Journal de classe

L’imprévu, c’est aussi parfois que ça ne marche pas. Pour des tas de raisons… imprévisibles. Au début de ma carrière, je cherchais surtout à maitriser la matière. Ce jour-là, la classe allait me sauter aux yeux. Imprévu donc, et formation par les pairs à la clé.

J’entre en classe, dans un joyeux charivari, c’est la pause, les élèves en profitent, ils s’échangent des infos, s’organisent, se détendent, c’est bruyant, mais rien d’anormal.

Je m’installe. Quelques notes sur le bureau, la liste des élèves, inscrire le nom des absents sur la fiche de présence. Certains élèves ont regagné leur place, mais la grande majorité d’entre eux prolongent la pause. J’attends un peu. Je demande qu’ils regagnent leur place. Ça prend un temps fou. Je houspille les trainards.

C’est comme ça

Tout le monde est assis à sa place. À chaque fois, ça m’énerve un peu. Mais bon, je m’y suis fait. Ça a l’air normal, il va falloir que je m’habitue. Ils ne se taisent pas. Ils continuent à parler. Je prends une craie blanche, j’écris le titre de la leçon sur le tableau. D’habitude, ça les calme un peu, ils prennent leur cahier, fouillent dans leur plumier à la recherche d’un Bic… Mais là, ça continue, j’entends le brouhaha derrière mon dos, j’aimerais que ça s’arrête, ce n’est pas vraiment un chahut, mais je voudrais qu’ils se taisent.

Je me retourne vers eux et j’attends un peu. Le niveau sonore baisse un peu, mais pas comme les autres fois. Ça fait un mois que je suis prof dans cette école et jusque-là, ça marchait. Ils finissaient par prendre de quoi écrire, j’exposais la matière en expliquant bien, ils prenaient note et la sonnerie finissait par me délivrer. Ce n’était pas vraiment un cauchemar de faire cours, mais pas un plaisir non plus.

Avant la rentrée, j’en avais fait des cauchemars. Des rêves de leçons non préparées, de questions auxquelles je ne savais pas répondre, alors je préparais, je lisais, j’écrivais, je faisais des plans, et en classe, je remplissais des tableaux, de la théorie, des exemples pour illustrer et j’avais réponse à tout. Les élèves ne me faisaient plus peur, je maitrisais la matière.

Ça ne marche plus

Mais là, aujourd’hui, ça ne retombe pas. Alors, je me retourne et je commence à remplir le tableau, tout en expliquant. Je commence à être un maitre en la matière : écrire au tableau tout en parlant, écrire la synthèse tout en illustrant verbalement par des exemples. Je fais comme si de rien n’était, ils finiront bien par se taire et prendre note.

Nicolas m’interpelle. Il trouve que ça va trop vite, qu’on ne comprend rien et qu’on n’a pas le temps d’écrire. « Commencez par vous taire, si vous m’écoutez, je pourrai mieux expliquer. »

Le ton monte. La classe se solidarise avec Nicolas, ça lui donne de l’assurance et il finit par hurler que, de toute façon, je ne sais pas donner cours. Je lui demande son journal de classe, il me le jette à la figure. C’est le chahut. Le journal de classe reste par terre. Je ne sais plus quoi faire. Je me sens tout nu, mais je garde mon calme. En apparence. Je ramasse le journal de classe, je le pose sur mon bureau. Les élèves se sont tus, ils semblent attendre quelque chose. J’exclus Nicolas de la classe : « Tu prends tes affaires et tu sors. Tu vas à l’étude et tu fais signer ton journal de classe par l’éducateur. » Je connais la procédure.

Dans le journal de classe, j’écris : « Perturbe le cours, refuse de se taire, lance son journal de classe à la tête du professeur, manque de respect. » En écrivant, je me rends compte que mes mains tremblent un peu. L’émotion. J’essaie de le cacher, mais quand je tends son journal de classe à Nicolas, mes mains tremblent encore un peu.

Nicolas se lève, le silence règne enfin, mais c’est un silence lourd. Nicolas laisse toutes ses affaires sur le banc, passe près de moi en silence et sans me regarder, ignore le journal de classe que je lui tends et sort de la classe en claquant la porte. Murmures dans la classe. Si je connais la procédure, lui maitrise la mise en scène…

Je jette un œil sur mes notes, me tourne vers le tableau et écris un mot : amortissements. Puis, je me tourne vers la classe et j’explique, un peu hésitant au début, mais quelques-uns commencent à prendre note et ça me donne de l’assurance. Le cours se termine sans autre incident notable.

À la sonnerie, je reprends mes notes, je les range calmement et je sors en lançant un « au revoir » qui reste sans réponse. Évidemment, mais j’ai l’habitude maintenant, je sais à quoi m’attendre.

La rencontre

Le lendemain, à mon grand étonnement, la titulaire de la classe demande à me rencontrer. Elle m’explique que suite à l’incident avec Nicolas, elle a consacré une heure de cours à discuter avec les élèves et qu’elle voudrait m’en parler. Je ne comprends pas très bien. Me parler de quoi ? Mais c’est la titulaire de la classe, je débarque dans cette école, alors j’accepte et nous prenons rendez-vous sur l’heure de midi.

À 12h50, elle m’écoute. Je croyais qu’elle allait m’expliquer ce qu’elle avait dit aux élèves et me dire comment faire pour que Nicolas ne perturbe plus la classe, mais elle m’a juste demandé ce qui s’était passé avec Nicolas. Alors je raconte son impertinence, le brouhaha et l’impossibilité de donner cours dans une telle ambiance.

Elle prend quelques notes, me dit sa compréhension, qu’évidemment c’est invivable comme ça, et me tend une feuille sur laquelle les élèves ont écrit le résultat de leur discussion avec la titulaire.

Il y a un titre : « Ce que le professeur doit changer pour que le cours soit plus intéressant. » Et je lis : « 1. Le professeur doit écouter les questions des élèves. 2. Le professeur doit aller moins vite pour qu’on puisse prendre des notes. 3. Le professeur doit empêcher qu’il y ait du bruit dans la classe. 4. Le professeur ne doit pas tout le temps exposer la matière. 5. Le professeur doit changer de manière de faire de temps en temps. »

Je sens que ce texte a été travaillé avec les élèves, il y a de la retenue et tout cela me semble tomber sous le sens. Et je me sens un peu bête, comme pris en faute. La titulaire commente, m’explique comment elle est arrivée à ces cinq demandes des élèves et trace quelques pistes pour m’aider : comment mieux tenir compte de la classe, comment mettre en place des outils dans la classe pour travailler avec eux, les mettre en recherche, rien de bien extraordinaire mais je me sens soutenu.

Puis elle retourne la feuille et me montre. Il y a un deuxième titre : « Ce que les élèves doivent changer pour que le cours soit plus intéressant. » « En cinq points, ajoute-t-elle. À toi de leur dire tes attentes. »