Il y a des gens qui…

Dans mon travail, je suis amenée à former et à accompagner des équipes pédagogiques à la mise en place de conseils de coopération. L’institution Conseil est un espace de parole, ritualisé et hebdomadaire qui permet de sortir de la relation duale où l’enseignant est seul à devoir gérer toute la vie de la classe.

Le Conseil est aussi un lieu privilégié pour les apprentissages des fondamentaux relationnels. Il permet notamment de développer de nombreuses compétences sociales, d’ancrer les valeurs démocratiques en les vivant (égalité entre tous, responsabilité de ses actes, respect de chacun, droit à la parole…) et d’expérimenter leur mise en œuvre (voter pour prendre les décisions s’il n’y a pas un consensus, coconstruire des règles autour de la loi de base Ici, chacun est là pour travailler et il est interdit de nuire, parler pour s’exprimer, argumenter, prendre position…)
Cette institution demande une grande rigueur. Des principes de base sont incontournables, mais dans chaque école et à chaque formation, le Conseil est adapté et alimenté par les idées de ceux qui le mettent en place. C’est l’enseignant qui doit être le garant des lois, du rituel, des temps et des espaces prévus. Des phrases clés telles que J’ouvre le Conseil, La parole est à…, Est-ce que le problème est toujours d’actualité ?, Je ferme le Conseil… permettent de pouvoir se parler dans un cadre sécurisant.

Nommer !

En amont du Conseil, les élèves écrivent des mots à glisser dans trois boites : Je me sens content parce que… ou Je me sens triste ou fâché parce que… et je voudrais demander… et J’ai une idée et je propose… Ces mots doivent être signés. L’élève apprend aussi à assumer sa parole.
Lors du Conseil, seuls les mots signés sont lus : les mots contents sont affichés, les mots problèmes sont traités et les idées qui sont votées débouchent sur des projets pour la classe.
En ce qui concerne les petits mots problèmes, l’élève a écrit et signé son mot, tout en formulant une demande ou une proposition de solution à l’autre. Ce faisant, il s’inscrit dans une démarche de pouvoir d’action sur son problème. Lors du Conseil, s’il considère que le problème est toujours d’actualité, l’élève lit son mot et il explique ce qui s’est passé. La loi Je ne peux pas nuire aux autres doit être respectée. L’autre élève concerné par le problème reçoit la parole et peut donner son point de vue. Il dit s’il est d’accord ou pas de répondre à la proposition qui lui est faite. Il peut aussi formuler une demande. Si les deux élèves arrivent à un accord, les engagements sont notés au verso du petit mot et affichés au journal mural. Seuls les engagements restent affichés, le problème se place symboliquement derrière eux.
S’ils n’arrivent pas à trouver une solution, le Conseil intervient pour apporter d’autres réponses. Et rien que pour cela ! Pas pour donner son point de vue ou critiquer, afin d’éviter le sentiment d’être face à un tribunal.
S’il existe une obligation quant au fait de devoir s’identifier en signant son mot, une liberté est laissée à l’élève quant au fait de nommer l’autre. Par exemple, un élève qui a peur d’un autre pourra faire part à la classe de sa situation tout en ne le nommant pas.

Ou ne pas nommer…

Depuis quelques années, une autre approche d’espace de parole régulé est proposée dans les écoles afin de travailler l’empathie et de stimuler l’intelligence émotionnelle collective. Cette méthode a aussi des règles incontournables dont celle de On ne nomme pas, on ne désigne pas et on n’accuse pas. Le fait de nommer l’autre est considéré comme stigmatisant et très violent pour celui qui est désigné.
Les enseignants sont souvent perdus entre ces deux positions contradictoires : nommer l’autre ou ne pas le nommer ?
Je pense qu’il est important, voire indispensable, de nommer l’autre pour apprendre à traiter et à agir ensemble face à une situation qui pose problème. S’adresser à quelqu’un amène une autre posture : celle d’incarner sa parole, de se rendre coresponsable, d’avoir confiance en soi et dans les autres. On apprend à se décentrer pour écouter le point de vue de l’autre, à contester et à négocier pour arriver à un accord. On travaille ainsi les compétences sociales qui permettront à l’élève d’être citoyen conscient à part entière.
Je me demande donc si le fait de ne pas nommer, en sensibilisant les autres à mon problème, mais en ne le traitant pas avec la personne concernée n’amène pas du flou, du non-dit qui peuvent laisser un gout amer. Est-ce que c’est de moi qu’on parle ? Ah, c’est surement un tel qui l’a fait… Ce flou peut être plus violent que celui de se parler dans un cadre sécurisant. Encore faut-il qu’il le soit vraiment, sinon, il vaut peut-être mieux ne pas nommer celui que l’on critique et peut-être même ne pas faire de Conseil…