Inverser les stéréotypes

Cette problématique centrée sur l’étiquetage des élèves et la « valse des étiquettes » nécessite de se référer à au moins quatre concepts-clés.

Ces concepts-clés sont ceux de représentation, d’identité, d’attente et de statut réel. Ils permettent de comprendre ce penchant pour l’étiquetage allant jusqu’au stéréotype. Ils permettent de l’infléchir positivement et dynamiquement pour contribuer à la construction des personnes.

Géographie, représentation(s) et identité(s)

La géographie constitue la première inspiratrice, à partir du lieu d’origine ou de la couleur de sa peau, d’un étiquetage généralement connoté négativement. Ces étiquettes sont nombreuses dans notre langage familier : « beur », « beurette », « arabe » (même s’il s’agit de descendants de kabyles installés depuis trois générations au nord de la Méditerranée et ayant eu autrefois la nationalité française), « blacks » (mêlant indistinctement africains, antillais, et afro-américains…), « manouche », « polack », « rital », « flahute », « espagoin », « portos », « plouc », « parigot »… Généralement, elles affectent les étrangers à notre espace national, mais elles sont aussi influencées par l’opposition ville-campagne. Elles visent particulièrement les immigrés perçus comme des rivaux déloyaux. Rares sont les étiquettes d’origine géographique véhiculant une signification positive, voire attendrissante : « titi » (parisien) « gavroche », « cht’i », « gône » (lyonnais), « minot » (marseillais)… Étiquettes fleurant bon le XIXe siècle de la Révolution industrielle empreinte d’une complicité populaire teintée d’irrévérence voire de révolte.

Mais la plupart de ces stéréotypes liés aux origines spatiales, le plus souvent connotés péjorativement, voire ouvertement racistes, sont le reflet de représentations sommaires nourries d’une peur de l’inconnu, de l’étranger, socialement partagée. Ils reposent sur une conception « fixiste » du monde qui réprouve tout changement.

Ces étiquettes affectent l’identité des personnes. Elles sont aussi cause et conséquence des replis communautaristes. Elles font obstacle à la nécessaire prise en compte de sa double origine : l’espace géographique et culturel d’où vient ma famille et le pays où je suis né. Loin d’être source de richesses, cette identité écartelée devient handicap. Handicap que certains parviennent à surmonter, mais qui plonge les plus nombreux dans la spirale de l’échec. Quelques pistes de remédiations peuvent être envisagées : réflexion sur l’origine de son nom ; travail sur sa généalogie ; confrontation à des situations-problèmes telles que « Nous sommes tous de la poussière d’étoiles ! », « Pourquoi tant de mots français viennent-ils de l’arabe et du monde musulman ? », « La France création multiraciale ? » Etc. (Cf. Situations-problèmes pour explorer l’Histoire de France).

Étiquettes et attentes

Les travaux de l’équipe de R. A. Rosenthal sur l’effet Pygmalion (les hypothèses sur le devenir scolaire d’un élève se réalisent effectivement) ont montré que le concept d’« attente » est déterminant dans la réussite des apprentissages. Sans attente positive du maitre vis-à-vis de son élève il ne peut y avoir acquisition de savoirs et de compétences. L’étiquette collée à l’enfant véhicule des attentes parfois positives, mais le plus souvent négatives. Ce phénomène d’attente affecte directement l’image de soi de l’apprenant. Or, une image de soi positive est indispensable à la construction de la personne. Ce n’est pas quelques bonnes paroles d’un enseignant humaniste qui changeront les choses. Seule une action débouchant sur une reconnaissance sociale affectera cette image narcissique et contrebalancera les effets d’une étiquette difficile à porter. Ici se profile l’intérêt de la pédagogie du projet-élèves pour faire valser les étiquettes.

Les étiquettes s’effacent devant le « statut réel »

L’action menée dans une organisation, dans une société fait bouger la représentation qu’on se fait de l’acteur. Le statut légal s’efface devant l’émergence d’un « statut réel ». Les premières étiquettes tombent également. Qui osera aujourd’hui, après ses exploits footballistiques, traiter Zinédine Zidane d’« arabe » ou de « kabyle » ? Alors que s’il était resté anonyme dans sa cité…

Seule l’action reconnue socialement peut faire « valser les étiquettes ». L’impact d’un engagement, l’empreinte laissée dans le milieu, l’environnement, même en coopérant avec d’autres, fera bouger les représentations que j’ai de moi, que les autres ont de moi. Les images stéréotypées s’effacent devant la réalité de l’action transformatrice du monde pour un mieux-être.

La pédagogie du projet est alors un levier intéressant. Les élèves d’une troisième « techno » d’un lycée agricole ayant aménagé un atelier de réparations sur la ferme annexe sont passés du statut de « petits cons des classes technologiques » à celui d’« auteurs de l’atelier de réparations » utile à tous. Parmi ces élèves, l’un d’entre eux, du fait de son engagement dans le projet, est devenu « le chef » alors qu’il était le « souffre-douleur » de la classe en quatrième.

Certes les étiquettes sont toujours un appauvrissement de la réalité, une caricature, mais l’action socialement reconnue les transforment en icônes positives tirant dans le bon sens, c’est-à-dire dans le sens d’un épanouissement des personnes.