Je suis prof de français dans une école bruxelloise secondaire principalement qualifiante et responsable de la coordination au 1er degré et, de facto, de l’objectif n° 1 de notre plan de pilotage : améliorer les performances des élèves au CE1D. Cette année, ça s’annonce encore plus difficile…
Le confinement du printemps a été compliqué : l’école a mis sur pied une plateforme interactive après le congé de Pâques, mais peu d’élèves du 1er degré étaient réellement connectés. Même s’ils disent avoir un ordinateur, il s’agit souvent de l’unique ordinateur familial à se partager ou de l’ordinateur professionnel du père, ou celui du grand frère qui ne veut pas le prêter… sans parler de la question de la connexion. De plus, ils disposent rarement d’un endroit calme pour travailler. La plupart des élèves ont utilisé leur smartphone, ce qui leur a fameusement compliqué la tâche. Et, pour un nombre non négligeable, la communication avec l’école a été coupée, malgré les tentatives répétées des éducateurs pour entrer en contact téléphonique.
Et même s’ils se connectent, je me demande quels apprentissages on peut organiser à distance. Des exercices, du drill, oui, mais pour les apprentissages, il nous manque les projets, le sens, le dialogue pédagogique en collectif pour savoir où ça coince, et aussi le groupe, le travail collectif, le tutorat entre les élèves, tout ce qui donne du désir et de l’énergie pour avancer et dépasser les difficultés.
Certaines classes du 1er degré reviennent parcimonieusement à l’école, dans le courant du mois de mai. Tous expriment leur soulagement d’être là, ils disent ne pas arriver à travailler seuls à la maison. Ils sont découragés à l’idée de réaliser un travail ou de mémoriser des notions, isolés chez eux. On leur a demandé d’un coup une autonomie qu’ils sont loin d’avoir acquise. Pour eux, le travail scolaire, c’est à l’école “; à la maison, on fait autre chose. Ce qui semble assez logique pour eux, mais nettement moins pour les enseignants. Et, évidemment, les choses se corsent s’ils ne viennent plus à l’école.
Pour cette année scolaire, la direction et les professeurs avaient décidé de limiter le nombre d’élèves à dix-huit dans nos cinq classes de 1 C. Mais la CIRI[1]Commission interréseau des inscriptions. nous a envoyé des élèves fin aout, ce qu’elle est habilitée à faire. Il est en effet inacceptable que certains n’aient pas de place dans une école. Nous nous retrouvons donc avec des classes nombreuses et nous avons beaucoup de mal à aider chacun à progresser. En effet, cela amène nervosité, agitation, dispersion, problèmes comportementaux, et cette difficulté est aggravée par l’exigüité de certains locaux. Les profs doivent déployer beaucoup d’énergie pour gérer l’aspect disciplinaire. Que reste-t-il alors comme énergie disponible pour la didactique ?
Notre 1er degré accueille un public de milieu populaire. L’ISE[2]Indice socioéconomique. est de 3 et 4, selon les sites, le 1er degré est le plus défavorisé. Pour la plupart, ces élèves ne maitrisent pas la langue de scolarisation.
En septembre, nous constatons que nous accueillons cette année des jeunes qui ont été déscolarisés l’an passé. Les difficultés que nous rencontrons habituellement sont amplifiées. Les compétences requises pour exercer le métier d’élève ne sont pas du tout maitrisées : être attentif pendant les cours, apporter son matériel scolaire selon l’horaire, organiser les feuilles dans les classeurs, réaliser un travail en respectant la consigne, mémoriser une leçon… Il nous est bien difficile de gérer toutes ces difficultés dans les groupes trop peuplés.
Je me demande alors si on pourrait modifier les normes de calcul du nombre d’élèves par classe, et attribuer à chaque élève un coefficient inversement proportionnel à son ISE. Ainsi, si un élève dont l’ISE est supérieur à 15 vaut 1, un élève dont l’ISE est inférieur à 5 pourrait valoir 1.33, avec une progression entre ces deux extrêmes. Cela ramènerait le nombre maximal d’élèves à dix-huit dans une école comme la mienne. Ce serait alors de l’encadrement réellement différencié. Et si la CIRI doit trouver des places pour des jeunes, on pourrait imaginer une concertation avec les écoles et l’octroi de NTPP pour ouvrir une classe supplémentaire si les bâtiments le permettent. Mais reste la question du recrutement. Au moment où j’écris ce texte, il nous manque un prof de math, un prof de sciences, un prof de sciences éco, et un prof de langues. Rien que ça…
Les heures covid généreusement données par la FWB fin septembre me laissent perplexe. Pour faire quoi ? De la remédiation sur le temps de midi et le mercredi après-midi ? Soyons certains que les élèves vont adorer et que ce sera très efficace ! Et qui engager ? Un prof de chaque branche du CE1D (mathématiques/français/EDM/sciences/néerlandais) pour quelques heures ? Impossible à trouver bien sûr. C’est au moment du cours que les conditions doivent être les meilleures possible. Organiser des cours chaotiques qui ne mettent pas les élèves dans de bonnes conditions d’apprentissage, et puis tenter de rattraper la sauce avec de la remédiation, c’est absurde. C’est couteux en moyens, en organisation et en énergie, et on sait bien que ça ne fonctionne pas. J’ai parfois l’impression qu’on fait semblant…