Halli Galli

Halli Galli est un jeu de 56 cartes sur lesquelles sont dessinés 1 à 5 fruits identiques (bananes, fraises, prunes et citrons verts).

Intérimaire en 1re primaire, je découvre, lors des ateliers autonomes en cycle 5/8, le jeu Halli Galli qui passionne la plupart des élèves.

Les cartes sont distribuées équitablement à chaque joueur qui les place face cachée en pile devant lui. Chacun à son tour retourne une carte. Dès que 5 fruits les mêmes apparaissent (ni plus, ni moins), tous essayent d’être le premier à frapper sur une sonnette qui se trouve au milieu de la table. En effet, ce joueur gagne toutes les cartes face montrée. Le joueur qui n’a plus de carte est éliminé et le dernier (qui a toutes les cartes dans sa pile) a gagné.

Quelques années plus tard, je deviens titulaire d’une 3e maternelle et j’introduis le jeu dans ma classe, parmi d’autres jeux de société. J’en attends un entrainement à la numération et je souhaite que les enfants y trouvent du plaisir, qu’ils y jouent de manière autonome et que mon rôle se limite à gérer d’éventuels conflits. Ceux-ci ne tardent pas à éclater : sonnette abimée, mains écrasées, cartes déchirées, accusations de tricherie et pleurs de dépit… La tentation est forte de sévir, mais les turbulences sont à la mesure de l’enthousiasme de certains et, très vite, m’apparaissent des mécanismes sous-jacents pleins de ressources.

« Joanne, il triche : il a pas compté ! » et voilà une opportunité d’aborder la différence entre comptage et calcul. La nécessité, également, de valider ensemble un résultat : « Mais oui, regarde, j’ai mis 3 prunes et il y en avait 2 là, ça fait 5 fruits les mêmes ! » Chaque enfant y va à sa manière, compter, puis, quand un début d’aisance s’installe, surcompter. Avec de l’entrainement, la mémorisation des résultats de ces comptages s’acquiert. Certains veulent toujours vérifier, d’autres appuient directement sur la sonnette et prennent le consciencieux de vitesse.

Tous champions

Mais cette dynamique symbolisée par la sonnette, qui stimule certains à abandonner le comptage pour le calcul, est précisément celle qui va cliver la classe en 2 groupes : les bons joueurs, les plus rapides, ceux qui gagnent et les autres, les lents, ceux qui perdent… et qui se désintéressent peu à peu d’un jeu qui les élimine. Ainsi, le fossé se creuse entre ceux qui réussissent et deviennent toujours meilleurs et ceux qui ratent et abandonnent. Quand une discussion cherche à déterminer qui, des forts, est le plus fort, j’interviens.

Le mondial de foot approche et l’analogie est tentante : d’accord pour un championnat mais, comme au foot, il s’agit de sacrer le champion des champions. Les enfants sont enthousiastes, il faut maintenant s’organiser pour que tous y arrivent.

Nous passons en revue ce qui pose problème. La vitesse de certains empêche d’autres de réfléchir : 2 boites de jeu (neuves et attractives) seront réservées à des tandems, un rapide acceptant de jouer plus lentement avec celui qui souhaite progresser. De plus, une nouvelle règle oblige quiconque appuie sur la sonnette à justifier son geste et à attendre l’accord des autres joueurs avant de prendre les cartes qu’il pense avoir gagnées, ce qui réserve parfois des surprises ! « Il y a 2 fraises et 3 fraises, ça fait bien 5 fraises. Non, je ne suis pas d’accord, 4 prunes et 2 prunes, ça fait 6 prunes ».

Les joueurs sont encouragés à anticiper sur l’apparition de la carte suivante afin d’identifier les combinaisons gagnantes : « Il y a 4 bananes, 2 prunes et 3 citrons verts sur la table, j’espère que la carte que tu vas retourner sera 1 banane ou 3 prunes ou 2 citrons verts ou 5 fraises ! » Pour ce faire, ils peuvent s’aider des doigts de leur main : en levant le nombre de doigts équivalent au nombre de fruits, ils ont la vision immédiate du nombre de doigts pliés, c’est-à-dire le nombre de fruits manquants. Des petits jeux d’entrainement sont proposés (avec les cartes du jeu ou d’autres outils de la classe qui favorisent la maitrise de la décomposition du nombre 5).

Cette attention à tout ce qui pose problème peut mener à des découvertes inattendues. Les quelques cartes qui ont été déchirées lors de conflits portant sur l’identification du plus rapide étaient principalement des cartes de 5 fruits, mettant en évidence la propension de certains rapides à se concentrer sur des résultats faciles menant à de fausses réussites (du point de vue de l’enseignante que je suis). Surprise pour ces champions que de devoir jouer avec un jeu dont toutes les cartes de 5 fruits ont été retirées…

À cette nouvelle organisation, tous sont gagnants : les rapides qui apprennent à dominer leur impulsivité et à verbaliser leurs performances, les lents qui prennent confiance en eux et se révèlent souvent meilleurs qu’ils ne le pensaient et leur institutrice, qui a découvert une mine d’informations en s’intéressant à un jeu dont elle attendait qu’il fasse une partie du travail à sa place !