Compétence, competencia, kompetencie, kompetenz, kompetencia, on vous le décline dans toutes les langues, même mathématique. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela nous aide-t-il à cibler les difficultés des élèves et à baliser notre enseignement ?
Il y a une manière large, générale, « globalisante[1]1, 3 et 8 R. ADJIACE et F. PLUVINAGE dans Strates de compétence en mathémathiques, Repères-IREM, n° 88, juillet 2012. » de considérer la question de la compétence en mathématiques. Elle est particulièrement bien explicitée par le programme PISA : « Mathematical literacy is an individual’s capacity to identify and understand the role that mathematics plays in the world, to make well-founded judgements and to use and engage with mathematics in ways that meet the needs of that individual’s life as a constructive, concerned and reflective citizen. »[2]OECD, www.oecd.org/pisa/pisaproducts/pisa2006/37464175.pdf
L’intention est généreuse, on vise tout le monde, pas seulement ceux qui ont la bosse des maths. On veut en faire des citoyens avertis, éclairés et actifs. C’est l’aptitude à utiliser les outils et à s’engager dans des processus mathématiques qui est visée et non l’accumulation de savoirs et savoir-faire.
D’un autre côté, les programmes de mathématiques adoptent un point de vue « atomisant »[3]Ministère de la Communauté française, Socles de compétences, mai 1999, téléchargeable à l’adresse http://www.enseignement.be/index.php?page=24514&navi=1805 dans le sens“Ce qui compte ce sont les catégories de problèmes et les outils.” où ils alignent des listes de compétences assez particulières. Dans la brochure du ministère qui reprend les socles de compétences[4]Le gouvernement du grand duché , PISA 2003, Comparaison internationale des compétences des élèves, Exercices et solutions, téléchargeable à l’adresse … Continue reading (pour le primaire et le premier degré du secondaire), on considère quatre rubriques : « les nombres, les solides et figures, les grandeurs et le traitement de données ». Considérons cette dernière à titre d’exemple. Le premier item s’intitule : « Lire un graphique, un tableau, un diagramme. » Il est recommandé « d’initier » les élèves à la compétence en première et deuxième primaire, de la « certifier » en sixième primaire et de « l’entretenir » en première et deuxième secondaire. Au second item, il s’agit d’interpréter un tableau de nombres, un graphique, un diagramme. La certification n’est prévue qu’en deuxième année secondaire.
Lire et interpréter un graphique, vous voyez ce que cela recouvre ? Faites le test, voici trois questions de PISA[5]D. LAFONTAINE, I. DEMONTY, A. FAGNANT, A. BAYE, A. MATOUL, Ch. MONSEUR, Service de Pédagogie expérimentale de ULg, PISA 2003 : Quelques questions de mathématiques, téléchargeable à l’adresse … Continue reading Deux questions portent sur la situation intitulée « Exportations ». Une question porte sur la situation intitulée « Cambriolages ».
Le tableau reprend les résultats[6]Au sens double : celui de la compétence “interpréter un graphique” et celui de l’interprétation des résultats. des élèves de la fédération Wallonie-Bruxelles toutes filières et années confondues. Nous ne reprenons ici que la part des élèves qui ont complètement réussi, c’est-à-dire qui ont eu le maximum des crédits accordés à la question. Dans la grille de correction de PISA, six niveaux de difficulté apparaissent. Nous avons indiqué dans le tableau, quel niveau est associé à l’élève qui a parfaitement répondu à la question posée.
Pourcentage de réussite (totale) Niveau
Exportation question 1 85 % 2
Exportation question 2 53 % 4
Cambriolages 13 % 6
Interpréter7
Pour la question 1 « exportations », on comprend les bons résultats. Il ne s’agit que de lecture. Tandis que dans les deux autres cas du test proposé, on est plutôt au niveau de l’interprétation, d’où la chute des performances des élèves. Les concepteurs PISA ont donc vu clair, tant d’un point de vue atomisant (en distinguant lecture et interprétation ainsi qu’en attribuant les niveaux de difficulté de façon idoine) que du point de vue globalisant (tester la capacité de l’apprenti citoyen à utiliser les mathématiques pour fonder un jugement pertinent).
Mais que sait-on des élèves qui n’ont pas satisfait ? Ils n’ont pas acquis la compétence « interpréter un graphique » et après ? Pourquoi ? Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’est-ce qui coince ? Que peut-on faire ?
Pour la question 2 « exportations », il faut rechercher la bonne information sur chacun des deux graphiques présentés. Du premier, on retient qu’en 2000, le montant total des exportations de la Zedlande est de 42,6 millions de zeds. Du second, on retire que la part des jus de fruits, toujours en 2000 est de 9 %.
On obtient donc 42.6 X 9/100 = 3.83 millions de zeds
Pour la question cambriolages, on lit qu’en 1998 on a dénombré à peu près 508 cambriolages alors qu’en 1999, on en a dénombré à peu près 516. L’augmentation est de 8. Relativement au total, cela représente 8/508 = 0.016
C’est-à-dire moins de 2 % d’augmentation en un an.
En examinant la solution, est-ce vraiment la compétence « interpréter un graphique » qui est en jeu et qui explique l’impotence partielle ou totale de 87 % des élèves ? Bien sûr, le jeune exercé à l’interprétation de graphiques sera attentif à l’échelle de l’axe des ordonnées (l’axe vertical quand le graphique est positionné dans un plan vertical). Il remarquera que la graduation commence à 505 et non à 0. S’il a déjà rencontré ce type d’attrape, il en conclura que ce procédé est généralement utilisé pour gonfler une augmentation. Mais cela ne lui permettra pas de quantifier la chose.
Une croissance relative, c’est un rapport qui permet de comparer ou relativiser la croissance absolue à la valeur de la variable considérée (le nombre de cambriolages dans le cas présent). Et pour se faire une idée du rapport, il faut le comparer… Mais à quoi ? L’élève qui a le bon réflexe de passer au pourcentage a-t-il pour autant la clé pour l’interpréter ? C’est beaucoup 2 % ?
En mathématiques, il n’est pas sûr que les niveaux de compétence balisent correctement l’enseignement à donner et éclairent fortement les échecs des élèves. Pour mieux comprendre ces derniers, d’aucuns8 ont développé la notion de strates dont le passage de l’une à l’autre demande « une rupture dans le mode de pensée, une rupture dans les moyens d’expression des objets et relations mathématiques impliquées ». Dans le domaine numérique, ils distinguent quatre strates : numérique (mobilisation des entiers ou des décimaux, recours à des opérations arithmétiques en une seule ligne de calcul), rationnelle (rendre variables des données constantes, partition à deux lignes), algébrique (usage des lettres, mise en équation, calcul sur des quantités inconnues), fonctionnelle (visions multiples : ponctuelle, locale, globale).
Lire et interpréter un graphique est une compétence qui peut s’appuyer sur des outils relativement simples (comme la question 1 « exportations ») ou relativement sophistiqués (dérivée, intégrale), étalés dans toutes les strates. Les outils, c’est cela qui compte avant toute autre chose. Ainsi que les problèmes, car une catégorie d’outils mathématiques est toujours attachée à une catégorie de problèmes.
Quand on a réécrit les programmes de mathématiques pour les rendre à la mode et qu’on a traduit tous les savoir et savoir-faire en compétences atomisées argüant du fait qu’en mathématiques, tous les savoirs avaient valeur instrumentale, on n’a pas changé grand-chose. La vraie révolution eut été de mettre en avant des contextes et des catégories de problèmes en listant ensuite les outils susceptibles d’œuvrer dans leur résolution. On aurait alors privilégié la qualité première du cours de math : être capable de résoudre des problèmes d’un certain type… Car il faut bien admettre que les mathématiques ne servent pas à résoudre tous les problèmes de la vie de nos contemporains !
Notes de bas de page
↑1 | 1, 3 et 8 R. ADJIACE et F. PLUVINAGE dans Strates de compétence en mathémathiques, Repères-IREM, n° 88, juillet 2012. |
---|---|
↑2 | OECD, www.oecd.org/pisa/pisaproducts/pisa2006/37464175.pdf |
↑3 | Ministère de la Communauté française, Socles de compétences, mai 1999, téléchargeable à l’adresse http://www.enseignement.be/index.php?page=24514&navi=1805 |
↑4 | Le gouvernement du grand duché , PISA 2003, Comparaison internationale des compétences des élèves, Exercices et solutions, téléchargeable à l’adresse http://www.men.public.lu/publications/etudes_statistiques/etudes_internationales/exercices/exercices_solutions_fr_03.pdf |
↑5 | D. LAFONTAINE, I. DEMONTY, A. FAGNANT, A. BAYE, A. MATOUL, Ch. MONSEUR, Service de Pédagogie expérimentale de ULg, PISA 2003 : Quelques questions de mathématiques, téléchargeable à l’adresse http://www.enseignement.be/index.php?page=25160. |
↑6 | Au sens double : celui de la compétence “interpréter un graphique” et celui de l’interprétation des résultats. |