Un exemple : l’Autre école à Bruxelles
L’Autre école est née en 1973 d’une initiative conjuguée de parents et d’enseignants insatisfaits de l’enseignement qui leur était proposé. Les enseignants avaient fait le choix de la pédagogie Freinet et les parents, dans la foulée de mai 68, étaient très soucieux de participer le plus activement possible à la gestion de l’école. Ces deux composantes sont depuis plus de trente ans à la base de l’école.
L’école fut créée dans le réseau libre subventionné non confessionnel. C’était la seule solution qui nous permettait d’être subventionnés (indispensable !) et de pouvoir mettre en place peu à peu une équipe pédagogique par compagnonnage, formée d’enseignants qui s’accrochent au projet par conviction. Le « pouvoir organisateur », c’était nous, parents et enseignants.
Les premiers bâtiments
L’école établit d’abord ses pénates dans une maison, genre petite villa, avenue Parmentier à Bruxelles. Le rez-de-chaussée accueillait la petite vingtaine d’enfants de la classe primaire (classe unique en milieu urbain) ainsi qu’une pièce polyvalente (pour manger, pour se réunir) tandis que l’étage recevait la classe maternelle. Deux caves permettaient des travaux de bricolage divers (menuiserie, électricité, sciences, etc.) et un petit jardin équipé d’une balançoire voyait la trentaine d’enfants s’ébattre régulièrement.
On ne peut pas dire que la structure du bâtiment en tant que telle ait influencé la pédagogie pratiquée. Ce serait plutôt le contraire : la volonté de pratiquer une pédagogie active nous a fait choisir une « maison » plutôt qu’une autre solution. Néanmoins, pour les enfants, le fait de disposer d’une vraie cuisine d’adultes, de pouvoir circuler librement dans les quelques locaux de l’école a renforcé chez eux un sentiment d’appartenance à une sorte de grande famille. C’est l’impression prioritaire en tout cas que laissait une visite aux enseignants extérieurs et aux parents intéressés.
Lorsque le succès nous obligea, dès l’année suivante, à quitter les lieux et à investir un petit « hôtel de maitre » près du square Montgomery, nous nous retrouvâmes dans des espaces plus grands, mais qui comportaient encore le charme particulier d’une maison familiale.
Les lieux étaient devenus beaucoup plus importants, mais nous n’eûmes jamais l’impression que l’acquis communautaire et familial de l’année précédente s’était envolé.
Pour des raisons immobilières (nous louions, bien entendu), nous quittâmes ces lieux pour une belle maison entourée d’espace vert, avenue de Tervuren. L’atmosphère était à nouveau à la convivialité. Tous, petits comme grands étaient regroupés dans des locaux proches, petits, mais suffisants. L’espace extérieur était formidable. Le contact avec la nature allait de soi. Mais là aussi, il fallut déchanter. Cette belle maison dut subir la rage des bulldozeurs.
Nous nous retrouvâmes dans deux maisons, l’une du côté impair, l’autre du côté pair du boulevard Saint-Michel.
En 1983, nous nous installons dans une maison de style « mauresque », ayant déjà servi d’école au début de siècle et disposant d’un espace extérieur impressionnant : une zone pavée, une zone herbeuse et pleine d’arbres, une troisième plus polyvalente. Nous sommes à Auderghem, place Govaert. Les pièces sont relativement vastes, certaines sont légèrement aménagées, quelques cloisons légères sont abattues.
C’est dans ce lieu que nous resterons le plus longtemps : quinze ans. En 1992, nous nous décidons enfin à étudier la possibilité de construire (avec l’aide du Fonds des bâtiments scolaires) car des menaces pèsent sur la maison (nous nous sommes habitués).
Le nouveau bâtiment
Après une première étude avortée (une école en rond au bord de la Forêt de Soignes), nous recevons de la Commune, en bail emphytéotique léger, un terrain de l’autre côté de la place.
Cependant, des contraintes urbanistiques très fortes pèsent sur la construction : le bâtiment sera long et étroit, la cour de récréation petite. Ces contraintes pèsent lourdement sur la réalisation du projet. Cependant, nous négocions la location d’un espace voisin dont nous ferons un « terrain d’aventure » et nous avons la chance de travailler avec un architecte qui comprend nos besoins et fait preuve de créativité sur une surface aussi rectangulaire. En 1998, l’école s’installe.
Qu’est-ce que les vingt ans de vie dans des maisons, des espaces non prévus pour la vie scolaire nous ont appris pour entreprendre cette construction ?
D’une part, l’équipe pédagogique était soucieuse de disposer d’un « forum » ouvert où tous les enfants (175 au maximum) pourraient se retrouver pour des présentations, du théâtre, des conseils d’école, des activités diverses avec les parents (assemblées générales, chorale, cabarets, etc.). Au « bel étage », un large espace est disponible, pourvu de gradins et d’une mezzanine.
D’autre part, les enseignants désiraient sauvegarder toute une série d’avantages rencontrés dans les nombreuses maisons occupées jusqu’alors :
– l’accès à l’eau est possible dans chaque classe, on n’hésite plus à organiser une activité qui réclame son utilisation : l’atelier peinture peut fonctionner comme l’atelier capacités ;
– la cuisine y est directement praticable : deux taques permettent le minimum d’activité. Si le projet est plus ambitieux, une vraie cuisine équipée est disponible dans le bâtiment avec des outils plus performants (four, lave-vaisselle, tables de travail) ;
– chaque classe est pourvue d’une toilette indépendante, mais intégrée dans le local. Cela permet le « libre-pipi », de la maternelle à la sixième année primaire et cela responsabilise les enfants à propos de l’état de ce petit local indispensable, plus de déprédations, de chasses non tirées ;
– l’école étant dépourvue de couloirs (sa largeur ne le permettait pas), la mezzanine permet de passer d’un côté à l’autre du bâtiment mais en maternelle, on peut se permettre de passer de classe en classe pour rejoindre un espace (cela amène les enfants à se croiser régulièrement) ;
– l’accès des classes maternelles aux espaces communs de détente se fait de plain-pied ; de petits espaces plus spécifiques à l’âge concerné sont également prévus ;
– une « salle du corps » plus haute de plafond, certes, mais plus petite, moins impressionnante qu’une salle de gymnastique ;
– un local polyvalent, bien équipé pour la cuisine, pouvant servir de salle à manger pour un groupe alternativement (en général, on mange dans son local), mais aussi ouverte à certaines heures autour des armoires murales comme centre de documentation.
Au total, sept classes de 6 m sur 8 (rien d’exceptionnel donc), mais conçues de telle façon que les besoins de base y soient assurés, qu’un espace existe pour travailler, mais aussi pour se réunir.
Nous sommes persuadés qu’en grande partie, ces options ont été prises lors de l’élaboration des plans de ce nouveau bâtiment parce que nous avions été durant plus de vingt ans confrontés à des espaces « normaux » et que nous en avions tiré parti.