Des enfants et des ados participent régulièrement aux activités de soutien scolaire de La Rue[1]Association qui souhaite développer des attitudes de responsabilité chez enfants, ados, adultes. Par une dynamisation des quartiers, par un travail de proximité, elle vise une participation active … Continue reading. Parmi les plus âgés, il s’est formé un groupe qui s’investit aussi dans des activités d’éveil à la citoyenneté. L’école est un sujet très vif chez eux.
Nous les avons associés à cette question : qu’est-ce que l’école rate ? Et pour susciter les réactions, nous leur avons brossé un « portrait » de l’école : une usine produisant des individus formés et classés selon leurs aptitudes et un podium pour les trois meilleurs (et, pour les autres, une fin de liste). De quoi susciter une première réaction. Pour Karim, « Tous premiers ! ». Une réponse à ranger plutôt dans le refus de l’exclusion, de la compétition et dans l’aspiration à de l’égalité : « L’école, complète-t-il et à regret, favorise les plus compétents et laisse sur le banc de touche, les moins aptes. » Mais cette école productiviste (et caricaturée ici à souhait) existe-t-elle ?
La question fut traitée séparément par plusieurs équipes. Et les commentaires allèrent dans le même sens : ils ne perçoivent même pas leur école comme une entreprise performante.
Ce qui « rate » ? Pour Yousra, ce serait peut-être déjà la « sélection des profs ». Certains d’entre eux donneraient la tonalité : « fatigués le matin », ils « ne veulent pas donner cours, mettent des films » ou « veulent terminer plus tôt en nous disant de partir ». Ce vécu laisse des traces et suscite des regrets : « Un prof est censé bien nous expliquer, car l’élève doit acquérir certaines compétences. » Ali évoque des profs donnant cours « sans connaitre la matière ». L’absentéisme des profs est aussi relevé. Et pour Ali, « les cours ne sont pas adaptés à tous ». Et de toute manière, « les profs ne prennent pas le temps d’aider ceux qui ont plus de difficultés que les autres ».
Ce qui est attendu ? Ce serait des profs « avec plus d’expérience ». Et pour Fériel (qui « aime bien » son école) un prof qui « n’explique pas bien » et dont la voix « presse les oreilles » ou « endort », suscite un verdict sans appel : « Je déteste. » En résumé : prof évalué et en balance (« Peut mieux faire. » selon Christophe). Prof-espoir déçu… En ce qui concerne la discipline : elle apparait inacceptable si elle est hermétique (dans l’école « trop stricte » de Karim, « On nous met des retenues pour rien. », se plaint-il) ; mais elle serait plutôt bien admise si elle est utilitaire et capable en particulier de réduire les tensions, « Le manque de discipline peut induire les disputes entre élèves. » souligne Christophe.
Des choix (ou des dilemmes) de gestion de l’École ont aussi un effet sur les conditions matérielles de la scolarisation. « Les infrastructures ne sont pas adaptées pour le nombre d’élèves. » dit Ali. Et il leur est difficile d’être insensibles aux effets d’un taux d’encadrement insuffisant. Dans l’école de Yousra, « On accepte beaucoup d’élèves et par la suite, nous nous retrouvons trop nombreux dans une classe. » Ce qui rejoint un constat fait ailleurs : « Cela s’observe aussi dans le cycle primaire. » relève Naïma Otman, encadrante à l’Ecole des Devoirs de La Rue.
À divers niveaux. L’association assure une école des devoirs (EDD) pour les enfants et un soutien scolaire pour les ados. Ces activités sont saturées tant la demande est forte. Les raisons en sont multiples (parents ne se sentant pas toujours en mesure de suivre la scolarité de leurs enfants, exigüité de nombre de logements dans les quartiers environnants ne favorisant pas l’étude à domicile, jeunes eux-mêmes demandeurs…). Par ailleurs, le personnel de l’EDD est présent dans le Conseil de Participation d’une école primaire du quartier. C’est un point d’observation et une manière supplémentaire de s’impliquer dans la réussite de l’école. Les animateurs de l’EDD tenteront de faire ce que l’École ne parvient pas à susciter chez les parents : encourager à s’informer sur les activités de l’École, à se rendre aux rencontres organisées par elle et à suivre la scolarité des enfants en consultant les journaux de classe… Et des parents soucieux d’un enfant en difficulté et voulant interpeler l’école trouveront des animateurs de l’EDD pour jouer un rôle d’« intermédiaire ». L’élargissement de ce qui s’apprend à l’école est aussi un des chemins pris par La Rue. Un jardin urbain est situé à proximité de ses locaux et d’une école primaire qui grâce à l’animation assurée par La Rue, peut concrétiser un programme d’éveil à la nature. Des classes s’y rendent régulièrement. Ce type d’activité permet d’ouvrir l’école sur l’extérieur et de mettre en pratique très concrètement des matières qui y sont enseignées. L’activité a du succès auprès des enfants.
Répondre pratiquement aux reproches entendus (unilatéraux et donc à affiner) permettrait déjà d’entrevoir des aspirations. Le Décret Mission de la Communauté française (24/07/1997) a fixé pour l’enseignement organisé par la CF (ou FWB) 4 objectifs (à poursuivre « simultanément et sans hiérarchie »). La grande voile de l’enseignement est hissée et gonflée d’objectifs humanistes et éducatifs. Or « Le manque de moyens pour concrétiser des activités citoyennes est décourageant. » observe Ali El Abbouti (encadrant de l’EDD). Pour Karim, les écoles « ne font pas assez de voyages » or « cela favoriserait une meilleure relation entre enseignants et enseignés. » Et des journées de « partage d’activités entre écoles différentes » seraient à promouvoir (Karim et Inès).
L’acquisition des savoirs et des compétences ? « Beaucoup d’élèves terminent leur 6e année primaire en ne sachant pas lire correctement », précise Naïma Otman (encadrante de l’EDD), « imaginez les difficultés de compréhension, par la suite ! ». Prendre place dans la société ? Se doute-t-on de la réalité d’une disparité entre l’« école élitiste » et l’« école ghetto » ? Ou en termes clairs, entre écoles à classes sociales différentes. Et l’école ghetto est d’autant plus pénible si l’option choisie ne permet pas de revenir sur ses pas ou s’il s’agit d’une erreur d’orientation (avec ou sans intervention du CPMS ou d’autres acteurs de l’école) ou d’une méconnaissance du meilleur cheminement.
À nos yeux, concrétiser les 4 objectifs du Décret demanderait une réforme globale de l’enseignement et poserait avant tout la question des méthodes et des pédagogies employées.
Faut-il rappeler que de plus en plus apparait la revendication des trajectoires scolaires flexibles « sur mesure » permettant de terminer un cursus scolaire selon les rythmes individuels ? L’école s’appuierait sur des pédagogies actives pour aborder les objectifs du Décret Mission. Elle serait celle qui favorisera les prises de responsabilités des étudiants et cet esprit d’équipe que La Rue, association d’éducation permanente, suscite et remarque chez des ados dans leurs activités créatives et d’éveil à la citoyenneté. Activités essentielles s’il en est, car elles font sens chez ces jeunescomme, par exemple, l’organisation d’un atelier vidéo sur la thématique — choisie par eux-mêmes — des préjugés et des discriminations. Certains d’entre eux soulignent d’ailleurs à cette occasion qu’une discrimination, même positive, reste une discrimination. Eux — dont l’école a porté ce titre d’« École en D+ » — se sentent trop souvent stigmatisés.
Les activités vécues à La Rue permettent à ces jeunes de (re) trouver une motivation, nécessaire à tout apprentissage, et de s’outiller pour la vie : ils (re) trouvent une meilleure estime de soi, des possibilités de s’exprimer, l’apprentissage de la vie en groupe. Ces activités permettent aussi d’apprendre à s’organiser, à développer une réflexion critique, à se positionner, à mettre en pratique des valeurs telles que le respect, la solidarité. L’École qui ne rate pas ne pourrait-elle pas envisager des actions d’apprentissages dans ces mêmes lignes ?
Dans les Assemblées Jeunesse organisées par La Rue (mai 2012 et février 2013) auxquelles plus de 80 jeunes ont participé, nous avons entendu que l’Ècole reste pour eux un espoir de mieux-être et de réussite. Constats, idées et propositions y ont été exprimés. Pourquoi ne pas les entendre – eux, les premiers concernés — et pourquoi ne pas les impliquer dans un débat et une réflexion autour de l’école ? Trop souvent des experts et spécialistes réfléchissent pour eux. Commencer par croire en la créativité de ces jeunes et les richesses d’un apport de leur part pour notre société serait un pas !…
Notes de bas de page
↑1 | Association qui souhaite développer des attitudes de responsabilité chez enfants, ados, adultes. Par une dynamisation des quartiers, par un travail de proximité, elle vise une participation active à la vie sociale, économique, politique et culturelle dans les quartiers du Vieux Molenbeek. |
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