Questionner la mémoire des plus vieux, scruter les vieilles photos, décrypter les liens du passé pour s’approprier l’histoire. La sienne d’abord.
L’Histoire telle qu’elle est écrite dans les manuels scolaires, nous parle de l’origine de l’homme…
D’où venons-nous?
– “Des singes” répond un enfant.
– “De ma maman” répond un autre enfant.
En novembre 2001, l’association Générations Solidaires, proposait un projet intitulé: “Généalogie à l’école“.
Celui-ci consistait à permettre à chaque enfant de la classe de construire son arbre généalogique ou de participer activement à la démarche de recherches. Chaque enfant aurait ainsi la possibilité de (re)nouer avec son passé, ses origines, son histoire. L’objectif premier était que les différentes générations en présence dans le projet (enfants de dix-onze ans, adultes et les ainés constitués d’un groupe de six personnes pensionnées et passionnées par la généalogie) se rencontrent, échangent, apprennent à se connaitre, partagent des savoirs et savoir-faire dans la construction d’un projet commun.
Auprès de mon arbre
J’ai lu l’ensemble du projet proposé par Générations Solidaires aux enfants et leur ai proposé d’y participer. Nous avons tous réfléchi à ce que cette association nous proposait et ce qu’elle attendait de nous. Les enfants et moi avons décortiqué le mot “généalogie” et en avons déduit que ce mot avait une racine commune avec les mots “gènes” et “générations” et je les ai avertis que nous allions construire un arbre reprenant nos ancêtres. Le projet semblait intéresser les enfants et les questions commençaient à se manifester.
Je me rappelle un enfant me demandant: “Dis, quelle famille je dois faire; ma famille d’accueil ou ma vraie famille?”
Un autre m’a demandé: “Dis Florence, est-ce que je vais pouvoir écrire mes demi-frère et demi-sœur sur mon arbre?”
Un autre encore: “Est-ce que c’est grave si mes parents sont divorcés?”
Les enfants d’eux-mêmes et entre eux ont trouvé les mots justes pour répondre à ces questions.
Pour clôturer ces premiers échanges fort riches et très respectueux de la vie privée de chacun, j’ai ajouté qu’il n’y avait aucune obligation à réaliser son arbre. Mais, si l’ensemble de la classe voulait y participer, il fallait alors que l’enfant ne voulant pas réaliser son arbre propose une ou plusieurs alternatives lui permettant de trouver sa place dans le projet.
J’ai attendu plusieurs jours avant de demander une réponse aux enfants leur permettant ainsi de réfléchir à la décision qu’ils allaient prendre car celle-ci allait les engager eux, leur famille mais aussi l’ainé s’occupant d’eux pendant plusieurs semaines. Parmi les vingt-sept enfants de la classe, seules deux se sont montrées réticentes à construire leur arbre. Après quelques jours de réflexion, une des deux enfants a changé d’avis après m’avoir demandé d’être plus attentive à elle lors de la présentation de ses recherches aux ainés. L’autre, ne voulant pas retracer son histoire du côté paternel, a demandé à une amie si elle pouvait l’aider à tracer son arbre. Cette amie accepta bien volontiers et lui proposa de participer au classement des documents récoltés lors des futures recherches ainsi qu’à la réalisation de l’arbre.
L’utilité des vieilles branches
Les enfants et moi avons rédigé une série de questions que nous nous posions à propos du projet et que nous voulions poser aux ainés. Ces questions ont été remises aux ainés pour qu’ils puissent préparer leur réponse avant notre première rencontre et celles à venir.
On ne peut mettre tout ce petit monde en présence sans un minimum de préparation. C’est ainsi qu’à trois reprises avant la première rencontre (ainés-enfants), nous nous sommes réunis, moi-même, titulaire de la classe, et deux organisateurs du projet côté Générations Solidaires. Nous avons déterminé les rôles et tâches de chacun, établi un planning des étapes à suivre pour atteindre notre objectif: une exposition ouverte à tous. Le projet s’est étalé sur dix semaines. Après chaque semaine de travail avec les enfants, les deux organisateurs Générations Solidaires se regroupaient avec les ainés et faisaient le point sur la séance pendant que je faisais le point avec les élèves. Afin de relater à chacune des parties ce qui s’était dit, nous nous communiquions un rapport de nos mises au point par courriel.
Les groupes formés de cinq enfants étaient placés sous la responsabilité d’un ainé. Celui-ci allait guider chaque enfant individuellement dans sa démarche à l’aide d’un carnet de contact. Ce carnet était un moyen de communication entre l’ainé et l’enfant.
Notre attention s’est également portée sur la manière d’agir et d’aborder certains cas familiaux (des parents séparés ou divorcés, un père ne parlant plus à toute sa famille, un enfant adopté et placé en famille d’accueil,…). La seule façon de mener à bien ce projet était de mettre des mots sur ces relations existantes mais bien souvent difficiles pour les enfants ou pour les adultes. Nous avons dû agir avec prudence car nous rentrions là dans la vie privée. Après avoir expliqué aux parents pourquoi et comment nous allions participer à ce projet, nous leur avons demandé un accord écrit.
J’ai également veillé à présenter les situations familiales potentiellement problématiques aux ainés avant la première rencontre avec les enfants afin de préparer et de rassurer les ainés. Certains, ne sachant pas comment réagir, m’ont expliqué qu’ils préféraient ne pas s’occuper de situations plus délicates car ils craignaient de manquer de tact ou de finesse pour aider ces enfants. D’autres n’y ont vu aucune difficulté et souhaitaient les aider au mieux.
Grâce à cette préparation, un climat de quiétude, d’écoute et de respect s’est installé lors de la première rencontre. Les enfants ont posé les questions qu’ils avaient préparées et les ainés y ont répondu avec beaucoup d’enthousiasme, de sympathie et de réalisme. Ce dialogue a facilité les échanges et créé des liens entre les ainés et les enfants. Dès ces échanges terminés, chaque ainé a pris son groupe en mains et leur a distribué le plan des démarches à venir ainsi que les échéances à respecter: effectuer des recherches, classer les informations recueillies et réaliser leur arbre pour pouvoir l’exposer le 26 juin. L’ainé a finalement distribué un arbre vierge à tous les enfants et leur a demandé de le compléter avec ce qu’ils savaient. Les enfants se sont très vite rendus compte de la difficulté à compléter cet arbre seuls.
Des racines dans la terre
Pour les aider dans leurs recherches et concentrer les informations recueillies sur une page pratique d’utilisation, chaque enfant a reçu une dizaine de fiches signalétiques vierges. Ils devaient y inscrire le nom, les prénoms, la date et le lieu de naissance, la profession, la date et le lieu du mariage, la date de décès, le lieu où la personne a été enterrée, l’adresse pour chacun des membres de leur famille en remontant jusqu’à leurs arrière-grands-parents.
De retour à la maison, les enfants ont mené leur enquête…
Certains enfants ont questionné leurs parents. Ceux-ci ont apporté l’aide qu’ils pouvaient en s’aidant de vieilles photos.
Quelques-uns ont rendu visite à leurs grands-parents, oncles, tantes qui ont sorti de vieilles caisses du grenier contenant carnets de mariage, actes d’achat, vieilles photos,… D’autres enfants ont préféré le téléphone (ce qui a valu bien des surprises de factures aux parents). Une enfant a écrit à sa famille. Celle-ci habitant dans un petit village reculé du Maroc, il lui était impossible de communiquer avec les siens d’une autre manière. Les échanges ont donc pris plus de temps.
Les enfants ont pris plusieurs semaines à compléter leurs fiches signalétiques. À chaque rencontre ainé-enfant, les enfants voulaient montrer ce qu’ils avaient trouvé. L’ainé écoutait, questionnait et aidait à classer les informations. Son rôle consistait aussi à répondre aux diverses questions de l’enfant. Qui est le père de mon grand-père? Qui est la mère de ma grand-mère? Où habitait-elle? Que nous apprend ce contrat de mariage? Qui est sur cette photo?
La grande difficulté était de faire cohabiter des enfants très différents! Certains avaient une quantité incroyable de documents, tandis que d’autres n’avaient rien pu trouver. Le rôle de l’ainé était surtout dans ce dernier cas de soutenir, d’encourager et de guider l’enfant en manque d’informations en lui proposant des pistes à suivre pour voir aboutir ses recherches.
Une fois tous les documents triés, les enfants n’avaient plus qu’à réaliser de façon originale leur arbre. Après la structure d’informations, place à l’imagination et à la créativité.
Une exposition en présence des familles clôtura ce travail historique. Toute une série d’objets familiaux avaient été rassemblés et les enfants ont pu expliquer devant un public ému leurs découvertes et leur travail.