Hiver 60 – Année 90

La révolte des travailleurs contre la « loi inique », à l’hiver 60, a été célébrée et commentée de tous côtés. Un autre « anniversaire » est passé beaucoup plus inaperçu : celui du très long conflit qui a bloqué les écoles plusieurs mois au printemps et à l’automne 1990.

Et pourtant les raisons fondamentales de ce conflit restent d’actualité : un profond malaise du monde de l’enseignement et de l’éducation. Il fallait bien plus que des revendications salariales pour justifier une mobilisation de si longue durée. Huit mois ont été nécessaires pour que syndicats et politiques en prennent la mesure. Mais si peu et si mal. Ce qui a amené des observateurs pointus comme Benoit Lechat et Pierre Bouillon à écrire : « Le malaise, le véritable détonateur du mouvement, est resté entier. Les réformes annoncées dans l’accord de novembre passeront pour des changements -attendus, certes- mais mineurs, épars, sans cohérence, distillés au compte-gouttes, et sans commune mesure avec les espoirs de changements profonds qui animaient les manifestants de 1990. Ces espoirs, énormes et déçus, ont abandonné l’école dans un climat de morosité ».

On le comprend mieux encore en relisant aujourd’hui l’engagement solennel des Spitaels (président du PS) et Deprez (du PSC), Ylieff et Grafé (ministres PS et PSC de l’époque) de « faire de l’enseignement une priorité de leur programme politique » et de maintenir l’emploi jusqu’en 1992. Le fameux « retour du cœur » s’est dans les faits traduit par de multiples vexations et a culminé avec la suppression de 3.000 emplois en 1996. Merci Laurette !

Les enseignants étaient sortis de ce conflit meurtris, résignés et très remontés contre les politiques. Jugez de la suite : le refinancement réclamé et indispensable s’est fait attendre jusqu’en 2001. Dès lors, le décret « missions » adopté en 1997 ne pouvait susciter ni adhésion, ni mobilisation. Venant de politiques discrédités, les intentions généreuses (émancipation de tous, confiance en soi, citoyenneté) n’eurent que peu d’échos. Pas de véritable appropriation de ce décret par les acteurs. Encore moins par la population.

Or, les questions d’éducation et d’enseignement sont des questions de société qui concernent au plus haut point tous les citoyens. Mais on continue à les régler dans des cénacles restreints : politiques et syndicats. Comme en 1990 ! Sans grand débat de société. Aussi les meilleures intentions (Contrat pour l’école ou Mixité sociale) n’amènent pas à de vraies avancées. Pire : la saga des décrets « inscriptions » a provoqué des replis et des refus inquiétants.

D’autant plus inquiétant que la crise de l’éducation et de l’enseignement est patente. Comment est-il possible que cette crise mobilise si peu politiques, citoyens et médias ? La situation est pire qu’en 1990. Presque tous les indicateurs sont au rouge. Notre système est le plus inégalitaire des pays développés. Les redoublements, les filières ségrégatives, les décrochages, les pénuries de profs, l’ennui colossal des élèves, … font des ravages et coûtent cher, très cher tant au plan humain (perte d’estime de soi) que matériel (des centaines de millions) à la collectivité et aux familles.

Dans un contexte de marchandisation rampante, il est impératif que politiques et citoyens se réveillent pour que ces questions redeviennent prioritaires et qu’émerge un projet éducatif de nature à réhabiliter l’institution-école qui doit plus que jamais promouvoir des valeurs de solidarité, d’égalité et de justice sociale et refuser énergiquement les dérives marchandes.