Trois journées de formation avec des animateurs en école des devoirs pour faire de la grammaire pour soi et en collectif, vu qu’ils sont amenés à en faire avec les jeunes. Tenter d’entendre une autre onomatopée après ce travail.
Intitulé de la formation : « Du parler au lire et à l’écrit. Comment mieux aider les enfants à mieux maitriser la langue française[1]Parler, écrire et observer la langue ; faire de la grammaire et de la conjugaison ; (re) découvrir les plaisirs et les difficultés de l’apprentissage du français ; faire le lien avec les … Continue reading ? » Il n’y a pas grammaire. Pas osé. Le mot n’est pas sexy. Certains l’ont même en horreur.
Beaucoup d’animateurs se disent démunis, peu outillés ou pas à jour, particulièrement dans un contexte d’apprentissage de la langue qui évolue au fil des années : nouvelle orthographe, différentes terminologies selon les écoles et même au sein d’une même école, manuels scolaires avec des textes éloignés des jeunes, méthodes pédagogiques très traditionnelles… La coordination des écoles des devoirs a, tout un temps, programmé cette formation qui se voulait avant tout une remise à niveau des animateurs, mais aussi un espace de réflexion sur la grammaire.
Donc, trois journées chronologiquement focalisées chacune sur grammaire des textes, grammaire des phrases et grammaire des mots. Comme dans le programme intégré ou dans les nouvelles grammaires[2]É. Charmeux, M. Grandaty, F. Montier-Roland, Une grammaire d’aujourd’hui, Sedrap, 2001.. Trois questions (ci-dessous) pour démarrer. Trois groupes et trois affiches. Il va falloir écrire et je précise directement la place des erreurs (ces sacrées fautes d’orthographe qui font qu’on évite parfois un mot qu’on ne sait pas écrire pour un autre par défaut) dans nos productions de travail. Je sais que ça ne suffit pas de dire que les erreurs sur nos documents de travail ne comptent pas, mais j’espère que ça libère un peu.
Qu’est-ce que la grammaire ? Un casse-tête… Comme un mauvais souvenir qui perdure.
À quoi sert la grammaire ? À se faire comprendre. À ne pas commettre des fautes. Le rapport à la grammaire est lié à son rapport au savoir et à l’écrit.
Qu’est-ce qui est difficile en grammaire ? De penser à tout. Un bon résumé de la liste des difficultés !
Les participants vont être confrontés à leurs difficultés et à leurs lacunes dans certains exercices proposés. Il est donc essentiel — comme toujours en fait — de soigner le cadre et de garantir un climat sécurisant. Les textes sont complexes, les animateurs, comme les jeunes avec qui ils travaillent, peuvent être déstabilisés de ne pas trouver facilement la réponse… Ils me diront après que cela a ravivé leur empathie pour les jeunes. Qu’heureusement, après le temps de recherche en individuel, ils pouvaient travailler par paire ou à plusieurs pour confronter leurs trouvailles. Et qu’après, en collectif, on partageait le travail, on faisait des liens avec les difficultés des élèves, on cherchait à améliorer certaines consignes des devoirs reçus…
Nous faisons, ensuite, un rapide parcours historique, le premier manuel datant de 1780[3]Lhomond, Éléments de la grammaire française, énoncé des règles qui sous-tendent les accords en l’orthographe., il y a eu des changements de paradigmes : d’une grammaire de la phrase descriptive à une grammaire des textes et du discours, en tenant compte de l’aspect communication qui donne du sens. Certains animateurs sont choqués du saucissonnage toujours actuel du cours de français, il n’y a qu’à voir les intercalaires dans les fardes des jeunes : orthographe, conjugaison, grammaire… Ce n’est pas ce qui est écrit dans les programmes.
La manière de donner les cours de grammaire n’est pourtant pas neutre et balance entre les deux grandes tendances : transmettre un savoir ou le coconstruire. Il y a terrible enjeu pour les apprenants : le français est la langue de l’école et sa non-maitrise est source d’échec scolaire. D’autant plus pour la majorité des jeunes qui fréquentent les écoles des devoirs. Ne pas y arriver malgré cette deuxième école, c’est comme une double peine. D’où l’importance que l’aide aux devoirs soit vraiment aidante…
Éveline Charmeux soutient : « La grammaire n’est pas une discipline scolaire comme les autres. Faire de la grammaire est un acte de haute signification symbolique et de libération : un ouvrier qui non seulement sait faire fonctionner sa machine, mais sait comment elle fonctionne et pourquoi elle fonctionne comme ça, est un ouvrier libre. Savoir comment fonctionne la langue qu’on parle, et pourquoi elle fonctionne comme cela confère un pouvoir incontestable. L’histoire de la grammaire est une lutte entre un pouvoir conservateur et normatif (application des règles, maitrise de l’orthographe) et un pouvoir émancipateur (réflexion sur le fonctionnement de la langue). Ainsi on a accordé plus d’importance à apprendre par cœur les règles plutôt qu’à faire des exercices de classement. Et l’on a séparé en tranches : grammaire, conjugaison, orthographe, vocabulaire… l’étude de la langue qui est une seule réalité avec une face sémantique (vocabulaire), une face linguistique (grammaire) une face orthographique[4]É. Charmeux, M. Grandaty, F. Montier-Roland, Une grammaire d’aujourd’hui, Sedrap, 2001.. »
Puisque la langue sert à communiquer, les participants regroupés en sous-groupes reçoivent une série de vrais textes à classer de manière… grammaticale, afin d’éviter les classements liés aux supports, par exemple. Comme on dirait à des élèves, il faut mettre ses lunettes grammaticales pour lire le texte. Quelle est l’intention du texte ? Quels liens entre le fond et la forme ? Une activité assez classique sur les types de textes qui amène à réfléchir sur la langue : on observe, on précise et on organise les observations, on classe les textes et on dénomme des catégories. Et ça discute ferme, car certains textes pourraient être classés à plusieurs endroits. Pour trancher, la question « À quoi sert ce texte ? » peut aider à trouver la catégorie dominante. Comme souvent, les productions des sous-groupes sont très différentes. On vérifie si les catégories ne sont pas trop perméables et ont du sens. On compare avec des typologies de textes existantes. Et on prend un temps pour discuter du « comment on a travaillé » : le rapport à la consigne, le travail en sous-groupe et son organisation, les questions que les accompagnants pourraient poser pour aider les élèves à situer le texte qu’ils doivent travailler avant de s’y engouffrer. Refaire de la grammaire, pour soi, autrement que comme on a appris. Observer et réfléchir à partir de vrais textes et puis aller vers la terminologie (ou plutôt les…). Et comme dans les classes, la maitrise de la langue dans le groupe est très variable. Elle dépend de l’histoire de chacun et des parcours scolaires.
On plonge ensuite dans un texte de réflexion sur l’apprentissage de la langue, avec un texte à trous et différentes consignes par extrait : trous avec autant de traits que de lettre dans le mot, trous sans indications, trous à ne remplir qu’avec des verbes ou qu’avec des prépositions, mots inversés par pair dans le texte. Un moment en individuel, on confronte en petit groupe, on met en commun et surtout on se dit comment on a travaillé pour trouver les mots, qu’est-ce qui aidait ou freinait, les avantages et les désavantages de ce type de travail.
Au-delà des différentes consignes pour boucher les trous, ce qui est important dans le travail qu’on fait, c’est de s’arrêter pour se demander qu’est-ce qui est difficile ou pourrait l’être, dans cet exercice, pour les jeunes avec qui on travaille, à partir de ce qu’on a pu expérimenter pour soi. Quel rapport avons-nous avec les consignes ? Les jeunes sont-ils tous capables de comprendre ce concentré de langage scolaire où chaque mot compte, où les mots-lien renversent parfois l’ordre chronologique des démarches pour arriver à une réponse correcte, et surtout à une compréhension, un gain de sens et de pouvoir ? Avec quels savoirs et quelles compétences, on comble les trous… Sur quoi peut-on s’appuyer ?
À force de vouloir boucher des trous, on risque de passer à côté des idées développées dans le texte, en prendre conscience et relire le texte une fois les trous bouchés pour relever les idées principales du texte est nécessaire. Même sans trous, une seule lecture est rarement suffisante. Et c’est important d’inciter les jeunes à retourner dans les textes, à relire, à identifier les informations qui sont explicitement écrites et celles qui sont implicites, par exemple.
Celui-ci, en l’occurrence, aborde entre autres le lien à la langue comme un élément fort de l’identité, la nécessité de donner le gout en jouant avec elle, l’importance d’entendre et de parler la langue, le pouvoir qu’elle donne ou pas… Et, une fois de plus, un temps est consacré à partager les expériences qu’ont les animateurs ou celles qu’ils voudraient installer pour faire de leur école des devoirs un lieu où les jeunes pourraient vivre différentes facettes de la langue française.
Les questions autour des devoirs et leçons s’invitent ici et là, en fonction des échanges après les différents temps de travail. Et si l’exercice en devoir est trop long, comment faire, avec le jeune et avec les exigences de l’école ? Et s’il y a des prérequis peu solides, y remédier ? C’est le rôle de l’école des devoirs ? De l’école ? Quel dialogue possible entre ces acteurs ? Y a-t-il un partenariat existant ou envisageable au mieux, une communication via le journal de classe à minima ?
Pour la grammaire des phrases, un extrait d’un texte littéraire, découpé en phrases, elles-mêmes découpées en mots. Première étape : chacun reconstitue sa phrase. Plaisir de la manipulation des étiquettes, pourquoi est-ce si vite abandonné quand les élèves ont passé le stade du déchiffrage ? Et puis, mise en branle de ses connaissances pour reconstituer la phrase : les accords, la ponctuation, la place du verbe, le sens, l’intonation… Un des objectifs, c’est de refaire de la grammaire pour soi, la CEDD parle de remise à niveau. Ici, en tout cas, c’est pour soi, mais avec les autres et pouvoir discuter à deux ou trois, formuler ce qu’on va faire remonter au groupe, comparer les méthodes de travail, l’importance de camper dans un texte pour aller du plaisir de la prose à l’analyse de la construction du texte, avec comme défi de dire sa phrase au bon moment quand on reconstitue le texte tous ensemble.
Deuxième étape : classer les phrases en observant comment elles sont construites. Même démarche que pour les textes. La grammaire est une science de l’observation. Attention accrue sur les verbes autour desquels les autres groupes de mots s’organisent. Troisième étape : analyser les phrases, petite madeleine au gout amer. Avec toutes les questions qui surgissent concernant la terminologie et les confusions qui persistent avec les fonctions dans la phrase et les natures des groupes. Mais, ici, pas le stress de l’évaluation (à part la sienne…), on n’est pas seul face à la tâche. Cadeau : une bonne grosse synthèse avec les phrases travaillées pour soi pour toujours ! On refait le tour des fonctions dans la phrase. On s’attaque aux phrases complexes, avec une étiquette pareille, on y va pas à pas. On réorganise les souvenirs… On commence à y voir un peu plus clair.
Mettre l’eau à la bouche
Les journées sont ponctuées de moments d’écriture, de lecture, de jeux de langue. Car, comme le dit Philippe Meirieu : « Apprendre à écrire et à lire ne se fait pas que grâce à des exercices. Il faut aussi donner aux enfants le gout d’écrire et de lire. »
La grammaire, mmm…
Notes de bas de page
↑1 | Parler, écrire et observer la langue ; faire de la grammaire et de la conjugaison ; (re) découvrir les plaisirs et les difficultés de l’apprentissage du français ; faire le lien avec les programmes ; chercher les moyens d’aider les enfants à mieux maitriser cette langue : voilà pour les objectifs. |
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↑2, ↑4 | É. Charmeux, M. Grandaty, F. Montier-Roland, Une grammaire d’aujourd’hui, Sedrap, 2001. |
↑3 | Lhomond, Éléments de la grammaire française, énoncé des règles qui sous-tendent les accords en l’orthographe. |