Je ne me fais pas tout seul

S’étayer de rencontres.

En tous cas trois rencontres au moins auront été importantes dans mon choix d’orienter ma pratique «à babord».

D’abord les copains de classe en fin de secondaire, qui avaient déjà un discours organisé sur la société, les partis, le fonctionnement institutionnel de la Belgique. À côté du vide programmé et des descriptions techniques du cours d’Initiation à la Vie Sociale, cela me fascinait. Et je comprenais ce qu’ils disaient !

Ensuite, une lecture obligatoire pour le cours d’histoire : le Manifeste du parti communiste. Je n’y comprenais pas grand chose mais en le lisant avec d’autres, de petites lumières se faisaient. Des bribes. Un canal pour ébaucher un cadre dans lequel placer la grève de la faim de travailleurs immigrés réclamant un permis de travail, une visite qui m’avait profondément marqué.

D’autres copains qui me proposent de les rejoindre dans un comité lycéen puis aux Jeunesses communistes. Que je déserte bien vite, perdu dans un discours et des références qui m’échappent.

Solidarité collective contre exclusion solitaire

Enfin l’atterrissage dans un camp d’enfants «quart-monde». Pour la première fois, je n’étais plus spectateur. Mais confronté à un milieu dont je ne connaissais rien, avec des responsabilités à assumer. Devant un travail à faire pour me décentrer du confort et de la facilité que j’avais toujours connus. Avec une structure de préparation collective encadrant l’animateur maladroit et balbutiant que j’étais, fasciné par une cohérence construite et engagée clairement.

Dans ce camp d’été, tout était préparé soigneusement, autant sinon plus que les «prépas» du normalien que j’étais alors. Une minutie qui permettait à l’improvisation, au spontané de s’épanouir au cours des journées. Chaque soir, nous passions plus de deux heures à compléter les cahiers individuels des enfants : décrire ce qui s’était passé, mais aussi les émotions, les nôtres et celles des enfants. Retrouver, dans ces récits qui se tissaient au fil des cahiers qui circulaient d’animateur en animateur, ce qui pourrait constituer un point d’appui. Les projets du lendemain naissaient souvent d’un moment privilégié sur lequel nous choisissions de rebondir, pour un enfant ou plusieurs. Après cette phase d’écriture, mise en commun sur ce qui nous posait question. J’apprenais dans le mélange des émotions, des poux, des vêtements imprégnés d’urine, de mes préjugés bousculés, à analyser et relever ce qui pourrait faire levier. Des bribes de l’histoire des familles et le regard posé dessus. Le refus du paternalisme, le détricotage des mécanismes d’exclusion qui passent par le langage, l’hygiène, et le regard.

C’est là que j’ai pu m’approprier les premières briques d’un choix délibéré de refuser l’exclusion comme une fatalité et de construire collectivement un dispositif, des moyens pour ne plus être seul un engrenage passif de la reproduction. Un premier silex grossier que je suis encore en train de tailler 20 ans plus tard.