Lorsque j’ai débuté mon métier, j’étais fort occupée à préparer des leçons. Deux années de remédiation m’ont amenée à me mettre à hauteur d’élève. Mon regard sur le groupe classe a évolué. Je pense maintenant mon travail surtout pour les plus faibles.
Tu as suivi, durant deux ans, des élèves en remédiation, dans l’école primaire en encadrement différencié dans laquelle tu travailles. Que retires-tu de cette expérience ?
Être prof de remédiation m’a permis d’avancer dans mon métier. Quand je suis redevenue titulaire, j’ai trouvé intéressant d’entrecouper les moments avec tout le groupe classe par des moments en individuel, comme on peut le vivre lors des séances de remédiation.
« Rien de pire que de ne rien comprendre en classe. »
En remédiation, on essaie de reprendre les apprentissages autrement même si cinquante minutes, c’est extrêmement court. De semaine en semaine, on voit les progrès des élèves qui, souvent, face aux difficultés, se découragent vite. Il y a la question de la confiance en soi : on ose plus facilement poser une question ou dire qu’on ne comprend pas lorsqu’on est seul avec une personne ou dans un petit groupe que devant un groupe classe.
Il y a aussi de la place pour un petit moment papote, au début. Chose qu’on n’a pas vraiment le temps de faire avec chaque élève dans un groupe classe. Le fait de demander à l’enfant : « Comment vas-tu ? Comment ça se passe en classe ? » crée une relation de plus grande proximité.
J’ai pu découvrir les élèves que j’accompagnais. Les élèves qui viennent en remédiation ont souvent tout un paquet avec eux : un contexte familial compliqué, de l’insécurité financière, de la précarité et, parfois, cela leur mange l’espace qu’ils ont pour apprendre. Avec une main sur l’épaule, ils lisent mieux. Ça ne suffit pas, mais ces encouragements individuels les font se sentir plus forts. Cet accompagnement au plus près est porteur pour certains.
Cette expérience de deux ans a complètement chamboulé ma vision de ce que c’est qu’être prof. Ça m’a permis de mieux me mettre à la hauteur d’élève. À hauteur physique et pédagogique. En remédiation, on est tout le temps courbé. On s’assied à côté de l’enfant. Et donc, même dans mon corps, j’ai ressenti très fort ce changement de posture.
À la suite de cette expérience, quels changements as-tu apportés dans le quotidien de ta classe ?
Mon questionnement portait sur comment accorder plus de temps de qualité à mes élèves et aussi comment être plus présente pour les enfants en difficulté.
Par exemple, maintenant, lorsque j’organise une séance de structuration, je découpe les consignes de feuilles d’exercices de manière à avoir des bandelettes sur lesquelles il n’y a, à chaque fois, qu’un seul exercice. Un exercice, une bandelette. Cela n’est pas une grosse révolution, mais je trouve que cela change beaucoup de choses. Quand j’énonce une consigne pour un exercice, j’annonce précisément le temps de travail. Que ce soit des défis, des tâches d’écriture, tout le monde fait ce qu’il sait faire durant ce temps-là.
Je sens beaucoup moins de tension. Chacun est responsable de son apprentissage. Cela permet aux enfants d’avoir un moment de répit : lorsqu’ils prennent une nouvelle bandelette, ils la collent, ils se lèvent pour emprunter du matériel…. Il y a une espèce de respiration que je trouve très agréable et je ne ferai plus jamais autrement.
Chacun travaille à son rythme, ce qui me rend disponible pour faire une sorte de suivi individualisé. Soit je me promène à travers les bancs, soit j’ouvre la file d’attente. Je suis alors à mon bureau. D’un côté, à droite, il y a les élèves venant me voir pour poser des questions et, à gauche, il y a ceux qui viennent discuter avec moi de leur travail. Je vérifie s’ils ont compris ou pas. Après, ils retournent à leur place, reprennent une bandelette et travaillent en individuel. Grâce à ce petit procédé, personne ne fait jamais rien. C’est d’ailleurs une phrase que je leur dis toujours : « Personne ne fait rien. »
Parfois, j’ai des aides. Il y a des enfants qui me disent : « Je suis super loin dans mes bandelettes. C’est bon. J’ai compris. Je peux faire tuteur ? » Ils endossent alors ce rôle et appliquent une charte qui dit : « Ne donne pas les réponses, montre le chemin… » Il y en a qui viennent moins souvent. Pour ceux-là, je suis encore en recherche…
Est-ce que tu perçois une évolution en termes de réduction des écarts dans les apprentissages ?
Grâce aux moments pendant lesquels je peux vérifier en individuel les acquis de chacun, j’établis une évaluation diagnostique assez rapide. Ce qu’une feuille d’exercices ne permet pas. Lors de ces temps, à la fois j’essaie d’identifier les difficultés et d’y remédier au mieux. Dans certains cas, je note sur un post-it le nom des élèves avec lesquels je prendrai ultérieurement un moment pour tenter de dépasser un problème, une sorte de groupe de besoins. Pendant ce temps-là, il faut trouver ce que les autres élèves vont pouvoir faire. Ce n’est pas évident. Avec ma collègue, on y réfléchit. Tout comme nous sommes aussi en questionnement sur la manière de faire ces groupes de besoins.
Est-ce que des élèves de ton groupe classe vont encore en remédiation ?
Oui. Un soutien ponctuel individualisé peut s’avérer nécessaire en cas d’absence, d’inattention ou de troubles d’apprentissage. Je fais plusieurs leçons de structuration, avant de me dire qu’un tel aurait besoin de remédiation.
Il y a aussi des choses qui sont difficiles à régler en groupe classe. Quand il s’agit de réfléchir à la manière de réaliser telle tâche ou de savoir nommer ce qu’on a appris, je remarque que les enfants qui sont en difficulté ont beaucoup de mal à le faire. Ces enfants sont dans l’application, dans la répétition. Lors d’une séance de remédiation, ils peuvent travailler à l’élaboration de fiches de procédure, pour garder une trace de ce chemin mental.
Je cherche à les rendre autonomes le plus possible face à leurs difficultés. Par exemple, on travaille beaucoup l’autoévaluation. Ainsi, pour certaines tâches, ils ont une grille de critères, divisée en deux parties. La première est destinée à leur autoévaluation, leur permettant de vérifier qu’ils n’ont rien oublié et aussi de se demander comment ils ont réalisé la tâche. La deuxième colonne, c’est pour mon évaluation. Après, je les appelle, chacun à mon bureau et on confronte nos deux évaluations. S’il y a un trop grand écart entre la leur et la mienne, nous en discutons. Parfois, je leur demande aussi d’indiquer ce qu’ils pourraient améliorer, ce qu’ils ont appris, ce qui est en voie d’acquisition, à renforcer, ou non acquis. L’autoévaluation, bien qu’elle soit complexe à acquérir, montre un engagement dans la tâche.
Avec ma collègue, depuis quatre ans, on amène les élèves à réaliser leurs portfolios. On fait une évaluation globale dans laquelle ils identifient leurs forces, leurs faiblesses, la stratégie qu’ils aimeraient bien mettre en œuvre pour progresser. Ils choisissent de mettre en avant certains travaux ou évaluations. Puis, ils y insèrent une autoévaluation de leur place dans le groupe, de leur vie en classe et de leur situation par rapport aux apprentissages.
On est en plein questionnement parce que ça prend énormément de temps. Mais, lors de la réunion de parents, c’est l’enfant qui le présente, soulignant ses forces, ses faiblesses. Ce sont des moments précieux qui placent l’enfant au centre.
Dans le fond de la classe, il y a aussi un panneau intitulé « J’aimerais de l’aide », et l’élève peut s’y inscrire, après avoir indiqué là où il a des difficultés et après avoir exprimé en quoi il aimerait du soutien.
Je ne laisse jamais un enfant aller en remédiation s’il n’a pas envie d’y aller, parce que ça ne sert à rien. Soit, l’enfant en a exprimé le besoin, soit, sur la base de mon évaluation, je lui signale que je pense que ce serait bien qu’il y aille et je lui demande ce que lui en pense. C’est important qu’il y ait cet engagement de l’enfant envers son apprentissage.
Si je comprends bien, tu es toujours en recherche ?
Oui, mais dans ma liste des choses à améliorer que je partage avec une collègue, j’ai maintenant cette question : comment tenir les élèves ayant des facilités en haleine ? Je souhaiterais que ces élèves-là se lancent dans des projets individuels. J’aspire à ce qu’ils cultivent leur gout d’apprendre, qu’ils ne s’ennuient pas en classe.
Que chacun ait assez à manger. C’est une phrase que je dis souvent. Il n’y a rien de pire que de s’ennuyer en classe et il n’y a rien de pire que de ne rien comprendre en classe.
Je crois profondément que c’est par la relation avec ses pairs et avec son enseignant que l’enfant aura envie d’apprendre. Une classe, c’est un tissage de relations. Elles sont le compost des apprentissages. Tenter d’établir les conditions pour que ces relations soient harmonieuses est primordial.