Quelles difficultés les enseignants peuvent-ils rencontrer dans leur pratique lorsqu’ils sont confrontés à leur prescrit légal ?
L’objectif de cet article est d’offrir une réflexion, treize ans après le vote du décret Missions, sur l’application par les enseignants de son article 8 stipulant : « Pour atteindre les objectifs généraux, les savoirs et les savoir-faire, qu’ils soient construits par les élèves eux-mêmes ou qu’ils soient transmis, sont placés dans la perspective de l’acquisition de compétences. » La compétence étant entendue ici comme « l’aptitude à mettre en œuvre un ensemble organisé de savoirs, de savoir-faire et d’attitudes permettant d’accomplir un certain nombre de tâches ».
Pour commencer, nous identifions principalement trois difficultés des enseignants lorsqu’ils ont dû se mettre au diapason de l’approche par compétences : changer de posture, se centrer sur le processus d’apprentissage et devenir praticien-chercheur. Nous proposons ensuite quelques réflexions en réponse à ces difficultés telles qu’elles auront été détaillées.
L’approche par compétences impose-t-elle une modification de posture par rapport à la scolarité personnelle des enseignants ? Doivent-ils enseigner différemment de la manière dont leurs maitres leur ont enseigné ?
Il n’est pas uniquement question de contenu et de méthode, mais plutôt de changement d’angle de vue de sa pratique. En effet, pour certains, l’approche par compétences n’a changé que l’intitulé des sacrosaintes matières. Ni changement de pratique, ni changement d’attitude, seul un copier-coller des pratiques anciennes sur un programme renommé.
En effet, il faut l’affirmer, l’approche par compétences ne supprime en rien l’importance des savoirs et de leur apprentissage systématique : les savoirs ne sont pas perdus ! Elle va plus loin, la question de leur enjeu véritable est posée de façon plus vive que jamais puisqu’il s’agit d’approcher et d’articuler ces savoirs, savoir-faire et attitudes en vue de résoudre des tâches complexes et d’aider les élèves à s’en servir dans des situations similaires. Ce cheminement ne va pas sans difficulté et demande un haut niveau d’exigence cognitive.
C’est là que réside peut-être une des premières difficultés des enseignants : trouver les situations mobilisatrices qui permettront aux élèves de « voir » le lien entre le savoir et ce même savoir mis au service d’une situation quelle qu’elle soit. Pour l’exprimer autrement, ce qui se cache derrière l’approche par compétences est le nœud qui tourmente les enseignants depuis toujours : le transfert.
Il peut s’avérer difficile pour un enseignant de donner du sens à un contenu autrement que de la manière dont lui-même l’a appris et dont on lui a dit qu’il devait l’apprendre. De fait, s’il ne l’a jamais utilisé dans sa vie personnelle ou s’il n’a jamais perçu l’usage social, économique, culturel, politique de ce savoir, comment peut-il faire autrement ? Un manque d’expériences professionnelles différentes, de rencontres, de cultures… empêche l’enseignant de se confronter à d’autres réalités, potentiellement si différentes de sa propre vie.
Mais faut-il vraiment que l’élève trouve le sens[1]L’APC (approche par compétences) considère qu’un apprentissage fait sens si l’élève peut en imaginer l’usage concret et direct dans sa vie actuelle. des apprentissages à l’école ? Ce passage ne peut-il se faire dans la famille ? En effet, l’école a-t-elle la possibilité de proposer des situations qui ne soient pas trop théâtrales, surjouées, grossières ? À force de vouloir à tout prix « faire sens », n’est-on pas souvent dans des situations perçues comme encore plus artificielles par les élèves ? Ne serait-il pas opportun de rechercher le sens des apprentissages extramuros, afin de multiplier les situations dans lesquelles les différents savoirs et savoir-faire ont un usage social ?
Une autre grande difficulté que les enseignants peuvent rencontrer est certainement de se centrer sur le processus plutôt que sur le produit. Faute d’avoir été éveillés depuis leur plus tendre enfance jusqu’au terme de leur formation pédagogique, pour autant qu’ils en aient une, à l’importance du comment on apprend plutôt qu’au résultat, les enseignants ne perçoivent pas tout le sens de l’approche par compétences. En effet, dans l’approche par compétences, il y a une situation complexe à dé et reconstruire. Celle-ci impose à l’élève de réfléchir, de s’essayer et dès lors demande à l’enseignant de ne plus se centrer uniquement sur le résultat final, mais plutôt de décortiquer et de comprendre les points d’achoppement de l’élève grâce à des référentiels préétablis.
Ce travail est évidemment ardu et demande une autre pratique que la correction de données clairement établies. Il demande aux enseignants de s’informer, de se tenir à jour dans la connaissance des mécanismes d’apprentissage issus, entre autres, de la psychologie cognitive afin de pouvoir saisir les problèmes rencontrés et de proposer des remédiations échelonnées dans le temps qui permettent de travailler ces difficultés. Évidemment, nous n’envisageons pas que l’enseignant soit logopède ou psychologue : à chacun ses compétences ! Mais simplement qu’il soit conscient des difficultés épistémologiques liées aux disciplines qu’il enseigne, afin de pouvoir mettre en œuvre les outils qui lui permettent de faire son métier : faire apprendre.
Il est bien question ici du statut que donnera l’enseignant à l’erreur. L’approche par compétences, même si elle ne peut pas être considérée comme une pédagogie, impose bel et bien le concept d’évaluation formative et de temps dans l’apprentissage.
Une troisième grande difficulté que peuvent rencontrer les enseignants avec l’approche par compétences, c’est qu’en confrontant les élèves à des situations complexes qui doivent faire sens, les productions sont évidemment très différentes d’un exercice de reproduction. Cette approche impose donc une plus grande connaissance et un plus grand approfondissement des ensembles de savoirs et savoir-faire en jeu. Il est important pour l’enseignant de faire de nombreux liens entre les différents axes de l’apprentissage. Cette lourde tâche demande à l’enseignant une vigilance continue dans sa pratique. Elle demande à l’enseignant de prendre les réponses d’élève inconnues comme un défi à comprendre. Bref, elle impose de ne plus voir son travail comme la répétition d’un programme annuel sans surprise, mais plutôt comme une recherche continue dont les résultats préétablis restent à confirmer.
Mais les enseignants sont-ils demandeurs de cette redéfinition de leur métier ? Le politique n’a-t-il pas voulu imposer trop rapidement un modèle professionnel ?
D’autre part, donne-t-on les moyens et le temps aux enseignants pour comprendre et analyser leur pratique ? Leur est-il donné l’opportunité de se former à l’approche par compétences en travaillant collectivement, au sein des écoles ou en dehors, sur la construction de séquences d’apprentissage depuis l’élaboration jusqu’à l’évaluation, en revenant dans le groupe avec les réalisations des élèves pour analyser les erreurs et comprendre l’implication dans le processus ?
De plus, il semble important qu’en formation initiale ou continue, on enseigne aux enseignants à se poser des questions plutôt qu’à uniquement trouver des trucs et ficelles tout prêts dans une vision à court terme. Il est nécessaire que l’enseignant se dote d’outils de réflexion sur sa pratique ainsi que d’outils de pratique.
En conclusion, nous dirons qu’il est temps de donner des outils et des modalités aux enseignants pour :
Notes de bas de page
↑1 | L’APC (approche par compétences) considère qu’un apprentissage fait sens si l’élève peut en imaginer l’usage concret et direct dans sa vie actuelle. |
---|