Je demande le Conseil

Lorsqu’on veut sortir du cours magistral, faire travailler les élèves en équipe, développer en classe une vie coopérative, le Conseil est la clé de voûte de l’édifice. C’est le lieu où la parole devient véritablement instituante. C’est le lieu du pouvoir. C’est là que vont se proposer, se discuter, se décider les petites et les grandes choses, les projets, les responsabilités, les règles de vie. C’est enfin là qu’aboutissent les problèmes insolubles ailleurs, les conflits, les malaises … Ce lieu, sorte de « tour de contrôle » de la classe, doit assurer les grandes fonctions de la vie d’un groupe coopératif :
L’accueil : chacun peut y prendre part, sans distinction de niveau et avec voix au chapitre. La parole de tous est assurée d’y être entendue, reprise et suivie d’effet… à certaines conditions toutefois. La distinction : « Qui parle ici ? » Les membres du Conseil, chacun dans sa classe, y a une place réservée, mais doit suffisamment y tenir pour qu’elle ne devienne pas une place fantôme. Pas question que d’autres décident pour nous, pas plus que ça se décide tout seul. Et il arrive aussi que certains s’excluent momentanément en ne respectant pas les règles communes par exemple. Il est également important que l’on sache de quelle place parle un orateur : s’exprime-t-il en son nom personnel où en tant que titulaire d’une responsabilité ? Chacun peut y devenir littéralement distingué, la courtoisie y a cours, même si la langue est parfois crue. La cotisation : le terme est à prendre au sens le plus large d’apport par chacun de sa quote-part à la coopération. L’apport peut être financier, car il y a le plus souvent une caisse de coopérative, mais ce peut être aussi la part prise aux tâches et responsabilités dûment connues et reconnues comme telles. Les comptes : les comptes financiers sont examinés, on y rend des comptes et on y tient des comptes au sujet de tout ce qui nécessite de faire rentrer de l’argent, d’en dépenser ou d’en répartir … Mais les comptes sont également demandés aux responsables. Si les documents n’ont pas été distribués correctement, l’élève qui s’occupe de l’armoire sera critiqué, voir remplacé. Le maître doit aussi répondre de ses actes, du moins de ceux qui relèvent des responsabilités qu’il assume devant le Conseil. Enfin on y règle des comptes avec plus ou moins de virulence sous le contrôle des lois de la classe, du président et du professeur. La nécessité d’écrire et de signer oblige à différer. Par exemple, une critique affichée ne pourra se traiter en conseil que la fois suivante : souvent, l’auteur vient lui-même la retirer du panneau, la nuit lui ayant comme on dit « porté conseil »… Les décisions : pour accéder au véritable pouvoir, pour que le passage soit assuré entre les habituels « il n’y a qu’à », « il faut », et les actes, le désir actif de tous est nécessaire. Mais il est également indispensable de passer par certaines formes qui rendent opérationnelles les intentions prononcées : les formules adéquates doivent être employées. Nous y reviendrons en énonçant les maîtres-mots … Ici, les propositions sont examinées et le président tranche avec l’aide de tous. Parfois il fait voter mais ce n’est pas le seul moyen de parvenir à la décision. Généralement, il cherche d’abord à s’assurer que personne n’est lésé dans la proposition. Il essaie, avant de faire voter, de construire un consensus. Le mot est à la mode. C’est sans arrière-pensées que nous l’utilisons depuis des dizaines d’années pour désigner la situation dans laquelle se trouve un groupe pour accepter unanimement qu’une décision devienne opérationnelle, même si certains des participants ne font que « consentir » sans approuver : la formule est souvent : « Quelqu’un est gêné si… ? » Notons que les décisions ne sont prises que si des propositions sont effectivement faites. C’est important, car bien des points de l’ordre du jour sont ponctués par « passage au point suivant » sans être suivis d’autre effet que d’avoir été entendu, ce qui est déjà important: c’est le cas des critiques que leurs auteurs ne font pas suivre de propositions. L’inscription : qu’il s’agisse de noter les décisions, ou de garder en mémoire ce qui aidera à la continuité des projets, de mettre en bonne et due forme une loi de la classe, l’importance de l’écrit n’est plus à démontrer. Il se trouve toujours, en début d’année, quelqu’un qui se réfugie derrière les mots irréfutables : « Ce n’est écrit nulle part que je devais le faire … » Si le manquement est douloureux pour beaucoup, la classe apprend à ses dépens la nécessité d’inscrire clairement, complètement et au vu de tous, les choses importantes. Concrètement, dans la classe, si quelqu’un dit au début de l’heure : « Je demande le Conseil », il est automatiquement réservé un quart d’heure à la fin de la séance. Ce peut être le professeur qui fait cette demande. Il arrive également qu’en début d’année, lorsqu’il y a beaucoup de décisions importantes à prendre, le Conseil soit tenu dès le début de l’heure et dure davantage de temps. En cours d’année, lorsque la classe fonctionne, que les institutions et les responsabilités sont bien en place, le Conseil se tient environ une fois par mois. Préparé à partir du panneau d’affichage, son ordre du jour est limité à ce qui est inscrit à l’avance sur ce panneau.
Pour marquer l’importance et assurer l’efficacité de cette institution maîtresse de la classe, une certaine solennité règne grâce à un rituel et à l’utilisation des « Maîtres-mots » : – le Conseil commence – qui a quelque chose à dire sur … – propositions ? – qui est pour ? – qui est contre ? – la décision est prise – le Conseil est fini.
Le président, élu ou désigné la fois précédente va, un peu avant l’heure prévue, recueillir sur le panneau les textes concernant la classe et inscrire l’ordre du jour au tableau. Le secrétaire le recopie dans le cahier. Les décisions prises sont également inscrites de la même façon. Lorsque retentit le maître-mot de la fin, il arrive que des décisions aient été prises pour le bien de tous, que des élèves qui se trouvaient en difficulté obtiennent des réponses ou trouvent un ancrage qui leur permettra « d’évoluer ».

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