Je veux travailler avec des enfants de milieux populaires. Je cherche une autre école. On m’engage dans une école en discrimination positive à Bruxelles. Je suis ravie !
C’était dans les années ‘90 et je venais de rentrer dans une… mauvaise école… Il n’y avait plus assez d’élèves. Des locaux étaient vides… Il fallait agir et changer cette situation. Mais ne dit-on pas d’une petite école de village que c’est une bonne école parce qu’elle est familiale, de taille humaine, avec, au maximum, une classe par année scolaire ? Cette mauvaise école, dans laquelle je travaille encore aujourd’hui, n’était-elle pas plutôt un vrai petit paradis, avec justement une seule classe par année ? Le nombre d’élèves dans une école est-il un critère de la qualité d’une école ?
C’était une mauvaise école : il n’y avait que des enfants étrangers. J’entendais alors régulièrement les propos bien connus : « Non, je ne suis pas raciste mais… il faut bien admettre que le niveau de langue est faible… » Mais les écoles en immersion ne font-elles pas figure de bonnes écoles ? Pourtant, le niveau de langue en immersion est, par définition, très faible ! Le niveau de langue des élèves dans la langue de l’enseignement est-il un critère de la qualité d’une école ?
C’était une mauvaise école : les élèves n’avaient pas assez de devoirs. Et dans certaines années (en 1e année primaire, par exemple), ils n’en avaient jamais ! Mais n’existe-t-il pas une circulaire qui règlemente la quantité de devoirs en fonction de l’âge des enfants ? La quantité de travail à domicile est-elle un critère de la qualité d’une école ?
On dit tout et son contraire pour justifier qu’une école est une bonne ou une mauvaise école ! Quand elle reçoit le qualificatif de mauvaise école, l’équipe pédagogique essaie parfois de redresser la barre. Le statut de l’école peut alors changer : c’est une bonne école ! Vraiment ?
J’entends aujourd’hui des parents dire que l’école est devenue une bonne école. Bonne parce que leurs enfants qui ont fait leur scolarité primaire dans notre école ont de bons points quand ils arrivent en secondaire… En néerlandais, par exemple. Et pourtant ! Aucun d’entre eux ne parle le néerlandais quand ils quittent notre école… Si ces parents pensent que notre école est maintenant une bonne école parce que leurs enfants ont de bonnes notes en secondaire, je persiste en disant que je travaille dans une mauvaise école : une école qui fait réussir, mais qui n’apprend peut-être pas !
Pourtant, quand j’entends des anciens élèves dire : « C’est fou, depuis que je suis en secondaire, je n’écris plus de texte, je ne lis que quelques livres pour remplir des questionnaires, sans jamais en discuter avec d’autres élèves, je ne cherche plus. J’écoute, je mémorise, je passe une interro, j’ai des points ! », je me dis que notre école a peut-être fait du bon travail… Mais les élèves de milieu populaire qui me tiennent ce discours sont encore bien rares ! Alors qu’ils sont venus à l’école primaire pour apprendre, ils cherchent maintenant à réussir, coute que coute, au risque même d’apprendre de moins en moins si personne n’est là pour leur rappeler le sens de l’enseignement obligatoire ! La réussite de la scolarité dans un niveau scolaire est-elle un critère de qualité du niveau scolaire précédent ?
D’autres parents (mais pas les mêmes…) qualifient aujourd’hui notre école de « bonne » école, bonne parce qu’une mixité sociale s’y installe, peu à peu ! Ceux qui, il y a une dizaine d’années trouvaient que le niveau de langue était faible[1]Enfin, pas vraiment les mêmes, mais ceux qui appartiennent au même groupe social !, trouvent aujourd’hui que le public change, que le brassage culturel présent à l’école est un atout… Mais cette fameuse mixité sociale, est-elle LE critère de qualité de l’école ? Certes, c’est une valeur sociale, indispensable à la qualité du vivre ensemble. Mais dans la classe, au moment des apprentissages, cette mixité agit-elle vraiment comme un levier pour améliorer l’apprentissage de tous et surtout des enfants de milieux défavorisés ? Je suis confrontée aujourd’hui à des classes avec des enfants de milieux sociaux différents et je mesure toute la difficulté de rester très attentif à ces différences quand certains élèves montrent tant de connivence avec nos manières de penser, à nous, les enseignants !
Et combien de fois l’utilisation de ce mot « mixité » ne m’a-t-il pas fait bondir ! « Notre école est mixte, il y a plus de 50 nationalités différentes ! » « Dans notre école, aussi, il y a des pauvres ! » « Si des parents de milieux sociaux favorisés mettent leurs enfants dans votre école, c’est que maintenant, vous faites du meilleur boulot ! » La mixité, un critère de qualité ?
Je pourrais continuer à écrire d’autres exemples et la liste serait longue ! Alors, vais-je un jour travailler dans une bonne école, bonne aux yeux de tous, y compris des miens ? Je ne le pense pas ! Car ce qui différencie à mes yeux la réussite de l’échec du parcours scolaire d’un élève, ce n’est pas le qualificatif « bonne » ou « mauvaise » attribué aux écoles qu’il aura fréquentées ! C’est bien plus la capacité de son entourage à identifier l’écart entre le fonctionnement d’un système tel qu’il est expliqué par les politiques, les enseignants, les parents et tel qu’il est, réellement. Les familles des milieux favorisés le savent : elles jouent de différentes stratégies, souvent bien adaptées, pour faire réussir leurs rejetons. Mais les autres ?
Et il faut encore réussir à faire comprendre à l’enfant cet écart sans le rendre irrespectueux de l’institution dans laquelle il va passer de nombreuses années, sans le dégouter de ce monde d’adultes qui ne fait pas ce qu’il dit, qui dit tout et son contraire à propos de l’École ! L’enfant, quand il rentre à l’école, s’assied à la table d’un grand jeu dont bien peu de règles sont explicites !
Notes de bas de page
↑1 | Enfin, pas vraiment les mêmes, mais ceux qui appartiennent au même groupe social ! |
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