Rapport d’observations réalisées dans différentes classes de 3e secondaire, de quatre écoles différentes et d’interviews semi-directives de filles et garçons rencontrés dans ces classes.
Dans les cours observés, ce sont des rôles d’élèves qui ressortent en interaction avec des rôles d’enseignants dans un contexte institutionnel scolaire, et cela, bien plus que des rôles masculins et féminins. Ces rôles d’élèves se définissent le plus souvent de manière négative. La plupart des élèves (filles et garçons) prennent la parole de manière totalement spontanée, parfois de manière intempestive, souvent même si un autre élève est déjà en train de parler. D’autres élèves (filles et garçons) bavardent entre eux, témoignent verbalement ou non verbalement de leur désintérêt, voire de leur ennui. Lorsqu’il est question d’exigences (exercices, travail, interrogation, devoir), la plupart des élèves (filles et garçons) tentent de remettre la commande en question ou de négocier les exigences à la baisse. Dans l’enseignement professionnel, la grande majorité des élèves (filles et garçons) ne disposent que d’un matériel scolaire très réduit (pas de mallette, pas de cours en ordre, souvent pas de papier pour écrire, …) et sont rarement en ordre (journal de classe, par exemple). Bref, des élèves qui s’ingénient à jouer le rôle de celui qui en fait le moins possible en relation avec des enseignants qui ont partiellement renoncé à jouer le rôle de celui qui en exige plus.
C’est à l’intérieur de ces rôles d’élèves assez négativement stéréotypés (l’âge intervient certainement : 3e année du secondaire) que des différences assez claires apparaissent entre filles et garçons, de manière individuelle, mais aussi en interaction avec l’enseignant.
Les filles apparaissent malgré tout en effet comme beaucoup plus scolaires en général. Elles disposent d’un matériel plus complet et mieux rangé. Leurs classeurs sont mieux tenus. Elles demandent plus la parole et interviennent moins sauvagement. Quand elles ne participent pas au cours, elles bavardent entre elles plutôt que de manifester leur opposition. Elles posent plutôt des questions de compréhension à propos du cours et des questions de précision à propos des exigences (ce qu’il faut « savoir »).
Si, de manière générale, les filles apparaissent à l’école comme beaucoup plus organisées, avec des cours, des classeurs, un journal de classe, du matériel plus en ordre que les garçons ; et si, pour la plupart, elles trouvent normal de devoir entretenir leur chambre à la maison elle-mêmes, elles tiennent aussi à corriger cette image féminine traditionnelle en disant que leur chambre est « bordélique » avec des vêtements par terre et, des feuilles ou des livres au pied du lit.
Les garçons, à l’inverse, sont moins en ordre, interviennent beaucoup plus intempestivement, s’affirment dans la classe par leur prise de parole sans autorisation et en coupant la parole à d’autres, et surtout aux filles, se moquent des filles et de leurs réponses et accaparent en général une bonne part de l’attention de l’enseignant. Ils posent plutôt des questions de remises en question formelles à propos du cours et des questions de revendications à propos des exigences.
Lors des interviews, les propos des uns et des autres confirment assez largement ces attitudes, principalement pour l’enseignement général. Les garçons disent des filles qu’« elles veulent toujours en faire plus ». Les filles disent que « ce sont les garçons qui font rire, ils lâchent des conneries ». Les filles parlent volontiers des cours, de leur contenu, de leur intérêt ou non, de leur travail ou non, alors que les garçons parlent plus volontiers des bêtises qu’ils y font. Deux filles diront des filles qu’« elles sont plus consciencieuses, plus méticuleuses, moi, je recopie mes cours le soir, cela me fait perdre du temps, mais j’étudie plus facilement ». Ce type de propos est tout simplement inimaginable dans la bouche d’un garçon. Elles se disent également fières de prêter leurs notes aux autres.
Dans les interviews, les différences entre l’enseignement général et professionnel apparaissent très fortes également (en lien avec les origines sociales). Ainsi, les malaises identitaires en termes d’identités masculines et féminines sont exprimés par les élèves de l’enseignement professionnel et beaucoup moins dans le général. Les filles du professionnel prennent distance par rapport à leur propre milieu familial, affirment ne jamais se confier à leur mère mais beaucoup à leurs amies et leur « copain ». Certaines disent fuir le plus possible leur famille. Alors que les filles du général valorisent beaucoup leur propre famille et affirment se confier et parler beaucoup avec leurs parents et principalement avec leur mère.
Les tâches ménagères sont, en général, effectuées par les mères et l’aide est demandée aux filles et non aux garçons. Ou, si elle est demandée aux garçons, ils disent trouver les moyens de se défiler. Ce (non) partage des tâches est l’occasion pour trois des filles interviewées (du professionnel) d’exprimer sans s’en rendre compte les contradictions dans lesquelles elles sont prises. Ces trois filles ont chacune un « copain » qui compte beaucoup : « on est sérieuse et fidèle avec ». « Le rôle d’un copain, c’est d’être là tout le temps, quand on en a besoin, nous aimer, … » (…) « Notre copain, plus tard, devra avoir le rôle du père ». (…) « Chez nous, notre père ne fait rien à la maison, mais chez moi, ce ne sera pas comme ça ! Mon copain devra cuisiner, nettoyer comme moi, ou sinon, c’est un manque de respect. Chez nous, quand mon père rentre du travail, le souper doit être prêt, il ne débarrasse pas la table puis il va devant la télé. » (…) Mais aussi, « l’origine (italienne, 3e génération), c’est notre fierté, mais on n’ira pas habiter là-bas, car nous sommes nées en Belgique et on a nos souvenirs… C’est important que notre copain soit de la même origine que nous, ou sinon la mentalité n’est pas la même. » Et à un autre moment, l’une d’elles ajoute : « Le plus important, c’est la vie sentimentale, la famille ; même s’il faut être caissière pour eux, je le ferais ! »
Les filles du général valorisent beaucoup leur famille actuelle et si elles parlent avec leur mère de leur avenir, c’est en lien avec le présent scolaire et sans parler de leur avenir familial. Elles puisent dans leur famille présente des motivations en lien avec les rôles traditionnels, mais en les valorisant. Des choix d’options ou des projets professionnels s’y rattachent et tournent autour de l’aide et du relationnel. « On a choisi sciences sociales parce qu’on s’intéresse aux gens ». Elles disent avoir « la passion du contact, de l’aide, des voyages humanitaires, des problèmes des SDF,… », problèmes dont elles parlent entre elles à la récréation et avec leur mère en famille. Ainsi la conformité au rôle traditionnel devient implication personnelle (voir plus bas).
Les garçons, aussi bien du général que du professionnel, ne parlent pas famille. De manière assez traditionnelle, ils parlent plus de leurs hobbies, sports, sorties, intérêts extérieurs. Sauf un garçon d’origine turc et dans l’enseignement professionnel qui a tenu, face à deux intervieweuses (et un intervieweur plus en retrait) à faire de la provocation. Cette provocation est malgré tout révélatrice d’un malaise identitaire qui n’est pas sans répercussion sur l’intégration et la réussite scolaire.
« C’est un homme qui gouverne à la maison. Débarrasser la table, faire le ménage, s’occuper des enfants, c’est un truc de femme. Un homme qui fait la vaisselle, j’ai envie de lui cracher à la figure, ça me fait pitié, c’est une mauviette. (…) Il faut frapper sa femme et ses enfants, comme ça, ils ne le feront plus, j’ai été élevé comme ça. (…) Obligé que je me marie avec une fille de Turquie qui sait faire à manger à l’ancienne, comme ma mère. Il me faut une fille du village, qui ne se la pète pas. (…) Une fille doit s’occuper de la maison. Une femme est au foyer. Elle peut travailler si elle rapporte beaucoup d’argent. (…) L’argent, ça fait tout. L’amour ne rapporte pas d’argent. Les sentiments, on sait vivre sans. »
De manière simplifiée, on constate une grande implication scolaire pour les filles du général, une grande implication extrascolaire pour les garçons du général et une affligeante et forte désimplication pour les filles et garçons du professionnel.
Autant dans l’observation que dans les interviews, aucun intérêt véritable pour rien n’apparaît chez les garçons et filles du professionnel, aucun intérêt, en tout cas, suscitant une mobilisation de la personne, une activité orientée vers un but, un travail de soi sur soi. Ils semblent entièrement pris par le bon plaisir (ou l’ennui au cours) du moment : papotages des filles et commentaires au sujet des garçons, sorties en boîte, alcool, drogues douces, jeux vidéo, séries télévisées,… On peut faire l’hypothèse que cette désimplication, cette incapacité à se mobiliser dans une activité orientée vers un but joue grandement dans leurs difficultés scolaires.
La désimplication scolaire apparaît même comme la norme de groupe. La honte suprême est de passer pour une intello. Ce sont les filles qui le disent : même si parfois elles s’intéressent à un cours et ont envie de proposer une bonne réponse, elles se l’interdisent pour ne pas se faire traiter d’intello. Il est vraisemblable que cette norme anti-scolaire, cette infamie de collabo soit l’œuvre des garçons en grande partie. Dès lors, pour l’enseignant, installer un climat de travail et d’apprentissage dans la classe devient une véritable gageure.
Il faut cependant nuancer ce tableau noir. Plusieurs des filles interviewées se montraient très « mobilisées » par leur couple et leur projet familial lié à un fort désir d’indépendance par rapport à leurs parents. Elles se disaient prêtes à fournir le travail nécessaire pour avoir les points suffisants pour ne pas doubler. Il reste évidemment que cette motivation (en 3e !) de ne pas doubler pour ne pas rester dépendantes de ses parents une année de plus est une bien pauvre motivation pour apprendre. L’option choisie ou non peut jouer aussi. Ainsi, certains garçons en hôtellerie se disaient fiers de cuisiner pour leurs parents des recettes apprises à l’école. Leur implication personnelle dans les cours techniques de l’option était ainsi très positive, mais ils déclaraient en même temps ne pas comprendre pourquoi on leur imposait des cours généraux qui « ne servent à rien ».
Dans une des deux écoles d’enseignement général (la plus socialement favorisée), les filles, à l’opposé, en font presque trop. Elles disent étudier le temps qu’il faut pour tout connaître, elles visent les résultats satisfaisants pour elles. Si elles n’obtiennent pas les résultats qu’elles veulent, elles se disent qu’elles pourraient mieux faire. Elles ne comprennent pas que certaines personnes n’étudient pas ou peu. Elles sont fières de dire le temps (important) qu’elles ont mis pour étudier une matière. Elles ont peur de perdre leur fierté en demandant de l’aide lorsqu’elles sont en difficulté. Et surtout, elles disent le faire pour elles-mêmes. L’une d’entre elles accompagne sa sœur à l’université pour y suivre des cours avec elle. En récréation et en famille, elles parlent de sujets, de thèmes, de problèmes traités en classe ou en lien avec des choses vues dans les cours. Elles trouvent les garçons de leur classe « gamins » et incapables de discuter avec elles de sujets « plus philosophiques ».
Dans l’autre école d’enseignement général (plus hétérogène socialement), cette forte implication scolaire des filles est plus éclectique. Il y a les cours qu’elles aiment bien, et dans ceux-là, elles aiment avoir de bons points et déclarent « avoir envie de continuer à progresser ». Ou encore, « Je ne supporte pas avoir de mauvais points quand j’aime bien un truc, quand je sais que j’aurais pu faire mieux ». Mais, « Les mauvais résultats dans un cours qui ne m’intéressent pas, je m’en fous, ou alors, à force d’avoir des mauvais résultats, tout le temps, ça ne me touche plus, je ne m’étonne plus ».
L’une d’elles voudrait devenir éducatrice ou institutrice primaire pour rester dans l’enseignement et parce qu’elle aime les enfants. Ou alors, avocate, mais elle se dit que ça va être dur parce qu’elle rencontre des difficultés pour étudier. Elle se dit aussi qu’avec les enfants maintenant, ça doit être difficile, « leur façon de faire avec les profs, j’aimerais pas être traitée comme ça ! » Une autre pratique le théâtre comme activité extra-scolaire et envisagerait de poursuivre par la suite des études d’art dramatique. Mais, en en discutant souvent avec sa maman, elle se rend bien compte que c’est peu accessible. Elle voudrait quand même faire ce type d’études, parce qu’elle aime se mettre dans la peau de beaucoup de personnages. On voit ainsi finalement beaucoup de maturité dans les propos de ces filles de 14 ou 15 ans pour qui l’implication scolaire est une implication personnelle qui lie l’école à la vie. Pour elles, l’école prend un sens dans leur présent familial et en lien avec des projets de vie. Il est vraisemblable que cela joue un rôle positif pour une meilleure réussite scolaire.
Les garçons, dans l’école d’enseignement général la plus socialement valorisée, présentent une très forte implication personnelle extra-scolaire. Ils sont complètement pris par leur groupe de musique, répètent chez eux et à l’école (un local est mis à leur disposition), ne discutent que de ça, lisent des revues spécialisées, visitent les magasins spécialisés, vont aux concerts, … Ils sont également passionnés de jeux vidéo, lisent de la littérature fantastique et écrivent des scénarios de jeux vidéo qu’il pourrait un jour réaliser. À côté de leurs passions, l’école leur apparaît comme un mal nécessaire. Ils font ce qu’il faut pour réussir, mais ne se préoccupent que peu des cours en eux-mêmes. Plus tard, ils se verraient bien concepteurs de jeux vidéo ou ingénieurs, ils ne savent pas, ils n’y ont pas vraiment réfléchi. On peut faire l’hypothèse que cette forte implication personnelle extra-scolaire développe des capacités d’usage de soi vraisemblablement favorables à la réussite scolaire, et certainement favorables à l’affirmation de soi et aux orientations ambitieuses.
Les garçons de l’autre école d’enseignement général (plus hétérogène socialement) ne présentent pas la même forte implication personnelle. Ils sont conscients qu’il faut travailler pour réussir, mais ils n’arrivent pas toujours à le faire. Ils travaillent pour avoir un métier (sans projet particulier) et pour « ne pas se faire engueuler ». Ils estiment devoir être dans la moyenne pour ne pas se faire remarquer, avoir « des copains intellos et des autres », pour équilibrer. Un d’entre eux dit travailler pour lui et « se foutre des points des autres ». Ils apprécient les profs qui rendent leur cours intéressant et sont alors prêts à s’y investir et à y trouver du plaisir à travailler.
Pour toutes les filles du professionnel rencontrées, les copines revêtent une importance considérable. On arrive volontairement plus tôt à l’école pour pouvoir se parler et se raconter sa soirée de la veille. Et après les cours, on traîne encore pour discuter. « Nous, les filles, on a besoin de se parler, on se confie beaucoup, tandis que les mecs parlent de foot … ». Les seuls cours qui trouvent grâce à leurs yeux sont ceux où l’enseignant établit une relation satisfaisante : « un bon cours pour nous, c’est quand le prof nous laisse nous exprimer et nous écoute ». Ou encore, « Quand j’aime pas un cours, c’est à cause du prof ou des élèves, mais jamais à cause du cours lui-même ; même si j’adore le cours, mais que j’aime pas le prof, je suis mofflée dans le cours. »
Cette importance du relationnel n’exclut pas un investissement important dans le matériel. « On est super dépensières : maquillage, cartes de gsm, vêtements, … ». L’équipement des chambres personnelles laisse perplexe : TV personnelle, DVD, ordinateur, parfums, …, mais le GSM, « c’est important pour envoyer des sms à notre copain, mais avoir le dernier modèle, c’est pas important » et les peluches, « c’est pour dormir avec ». On peut craindre qu’entre les copines, le petit copain, les peluches et la TV, il reste peu de temps pour se préoccuper du travail scolaire.
Aussi bien pour le relationnel que le matériel, les filles du général éprouvent moins le besoin d’en parler, de le mettre en avant. Les relations importantes pour elles sont les relations familiales, parents, frères et sœurs, mais surtout la mère avec qui elles parlent beaucoup, encore n’en font-elles pas une définition d’elles-mêmes prioritaire. Elles ne parlent pas de ce qu’elles possèdent (gsm, équipement de la chambre, …). Et pour les cours, la relation avec l’enseignant n’est pas déterminante, même si l’une d’entre elles dit : « Quand j’aime bien le prof, je travaille plus facilement ! » ou encore, « Je n’aime pas faire des efforts avec des gens que je n’aime pas ». Dans l’école d’enseignement général plus hétérogène, elles disent aimer les profs avec qui on peut communiquer, parler et avec lesquels elles sont plus libres. Mais dans l’école socialement plus favorisée, c’est clairement le contenu du cours et les points obtenus qui priment.
Les garçons, eux, sont en général plus investis dans des activités : les copains comptent bien sûr, mais moins que ce qu’on fait avec eux, musique, sports ou sorties. Ils accordent moins d’importance aussi aux relations avec les enseignants avec qui l’opposition compte plus que la relation. Les garçons du « général plus favorisé » sont totalement dans leur activité musicale. Un des garçons du professionnel est, lui, totalement dans ce qu’il possède : son gsm, sa TV, son Xbox, son GameCube, son ordinateur, son fauteuil « royal » dans lequel il est le seul à pouvoir s’asseoir, …, dans une chambre qu’il range « nickel ».
Toutes les filles rencontrées apparaissent comme beaucoup plus pragmatiques dans le cadre scolaire, même si la plupart d’entre elles (sauf celles du général favorisé) valorisent parfois des attitudes de mauvais garçon. Certaines des filles du professionnel disent aimer boire, se saouler, et même se battre, mais dans le cadre scolaire, elles veillent à « ne pas dépasser les limites ». Une des filles du général hétérogène dit « qu’avec elle, on rigole tout le temps parce qu’elle fait l’andouille dans la cour » et l’autre dit aussi aimer « déconner », mais cela se fait en dehors de la classe. Une fille de professionnelle dit : « À la maison, je suis la plus petite, mais la plus rebelle par rapport à mes frères, mais à l’école, c’est pas pareil, je ferme ma gueule ! ». C’est un peu comme si ces filles refusaient de se voir comme des petites filles sages et se présentaient comme des mauvais garçons, mais toujours dans des limites « calculées ». « On attend toujours la dernière limite avant d’aller en classe, mais jamais trop longtemps pour pas avoir de notes. » Calculs que les garçons semblent incapables de faire. « On a parfois des remarques de comportements, mais jamais les mêmes que les garçons. »
Le calcul pour les filles en professionnel est d’ailleurs parfois compliqué : « On n’ose pas répondre en classe car on se fait traiter d’intello, alors quand on répond, on casse un peu la prof (réflexions rebelles) comme ça, on répond quand même, et on passe pas trop pour des intellos. » Parfois aussi, le côté rebelle l’emporte : « Quand, j’ai une note, j’agresse le prof, je demande pourquoi, mais le plus souvent, les notes sont débiles. » Leur pragmatisme est d’ailleurs ambigu : « On ne pense pas du tout au futur, si ça se trouve, demain, on ne sera pas secrétaire, on sera au chômage ou écrasée par un bus ! » Et, « On travaille pour sortir : si on double, c’est une année de salaire en moins et une année en plus où on est dépendantes. » (…) « L’école, on s’en fout, ça sert à rien : exemple de mon père et de mon frère qui n’ont pas fait d’études et qui s’en sortent très bien. » (…) « Ce qui me motive, c’est mon copain, car si je travaille, mes parents m’autorisent à le voir et en plus, lui, il ne veut pas sortir avec un âne. »
Mais, malgré ces ambigüités et ces désirs rebelles, il y a cet esprit pratique qui l’emporte chez les filles et pas chez les garçons. « On n’aime pas faire ses devoirs car on perd du temps pour la fin de journée, mais on les fait toujours pour les points. » Tandis que les garçons : « En septembre, on a envie de réussir, mais en mai, on en a marre ».
Ce côté « stratégique » des filles arrive à son comble avec les filles du « général plus favorisé » lorsqu’elles estiment que leur prof de français est en retard sur le programme et qu’elles décident alors de prendre les choses en main pour faire avancer le cours plus rapidement et plus efficacement !
De manière générale, les filles n’éprouvent pas le besoin de s’affirmer personnellement « contre » l’ordre scolaire, « contre » l’autorité, alors que les garçons du professionnel l’affirment avec fierté : « je riposte toujours avec les profs, j’ai l’impression d’être leur égal ; s’il faut, on lui pétera sa bagnole ! » Et un autre : « je m’engueule avec le prof car il est parfois injuste ». Ils racontent avec fierté les chahuts, le bruit volontaire, la manière dont ils s’opposent à l’enseignant. « Pour nous, un bon cours, c’est un cours où on ne fait rien ». Dans l’enseignement général aussi, les garçons parlent volontiers des bêtises qu’ils y font : « lâcher des vannes pourries ».
Ainsi par rapport au travail scolaire et à l’autorité, les filles sont plus réalistes et contrôlent mieux leurs comportements et leurs projets. Les garçons semblent à cet égard plus dépendants de leur image. Par ailleurs, l’ordre scolaire semble à nouveau bien peu ouvert à la prise en compte de ces difficultés. C’est un peu comme si les filles se montraient plus malignes qu’une institution dépassée et les garçons obligés de se montrer plus bêtement antagoniques dans l’enseignement professionnel ou obligés de s’investir ailleurs dans l’enseignement général.
Les identités traditionnelles restent très fortes, sans soute parce qu’en famille, les rôles restent bien partagés et que les identifications fonctionnent. Les attitudes en classe des filles et des garçons en témoignent. Cependant, la prise de conscience féminine – féministe est très forte également avec la remise en questions des inégalités de genre, sans doute parce que les médias, l’école, les nouvelles cultures diffusent largement ces discours et sans doute aussi parce que les mères en famille expriment également, au moins en direction de leurs filles, ces mêmes valeurs féminines. Les filles doivent donc se construire comme fille au sein même de cette contradiction fondamentale entre une réalité très traditionnelle, réprouvée, mais dominante, et un discours très légitime, valorisé, mais inappliqué.
Les filles sont donc d’abord parce que la réalité sociale reste forte des filles au sens traditionnel du terme : appliquées, soigneuses, ordonnées, régulières, altruistes, … ce qui favorise leur meilleure réussite scolaire et ce qui les pousse vers des orientations traditionnelles (aider, éduquer, soigner). Mais la contradiction est là et face à cette contradiction, trois orientations coexistent plus ou moins fortes en chacune :
Notes de bas de page
↑1 | Pour une explicitation et un développement de ces trois explications sociologiques, voir : Vincent TROGER, Trop fortes les filles, dans Alternatives Economique n°211, février 2003, pp. 62-65 ou Catherine MARRY, dans la revue Sciences Humaines n°146, février 2004. |
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