Petits instantanés de nos concertations hebdomadaires en maternelle.
– Marie-Luce : Je voudrais parler de Mélissa, petite fille toujours proprette, habillée comme une poupée. Ça m’énerve parce que tout tourne autour d’elle dans cette famille, elle est une reine et quand elle vient le matin se pavaner au salon en montrant ses nouvelles chaussettes roses à froufrous ou son nouveau diadème, elle m’énerve. Je sais que je ne devrais pas, mais c’est plus fort que moi, je sens les parents qui sont derrière et qui n’en ratent pas une pour venir étaler leur fric et leur supériorité. Je pense à toutes les autres qui regardent Mélissa, médusées, la langue jusque par terre.
– Dominic : C’est comme pour les anniversaires ou le carnaval. Je suis gêné de voir ainsi les différences sociales se marquer. C’est toujours les mêmes qui apportent de trop et les mêmes qui n’ont rien.
– Muriel : Moi j’ai le même problème, mais ça m’arrange bien. Quand Alice apporte un beau livre de l’École des loisirs, je le lis, comme ça j’échappe aux albums de Walt Disney ou aux bandes dessinées que les enfants me demandent de lire et que je ne supporte pas. Heureusement que les enfants dont les parents s’occupent bien apportent des livres, sinon, ce serait d’une pauvreté !
– Isabelle : Moi, c’est un peu comme Marie-Luce, je voudrais parler des collations. Je ne sais pas comment me situer. Il y a des enfants qui ne prétendent pas manger un bout de fruit, même tout petit. D’une part, je suis d’accord qu’il ne faut pas forcer un enfant à manger ce dont il n’a pas envie, mais d’autre part, ils doivent quand même faire un petit effort. S’ils ne goûtent même pas, ils ne sauront pas si c’est bon. Et puis les goûts évoluent. Et ça m’énerve que des parents mettent des biscuits au chocolat comme dessert pour le repas de midi, alors qu’ils savent que nous avons une collation collective et que tout le monde doit goûter de tout. C’est comme s’ils essayaient par tous les moyens de contourner nos règles de vie pour satisfaire leur petit chéri.
– Alain : Ben oui, on est à la croisée des mondes : notre monde de l’école et le monde de la famille. Et les enfants-éponges passent de l’un à l’autre en emportant dans leurs bagages ce qu’ils ont vu fonctionner et marcher de part et d’autre. Il faut se dire que ça va dans les deux sens ! De plus, ce qui est difficile pour nous, c’est d’avoir deux casquettes : une première qui témoigne de notre personnalité et une autre qui illustre la fonction et la responsabilité que nous exerçons.
D’une part, c’est en tant qu’individu que nous réagissons avec nos tripes et, d’autre part, en tant que responsable d’un groupe d’enfants, nous devons aussi réagir. C’est difficile de passer de l’un à l’autre. Pour les jouets de Saint-Nicolas, étalés par les enfants qui en reçoivent beaucoup, nous pouvons, nous avons le devoir d’intervenir en disant que selon nous, ça commence à poser problèmes et que des enfants risquent de devenir tout tristes car ces jouets font envie. Et de limiter. Par exemple un jouet par enfant par jour ou par semaine.
– Marie-Luce : Dans mon groupe, quand un enfant a quelque chose à montrer, le matin, j’ai imposé qu’ils expliquent pourquoi ils ont envie de nous parler de cette chose et « qu’est-ce qu’elle raconte comme histoire ? ». Ainsi, même les vieux « doudous » tout troués ont leur place et leur valeur. Et les enfants ne viennent plus avec les jouets tout frais qui, eux, n’ont pas (encore) d’histoire.
– Alain : C’est génial parce que tu ramènes au vrai plaisir d’être là ensemble à nous partager nos histoires, nos délires, nos petits secrets et nos mystères. Mais on ne peut pas reprocher aux enfants d’être nés ici ou là. On peut juste faire en sorte que nous placions plus de valeur aux histoires qu’aux comparaisons.
– Isabelle : Et qu’est-ce que je fais pour mes fruits ?
– Alain : Je connais une école où les dames du réfectoire ne forcent jamais les enfants à terminer leur assiette. Par contre, ils ont des petits papiers tout près pour signaler aux parents que « leur enfant a ou n’a pas terminé son repas, qu’il dit ne pas avoir faim, ne pas aimer ou, au contraire, dit n’avoir pas assez ».
– Isabelle : Ça me plaît bien. Comme ça, je peux transmettre ce qui doit être transmis à la famille, car quoi de plus personnel que le rapport à la nourriture. De plus, les enfants voient que nous nous parlons, que l’école et la famille communiquent. En même temps, ça me permet de ne pas trop m’investir dans un affrontement stérile dans lequel je risque de m’épuiser.
– Alain : Même si tu es touchée, dans le fond, ça ne te regarde pas ! Et en même temps, tous les enfants te regardent, t’observent, te voient réagir et construisent ainsi comment vivre avec toi. Ils ne perdent pas une miette. Ça les nourrit aussi !