend à doter l’associatif de moyens (souvent insuffisants) pour assurer une mission de service public que l’État assume de moins en moins par ailleurs.
À un moment donné, difficile à situer, les écoles de devoirs ont semblé apporter une réponse « facile » à la question de l’échec mais aussi, plus globalement, à tous les maux dont la jeunesse est affublée : absentéisme, perte de sens, délinquance,… De manière tantôt spontanée, tantôt suscitée par le politique, les écoles de devoirs se sont multipliées dans des cadres diversifiés. Comme la plupart des enveloppes budgétaires ne sont pas extensibles, une nouvelle génération d’associations, sans reconnaissance, s’est développée à côté de celles qui sont déterminées par le financement (Fipi, cohabitation-intégration, cohésion sociale). Dernièrement, nous avons vu se créer également des écoles de devoirs à l’intérieur de services communaux comme la Jeunesse ou encore la Prévention et donc en lien plus ou moins étroit avec des politiques sécuritaires.
Faut-il donc comprendre cela comme une reconnaissance du travail réalisé ? Peut-être. Mais la portée de cette reconnaissance va au-delà de nos espoirs ! À trop nous reconnaitre, c’est l’autonomie associative et l’indépendance du projet pédagogique qui sont mises en cause.
La généralisation d’un malaise face à la jeunesse tant dans les questions liées à l’apprentissage que comportementales tend à nous transformer en services au sein desquels nous devrions accueillir tous les enfants qui se présentent tout en disposant de moyens humains et financiers plus que limités. Mais est-ce cela qu’on nous demande ? Ou simplement de contenir dans les limites de quatre murs les questions que la société ne veut pas voir de trop près !
Et tout cela, pour quelle glaciation ?
À la veille d’un anniversaire[1]20 ans de coordination des écoles de devoirs.
, nous éprouvons des sentiments plus que mitigés. D’une part, il faut le reconnaitre, les associations sont de plus en plus nombreuses, de mieux en mieux financées (en dépit de difficultés récurrentes), les travailleurs de plus en plus compétents. Mais pour faire quoi ? S’il est illusoire de vouloir transformer la société d’un coup de baguette magique, la propagation de notre proposition éducative n’est sans doute pas un signe de bonne santé et d’évolution rassurante. D’autre part, et c’est plus grave, la société confie de plus en plus des tâches aussi délicates que l’instruction et l’éducation de la prochaine génération à des associations et à des travailleurs qui restent sous-qualifiés.
Le travail des écoles de devoirs se rapproche de celui d’une instruction sans programme, avec fort peu d’inspections et, surtout, sans mandat pour assumer une telle charge. De plus, la formation des travailleurs est de plus en plus laissée à la libre appréciation des conseils d’administration (une formation de 200 heures pour être animateur breveté de plaines de vacances représente-t-elle un réel bagage pédagogique ?). Et pour finir, des financements permettent l’engagement de personnel de niveau A3 (la plupart des ACS attribués par la Région bruxelloise pour l’accueil extra-scolaire) ! Faut-il comprendre par là que l’associatif fait de toute façon un travail inutile et qu’il n’a qu’à assumer les mesures de résorption du chômage ? Ou que l’enseignement et l’éducation sont choses tellement faciles qu’il ne faut même pas avoir son diplôme d’enseignement supérieur pour l’assumer ? Ou que les milieux populaires ne valent pas la peine qu’on se préoccupe d’eux et qu’il faut se contenter de cela parce que nous vivons dans une période de crise ?
Notes de bas de page
↑1 | 20 ans de coordination des écoles de devoirs. |
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