Qu’est-ce que Jacques et Thérèse, les animateurs de ce weekend d’écriture à Bailièvre vont nous concocter pour travailler sur l’imprévu ? De l’imprévu forcément mais aussi des techniques bien éprouvées pour nous amener à écrire ce à quoi nous n’aurions pas pensé spontanément.
[1]1 Kery James.
Pour chauffer la salle, exciter les méninges, libérer les inhibitions, on commence par une fresque autour du mot imprévu. Des mots surgissent dans tous les sens sur le papier déposé au sol : le jaillissement de vie, la tuile, le temps, zut, chouette, encore… Les dix minutes écoulées : lecture des mots à tour de rôle. Ensuite, divisés en sous-groupes, nous avons 15 minutes pour produire 5 propositions aux questions suivantes : « Peut-on prévoir l’imprévu ? Qui l’imprévu arrange ou dérange ? Lister les différentes sortes d’imprévus. » Re-mise en commun. Tout ceci sous la houlette attentive de Thérèse, notre terrible gardienne du temps.
9h25. Maintenant à toi de jouer. Seul(e) face à toi-même, 45 minutes. La page blanche. Un petit pincement au cœur. Consignes : écrire, sur le mode du conte, une situation d’imprévu professionnel en intégrant 5 mots de la fresque. Moi, je pense immédiatement au cours de jeudi avec la 4G. Un peu facile, t’aurais pas autre chose ? Oui, évidemment, cet incident en 6e avant _ Noël qui te pourrit encore la vie. Trop délicat. Je note tout ce qui me vient à la tête. Je choisis finalement la 4e. 10h10 : le gong sonne. Lectures mutuelles par trois. Pierre parle de son expérience de jeune prof. Thérèse du suivi d’un élève. Cela se passe bien avec les parents puis ça dérape avec l’enfant. On écoute, on note les mots qui traduisent le vécu subjectif des protagonistes. On les recopie pour en faire une affiche A3.
Pause. Un petit café, un thé, un morceau de chocolat, un biscuit.
Deuxième round
Produire, toujours produire. Ici, on a le choix. Seul ou en groupe. Écrire sur l’imprévu à la manière des Delerm, faire un dessin ou une impro. Je choisis les petits haïkus poétiques façon Delerm. Une demi-heure de travail. Cela se délie. La machine est en route. Mise en commun. On sourit aux phrases poétiques. Pas d’artistes plasticiens en herbe dans notre groupe cette fois-ci. Je découvre les talents d’improvisation de Natalie, Pierre et Sandrine qui nous jouent un imprévu total en classe. On rit franchement. L’heure du repas approche.
Dernier round de la matinée : reprendre son texte seul, écrire une autre situation, deux par deux, se relire et se faire des suggestions mutuelles. Avec Isabelle, nous confrontons nos deux univers à cent lieues de différences. Elle, des ados en professionnelle, provocateurs, à la limite du décrochage. Elle propose une pièce de théâtre dans le cadre du cours de français. Toujours sur le fil, avec en ligne de mire la nécessité de réaliser un produit fini. Moi, des élèves plutôt faciles, classe moyenne aisée de la banlieue sud de Bruxelles. Parfois blasés. Un autre métier. Et pourtant des constantes : les limites, toujours les limites. Recadrer, discuter, sanctionner, faire évoluer. Passionnant.
Repas autour d’un spaghetti maison. On se raconte les dernières nouvelles.
Round suivant
On reprend à 14h précises, sous la vigilance aigüe de notre gardienne du temps. Cet après-midi, intro, puis deux longues périodes d’écriture individuelle, entrecoupées de mises en commun avec tout le groupe ainsi qu’un feedback sur ce qui a déjà été produit et qui pourrait faire l’objet du numéro de TRACeS. Thèmes à creuser : la place de l’imprévu, mais aussi quelle place chacun occupe dans l’imprévu. Comment vit-on ces situations d’imprévus ? Quelle place leur donne-t-on ou leur laisse-t-on ? Quel intérêt y a-t-il à surprendre et comment ? Quelle place je prends, quelle place je laisse, quelle place je donne ?
On commence : une citation collée en dessous d’une chaise. Autant de chaises que de participants. Choisir celle qui nous convient. Mise en commun de 15 minutes par groupe de trois. Écrire rapidement quelques proverbes sur le modèle des citations. Réflexion de Pierre : oui à l’imprévu dans l’apprentissage, non à l’imprévu institutionnel. Écriture individuelle, deux temps longs. Premier temps : face à des situations imprévues, qu’est-ce que je fais : prendre, laisser, donner, rendre. Deuxième temps : ré-écriture en fonction des questions et des commandes de ses camarades co-lecteurs.
On termine par une lecture décalée des proverbes et des citations. On rédige une affichette avec son imprévu, plusieurs si possible. Le numéro de TRACeS se construit petit à petit. Chacun s’engage. On a bien travaillé. Soirée détente.
Round xème du nom
Le lendemain. Objectifs de la matinée : concevoir et construire une typologie des imprévus[2]La typologie que le groupe a élaborée au cours du weekend est publiée sur le site de CGé : www.changement-egalite.be, rubrique TRACeS de changements., boucler la table des matières du numéro de TRACeS. Ambitieux tout ça. La sociologie est passée par là. Pour faire simple, on classe les imprévus récoltés, on ébauche un tableau de synthèse : c’est la typologie. On commence à l’heure. Forcément. Merci, Thérèse. On travaille en deux groupes et on se présente mutuellement les tableaux de synthèse pour aboutir à une typologie commune. Au début, on se dit qu’on n’y arrivera pas tant cela va dans tous les sens.
Comme Jacques et Thérèse ont bien mené les différentes séquences, ça va, il y a de la matière. Il y aussi les habitués de l’exercice qui vous en mettent plein la vue. En un tournemain, ils ont leurs colonnes avec catégories, sous-catégories… Mais ça se discute, et ferme ! On dégagera trois types d’imprévus : les matériels, les pédagogiques et ceux liés à des comportements. Et pour chaque type, trois causes similaires : les imprévus accidentels/imprévisibles, ceux que l’on a construits et puis les récurrents, les organisationnels. Une fois identifiés le type et la cause des imprévus, qu’en faire ? On accepte, on rejette, on proteste, on innove, on intègre, on se décentre, on revendique… Une foule de possibilités qu’on classe aussi et on y raccroche nos expériences. _ Exemple : à partir d’une représentation de ses élèves Bruxellois de 6e primaire qui ne connaissent que le canal a surgi un imprévu pédagogique accidentel : « Mais Véronique, si l’eau coulait dans les rivières, elles se videraient ! » Véronique l’a transformé en imprévu construit pour travailler le cycle de l’eau les années suivantes.
Et puis : keskona pour TRACeS. On passe en revue ce que chacun a déjà travaillé, ce qu’il veut bien remettre sur le métier, ce qu’il faudrait ajouter vu la fameuse typologie. La récolte est bonne : déjà une quinzaine de textes bien entamés.
Fin de matinée : objectifs atteints et tout cela dans la bonne humeur. On repart avec entre autres des idées à appliquer dans nos univers professionnels respectifs et aussi, last but not least, des articles à peaufiner que vous allez lire dans ce numéro.