Je motive, tu motives… il n’est pas motivé !

Il semblerait que la motivation soit un enjeu
actuel majeur de l’apprentissage tant les
rayons des librairies fournissent de littérature
à ce sujet. Je vous avoue que je n’ai jamais
ouvert l’un de ces ouvrages…

Dans le cadre du weekend TRACeS, nous
avons été amenés à proposer une situation
d’apprentissage à quelqu’un d’autre et à
en vivre une en retour. Pas facile d’imaginer
quelque chose quand on ne connait
pas son public et qu’on ne peut anticiper ce qui l’intéressera.
Pour ma part, de nature plutôt curieuse, n’importe
laquelle des thématiques m’aurait intéressée. Mais, en
tant qu’enseignante, tous les enfants que j’ai face à moi
n’ont pas le même profil. Certains sont intéressés par ce
qu’ils connaissent déjà et peuvent approfondir, d’autres
par ce qui est nouveau. Cette motivation dépend du moment,
de l’endroit, des préoccupations et d’encore bien
d’autres facteurs. Depuis que j’enseigne, partir des intérêts
des apprenants que j’ai en face de moi est un de mes
principaux défis.

L’IMPORTANCE DU MILIEU

Je me souviens de cet enfant qui était arrivé dans
notre école en 3e année, suite à une dépression. Au bout
de quelques mois, il avait retrouvé le gout d’apprendre.
Les instits Freinet avec lesquels je travaille (que ce soit
en milieu favorisé ou non) ont le souci de faire de leur
classe un milieu riche en sollicitations, où la culture du
questionnement est développée, où l’ouverture sur le
monde est constante. Et dans ces classes, peu ou pas de
démotivation.

La motivation ne serait donc pas seulement un problème
d’individu, mais aussi de contexte dans lequel
celui-ci évolue. Et c’est là qu’intervient l’enseignant.
Non pour agir directement sur l’individu et le former
ou déformer en fonction de ce qu’il doit devenir, mais
pour créer autour de lui un milieu qui amènera chacun
à s’intéresser aux plus de choses possibles et à trouver
de quoi avancer dans ses intérêts.

Dans ma classe de 6e, chaque année, les enfants réalisent
un chef-d’oeuvre qu’ils présentent aux autres
enfants de l’école. Les sujets sont choisis librement et
donc très variés.

MON RÔLE

C’est là que le groupe prend aussi sa place. On peut
partir du postulat qu’un groupe est riche par nature.
Vingt-trois enfants qui se questionnent sur la vie créeront
une multitude d’entrées dans les apprentissages.
Les intérêts de chacun deviendront une nourriture
collective. Meirieu, dans un article sur l’intérêt[1]Question d’intérêt
publié sur son
site sur son site
www.meirieu.com,
dans la rubrique
La Vie, sept. 2005.
, parle
du danger d’abandonner les enfants en les laissant seulement
rester dans leurs intérêts. Il dit qu’il faut aider
l’enfant à s’exhausser au-dessus de ses intérêts immédiats
et non l’abandonner à lui-même. Selon moi, l’intérêt
peut se susciter. Il me semble essentiel d’inviter les enfants à sortir de leurs intérêts personnels. Pour cela,
dans ma classe, j’essaie de mettre en avant ce que chacun
fait, de le présenter comme digne d’intérêt et d’inciter
les autres enfants à s’y intéresser. L’organisation tourne
autour de moments de travail individuel et de moments
de partage. Mon rôle est essentiel. Je ne pourrai guider,
à chaque instant, chaque enfant pour lui montrer les
nombreux apprentissages auxquels il ne s’intéresse pas
encore. Après tout, je ne suis qu’à un moment donné sur
sa route. Je propose que chacun puisse faire ses choix
librement dans un contexte suffisamment riche et incitant
pour que l’intérêt naisse. Je me sens plus comme
une semeuse de graines.

FAIRE DE LA CLASSE
CE MILIEU RICHE ET OUVERT ?

Dans ma formation en pédagogie Freinet, j’ai trouvé
beaucoup de pistes pour répondre à cette question.
Un des grands principes chers à Célestin Freinet était
l’ouverture de l’école sur la vie. Plusieurs techniques
vont dans ce sens.

L’entretien du matin est un moment de partage où
chaque enfant peut apporter un objet ou une information
qui pourrait intéresser le groupe et être porteur
d’une activité d’apprentissage. K., un élève de 1e année,
amène régulièrement de la maison ses jeux personnels
pour les présenter à l’entretien. Ces jeux n’intéressent
pas le groupe en général et K. ne les présente pas pour
en faire un objet de travail, mais juste pour prendre une
place dans ce moment de parole. L’enseignante mène un
vrai travail avec les enfants pour les aider à comprendre
petit à petit l’enjeu de ce moment et à se décentrer de
leurs intérêts purement personnels, pour se projeter
dans l’intérêt des autres enfants du groupe.

La balade est une de mes entrées préférées pour
l’ouverture sur le monde extérieur. Dernièrement, lors
d’une journée de formation en pédagogie Freinet, mon
collègue et moi-même avons proposé aux participants
de sortir dans les rues de Saint-Josse muni d’appareils
photo. Chaque personne avait dû choisir, avant de démarrer
la balade, une paire de lunettes (imaginaire) à
travers laquelle observer le monde. Pour cette sortie,
les lunettes proposées étaient : mathématiques, littéraires,
artistiques, milieu/société et langue. Nous avons
tous parcouru la même balade (quelques rues autour de
notre local de formation). Au bout de 40 minutes, nous
avions déjà plus de 300 photos à nous partager. C’est
ce que nous avons fait en rentrant et chacun, en partageant
son regard avec les autres, a ouvert des possibles.
A. qui ne voyait pas du tout ce qu’il y aurait moyen de
faire avec des lunettes littéraires a été très étonnée
de découvrir les photos de ses collègues qui avaient
vu, tout au long de la balade, de multiples scènes qui
auraient pu être des déclencheurs de textes.
Pas nécessaire de sortir non plus pour s’ouvrir au
monde. En organisant des moments de rencontreactualité,
c’est le monde qui entre dans la classe.
Avec ma classe de 6e, il est courant que l’un ou l’autre
enfant, habitué à cette pratique,
interpelle les autres sur
un fait d’actualité entendu au
journal. Ces questionnements
nous ont déjà amenés à inviter
un journaliste en classe, pour
nous parler de politique par
exemple.

LA MOTIVATION : UNE DISPOSITION
NATURELLE CHEZ L’ENFANT

Je suis toujours étonnée de voir comme il est naturel
pour le tout petit enfant de se poser des questions.
Celui-ci est curieux par nature. Nulle crainte
pour la motivation quand j’observe mon petit garçon
de huit mois ou ses copains de la crèche. Ils
tâtonnent, cherchent, essaient et essaient encore en
recherche de sens et de compréhension du monde.

Un jour, une stagiaire avait invité un ingénieur
en classe. Celui-ci se promenait en détaillant les affiches
au mur. Son attention se portait sur les traces
des recherches mathématiques des enfants : dans
ma classe, chaque enfant est invité à mener une recherche
mathématique sur un sujet qu’il choisit et
à la présenter aux autres[2]Voir l’article
En balade, à la
recherche de
défis mathématiques,
TRACeS
de ChanGements
n° 198, nov.-déc.
2010.
. Ce scientifique, qui est
lui-même professeur dans le supérieur, était particulièrement
étonné de voir les directions que prenaient
les questionnements des enfants. Il m’a alors
partagé sa difficulté de mettre en questionnement
ses étudiants et de les faire entrer dans de pareilles
démarches.

Dans ce cas précis, il me semble que ses étudiants
ont été victimes d’un système scolaire qui
tend à mettre un couvercle et à étouffer cette curiosité
innée. Trop souvent, l’école ne donne un intérêt
qu’à ce qui est évalué et les enfants entrent très vite
dans cette logique. En travaillant tous aux mêmes
exercices en même temps, en suivant des progressions,
même bien pensées, dont seules les questions
et préoccupations du professeur sont à l’origine, en
n’offrant aucune place aux questions des enfants, en
perpétuant le culte de l’homogénéité, nous sommes
amenés à déployer une énergie incroyable pour faire
revenir la motivation au sein de nos classes.

En écrivant ces quelques lignes, je me dis que,
tout compte fait, ce n’est pas si simple cette question
de la motivation. Alors je me lance le défi d’essayer
de permettre aux enfants de mes classes actuelles et
futures de garder ce potentiel de questionnement
inné et tellement moteur d’apprentissage. En plaçant
ainsi mon action pédagogique, j’espère continuer à
vivre dans une classe où la question de la motivation
ne sera pas un problème.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Question d’intérêt
publié sur son
site sur son site
www.meirieu.com,
dans la rubrique
La Vie, sept. 2005.
2 Voir l’article
En balade, à la
recherche de
défis mathématiques,
TRACeS
de ChanGements
n° 198, nov.-déc.
2010.